Présidentielle : Rien n’est encore joué !

À un mois du premier tour, les indécis n’ont jamais été aussi nombreux. Ce qui rend hasardeux tout pronostic sur l’issue du scrutin, quand la confrontation entre les candidats ne fait que commencer.

Michel Soudais  • 22 mars 2017 abonné·es
Présidentielle : Rien n’est encore joué !
© Photo : Michel Soudais

Cette fois, c’est parti ! La campagne électorale est lancée. L’annonce par le Conseil constitutionnel samedi dernier de la liste des candidats ayant obtenu les parrainages nécessaires, c’est un peu la cloche qui, dans les courses de fond, annonce le dernier tour de piste. Beaucoup de compétiteurs qui étaient au départ, dont certains comptaient parmi les « favoris », ont été éliminés. Restent onze prétendants – Nathalie Arthaud, François Asselineau, Jacques Cheminade, Nicolas Dupont-Aignan, François Fillon, Benoît Hamon, Jean Lassalle, Marine Le Pen, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon et Philippe Poutou –, et le sentiment qu’à un mois du premier tour la course n’est pas jouée. Ce dont sont convaincus le candidat de la France insoumise et le vainqueur de la primaire de « la Belle Alliance populaire » qui organisaient, l’un et l’autre, de grands rassemblements le week-end dernier.

Certes, à cette étape, Emmanuel Macron paraît le mieux placé pour l’emporter. L’ancien ministre de l’Économie, dont le positionnement attrape-mouches « et de gauche et de droite » lui vaut l’appui des plus grands médias, devance désormais nettement François Fillon dans les sondages, qui le donnent au coude-à-coude avec Marine Le Pen. Mis en examen après les révélations sur ses embauches familiales, le « Monsieur Propre » de la droite a en effet perdu près de 10 points d’intentions de vote en à peine plus d’un mois. Mais la réussite du candidat d’En marche ! est encore fragile. Environ la moitié de ses électeurs sont toujours incertains de leur vote. Et, rançon du statut de favori, l’ancien banquier d’affaires est devenu la cible privilégiée de ses adversaires.

Ce n’est pas la seule incertitude. À un mois du scrutin, toutes les enquêtes d’opinion l’attestent, les électeurs n’ont jamais été aussi indécis. Seulement 66 % d’entre eux se disent tout à fait certains d’aller voter, selon l’enquête mensuelle Ipsos-Sopra Steria réalisée les 14 et 15 mars auprès d’un échantillon de 11 990 personnes pour le Cevipof, et publiée par Le Monde (18 mars) . C’est 3 points de moins que le mois précédent. Ce pourcentage tombe à 57 % chez les moins de 35 ans et à 49 % chez ce quart des électeurs qui se déclarent sans proximité partisane. Cette hésitation des électeurs, à un moment où normalement le débat présidentiel se cristallise, est inhabituel et laisse prévoir une abstention supérieure à 30 %, inédite dans ce scrutin qui, sauf en 2002 où la participation avait été faible (71,6 %), mobilise près de 80 % des électeurs. Selon le Rolling 2017 de l’Ifop, qui estime à ce jour l’abstention à 36,5 %, les plus enclins à se retirer du jeu électoral sont sans surprise les 18-24 ans (49 %), les chômeurs (45 %) et les ouvriers et employés (plus de 40 %).

Cette potentielle « grève des urnes » d’électeurs troublés, voire écœurés, doit beaucoup aux affaires judiciaires visant François Fillon et Marine Le Pen, qui ont parasité et empoisonné la campagne depuis fin janvier. Et dans une moindre mesure aussi à la division de la gauche entre deux candidatures dont ils ne perçoivent pas les différences. Le dernier sondage BVA pour la presse régionale, réalisé du 15 au 17 mars auprès de 1 425 électeurs inscrits, note ainsi que « l’intention d’aller voter décline chez les sympathisants de la gauche (78 %, -5 points en une semaine) tandis qu’elle progresse au contraire chez les sympathisants de la droite (85 %, +3 points) ». Autre signe de l’indécision des électeurs, BVA constate également que 45 % du corps électoral prévoyant de voter au 1er tour de la présidentielle n’exprime actuellement pas d’intention de vote ou peut encore changer d’avis (+4 points).

Bien des situations établies peuvent donc encore bouger. D’autant que les mêmes enquêtes notent un intérêt des électeurs pour la campagne qui, lui, ne faiblit pas. 80 % des personnes interrogées par Ipsos se disent « intéressées », un niveau stable depuis trois mois, note l’institut. Ils n’attendraient que de pouvoir prendre connaissance des propositions des uns et des autres. Le gros succès d’audience du débat à cinq organisé par TF1 lundi soir confirme cet intérêt. Par son exceptionnelle durée – trois heures trente –, et malgré les défauts d’un exercice très minuté qui saucissonnait les sujets, il aura permis aux 9,8 millions de téléspectateurs qui l’ont suivi – avec un pic à 11,5 millions – d’entendre enfin les candidats parler programme et de les confronter entre eux.

Avant cette première confrontation, dont il était trop tôt, mardi matin, pour savoir si elle aura permis de mobiliser les électeurs, Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon ont l’un et l’autre donné un coup d’accélérateur à leur campagne, le week-end dernier. Avec des succès divers.

Samedi, le candidat de la France insoumise avait appelé à un défilé pour la 6e république, mesure phare de son programme, entre la place de la Bastille et la place de la République. Convaincu que les sondages ne traduisent pas son poids électoral réel, Jean-Luc Mélenchon, que d’aucuns socialistes pressent sous des mots flatteurs d’abandonner le combat au nom du « mur de l’histoire » (Arnaud Montebourg), entendait « faire le plus grand rassemblement populaire de la campagne », cinq ans jour pour jour après un défilé similaire entre Nation et Bastille. La démonstration de force est réussie. Près de 100 000 personnes – 130 000 ont annoncé les organisateurs – ont défilé dans une ambiance festive et bon enfant, brandissant des pancartes réclamant qui une « assemblée constituante », qui la « fin de la monarchie présidentielle », qui la « règle verte ». Ou bien encore la « démocratie dans l’entreprise », l’« inéligibilité pour les corrompus », la « suppression du Sénat », le « non-cumul des mandats », l’inscription de l’« IVG dans la Constitution », l’« indépendance des médias »… Beaucoup avaient choisi de devancer la tête du cortège où Jean-Luc Mélenchon, entouré de son équipe de campagne, marchait aux côtés de la philosophe Chantal Mouffe et de l’ex-présidente du parlement grec, Zoé Konstantopoulou, mais aussi de Clémentine Autain et Pierre Laurent. Si bien qu’à son arrivée place de la République, une foule nombreuse occupait déjà les lieux à attendre qu’il détaille, plus d’une heure durant, son projet de 6e république.

Alertant son auditoire contre les « pouvoirs incroyables » de l’actuelle Constitution, il a appelé les électeurs à ne pas confier, « fût-ce pour une période transitoire, de tels pouvoirs à des gens déterminés à en faire l’usage […] quand ils se prosternent devant l’ethnie ou devant l’argent ». Auparavant, le comédien Sam Karmann avait invité Benoît Hamon à « lâcher le PS, un parti de droite, puisque le PS le lâche » et le psychanalyste Gérard Miller, réalisateur d’un récent documentaire télévisé sur Jean-Luc Mélenchon, avait sonné la charge contre « les socialistes qui exhortent à voter dès le premier tour pour Emmanuel Macron et barrer la route à Marine Le Pen alors qu’ils ont eu cinq ans pour détourner de l’extrême droite les électeurs » et « le vote utile, degré zéro de la politique » : « On ne s’intéresse plus au programme, aux idées, aux propositions, on considère que la cause est perdue d’avance alors que la seule cause perdue d’avance, c’est quand on décide de ne pas se battre. »

Du « vote utile », il a également été question à Bercy, où, dimanche, Benoît Hamon tenait meeting. Mais en des termes inhabituels pour le PS, qui, après avoir usé et abusé de ce ressort, est menacé d’en faire les frais. « Le seul vote utile, c’est celui pour ses convictions. […] C’est celui pour nos idées, nos valeurs, notre projet », a lancé Anne Hidalgo, sous les applaudissements. « Face à la droite et au Front national, le vrai vote utile, c’est de proposer un contre-projet résolument engagé qui se démarque et ce n’est pas le renoncement, la confusion, le découragement », a renchéri Najat Vallaud-Belkacem, visant implicitement, comme la maire de Paris, les appels à rejoindre Emmanuel Macron.

Car ce dimanche, même si Benoît Hamon est parvenu à déjouer les pronostics pessimistes en rassemblant 15 000 personnes venues de toute la France, dans une ambiance militante surchauffée, l’absence de nombreux ministres « hollandais » et les défections au sein du camp PS ont fait douter les responsables socialistes et écologistes présents. Une cinquantaine de députés et de sénateurs PS – plus de 330 socialistes en comptant les élus locaux – ont apporté leur parrainage à l’ancien ministre de l’Économie. Sans crainte de sanctions que Jean-Christophe Cambadélis, le patron du PS, ne cesse de repousser. Interrogé par Le Télégramme (18 mars) sur un probable ralliement du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, à Emmanuel Macron, il feint de croire que ce n’est « pas un voyage sans retour. Il reviendra dans la famille socialiste ». Le matin même, dans une tribune publiée par Le Journal du dimanche, Manuel Valls se défendait d’avoir trahi en refusant de parrainer Benoît Hamon, comme l’eût voulu la règle des primaires, et éreintait durement le programme du candidat du PS : « Comme beaucoup, je ne crois pas que l’avenir de la France passe par une sortie du nucléaire, par l’abandon des règles et des interdits – je pense bien sûr à la légalisation du cannabis –, par le dénigrement de cette valeur qu’est le travail, par une fuite en avant avec le gonflement de notre dette, qui n’est que la promesse de hausses d’impôts. »

Malgré tout, Benoît Hamon continue d’y croire. Pour tenter d’enrayer l’hémorragie vers Macron, l’un des candidats du « parti de l’argent », il a fait applaudir François Hollande, Bernard Cazeneuve et Jean-Yves Le Drian pour leur action contre le terrorisme, fait part de sa « fierté » pour certaines réformes du quinquennat. Il a surtout promis à ses partisans de « faire du bruit dans cette élection ». Un discours qui s’adressait moins aux Français qu’à son camp.

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