Verdict LuxLeaks : sortis de la zone grise mais pas pour autant blanchis !
Après la réduction en appel des peines prononcés contre Antoine Deltour et Raphaël Halet, Marie-Claude Carrel et Françoise Mulfinger regrettent que la justice luxembourgeoise n’ait pas prononcé l’acquittement des deux lanceurs d’alerte.
Le verdict est tombé ce mercredi 15 mars dans l’affaire du procès LuxLeaks : la justice luxembourgeoise a réduit, en appel, les peines initialement prononcées contre les deux lanceurs d’alerte Antoine Deltour et Raphaël Halet, ayant mis au grand jour « des pratiques d’optimalisation fiscales douteuses » de plusieurs multinationales.
Du scandale au feuilleton judiciaire LuxLeaks
En novembre 2014, le scandale LuxLeaks éclate grâce à l’action conjuguée de ces deux lanceurs d’alerte et du journaliste Édouard Perrin. Sont alors révélés ces centaines d’accords fiscaux secrets passés entre le fisc luxembourgeois et de grandes multinationales via le cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers (PwC). Un système d’optimisation fiscale à grande échelle qui permet à ces grandes entreprises d’échapper massivement à l’impôt, privant les États d’autant de ressources financières et les contraignant à combler ce manque à gagner par un recours couteux à l’endettement public.
Marie-Claude Carrel est membre du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM) France et Françoise Mulfinger du CADTM Belgique.
En juin 2016, lors de leur premier procès, A. Deltour et R. Halet sont condamnés respectivement à douze mois de prison avec sursis assortis d’une amende de 1 500 euros et neuf mois avec sursis, assortis de 1 000 euros d’amende. Le journaliste Édouard Perrin est quant à lui relaxé.
En appel, leurs peines sont réduites à six mois de prison avec sursis et à 1 500 euros d’amende pour Antoine Deltour, et Raphaël Halet se voit astreint à payer 1 000 euros d’amende. Mais les deux lanceurs d’alerte demeurent toujours condamnés. Et c’est là que le bât blesse. Alors, certes, nous nous réjouissons de l’allègement des peines, qui d’ailleurs, ne soyons pas naïfs, n’a été possible que par la mobilisation active et inlassable des comités de soutien partout en Europe. Mais, pour nous et pour tous les soutiens des lanceurs d’alerte, le seul jugement satisfaisant est et reste l’acquittement total et immédiat.
Cherchez l’erreur
Déjà en première instance, le tribunal luxembourgeois reconnaissait qu’A. Deltour et R. Halet avaient « agi dans l’intérêt général et contre des pratiques d’optimisation fiscales douteuses ». En juin 2015, le Parlement européen emboîte le pas, en décernant à A. Deltour, le prix du citoyen 2015. Le jugement en appel de mercredi va plus loin en ne retenant pas le chef d’accusation de « violation du secret des affaires et professionnel » et en reconnaissant à A. Deltour le statut de lanceur d’alerte tel que défini dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Et malgré cela, Antoine et Raphaël sont encore « coupables ».
D’un côté, les deux lanceurs d’alerte sont remerciés d’avoir œuvré pour l’intérêt général, mais restent coupables. De l’autre, Christine Lagarde, directrice du FMI, est reconnue en décembre dernier par la justice française coupable de détournement de fonds publics, mais est exemptée de peine [1]. Allez comprendre…
Et maintenant ?
Même si les mentalités semblent évoluer à l’égard des lanceurs d’alerte dans l’opinion publique, les intérêts des multinationales demeurent âprement défendus et protégés via notamment des dispositions légales en leur faveur, dont la directive européenne sur « le secret des affaires » et des décisions de justice, comme en témoigne l’affaire Luxleaks, Lagarde et bien d’autres…
Plusieurs éléments vont toutefois dans le bon sens. Mais ces avancées restent timides et très largement insuffisantes. La définition du lanceur d’alerte telle que la propose le Conseil de l’Europe en 2014 reste à préciser au-delà du libellé « est défini comme lanceur d’alerte tout membre qui révèle dans le cadre de sa relation de travail un fait contraire à l’intérêt général ». Peu de pays de l’Union européenne disposent aujourd’hui de législation protégeant le lanceur d’alerte. À l’exception de l’Irlande, du Royaume-Uni et, depuis 2016 seulement, de la France avec la loi Sapin II, qui fait un frileux pas en avant en mentionnant le défenseur des droits humains au niveau national comme interlocuteur du lanceur d’alerte pour l’orienter vers les instances compétentes et pour assurer sa protection.
D’autres propositions sont sur la table : la mise en place d’un outil législatif européen dont un organe indépendant pour protéger les lanceurs d’alerte. Des propositions intéressantes mais qui, quelles qu’elles soient ne tomberont pas du ciel. Protéger les lanceurs d’alerte est nécessaire, mettre fin à la culture de l’impunité des multinationales et autres puissants l’est tout autant.
De la zone grise à la lumière
Le Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde dénonce le maintien des condamnations prononcées par la Cour d’appel luxembourgeoise, fussent-elles réduites. La cohérence du jugement aurait dû aboutir à un acquittement pour Antoine Deltour et Raphaël Halet. Quant à l’acquittement d’Édouard Perrin, ce n’est que justice pour ce journaliste, qui n’a finalement fait qu’exercer son métier. Les Panama Papers, LuxLeaks, SwissLeaks… se suivent et se ressemblent. Il y a donc urgence à protéger pleinement celles et ceux qui prennent des risques dans l’intérêt des populations et qui remettent en cause la toute puissance de la finance.
Merci à Antoine, à Raphaël, à Édouard pour leurs courageuses démarches citoyennes et les avancées qu’elles permettent d’ores et déjà dans la nécessaire reconnaissance du statut du lanceur d’alerte, et ce, dans l’intérêt général.
[1] « CADTM, Procès Lagarde : la culpabilité version business class », décembre 2016. Accessible sur le site du CADTM et en tribune sur Politis.fr.
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