Des lendemains qui (dé)chantent ?

Bien que suspendue aux résultats de la présidentielle, la recomposition de la gauche se prépare dès aujourd’hui. Et tous les scénarios sont envisageables.

Patrick Piro  et  Pauline Graulle  • 5 avril 2017 abonné·es
Des lendemains qui (dé)chantent ?
© photo : GEOFFROY VAN DER HASSELT/AFP

Une élection peut en cacher une autre. En glissant leur bulletin « Hamon » ou « Mélenchon » dans l’urne le 23 avril prochain, les électeurs savent qu’ils voteront pour désigner le prochain président de la République. Ce qu’ils savent moins, en revanche, c’est qu’ils participeront dans le même temps à dessiner le visage de la gauche française pour la décennie à venir…

« Recomposition ». Si le mot est sur toutes les lèvres et dans toutes les têtes, peu de responsables politiques s’aventurent aujourd’hui à prendre des paris sur ce qu’il adviendra après la présidentielle. La « soupe primitive » politique actuelle finira-t-elle par coaguler en un paysage, somme toute, assez peu différent d’aujourd’hui ? Ouvrira-t-elle au contraire une ère radicalement nouvelle ?

Partout à gauche, sauf peut-être dans le « marais » socialiste, cette dernière hypothèse est envisagée – si ce n’est souhaitée. « Des discussions informelles ont lieu un peu partout, dans le sens d’une ouverture », indique Alain Coulombel, secrétaire national adjoint d’Europe écologie-Les Verts, qui, pour la première fois de son histoire, a renoncé à présenter un candidat à la présidentielle. « Si on retourne chacun dans sa case après la séquence que l’on vit aujourd’hui, ce sera un double échec : on aura participé à casser les appareils, mais on s’y sera laissé enfermer de nouveau », ajoute le Vert Yannick Jadot, rallié à Benoît Hamon, qui voit dans la victoire de son candidat à la primaire du PS, comme dans la percée de Jean-Luc Mélenchon, les signes d’un mouvement irréversible de dépassement des partis traditionnels.

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Pour Éric Coquerel, coordinateur politique du Parti de gauche, l’heure est aussi clairement à rompre les amarres avec l’ancien monde : « Cette élection est surprenante car on assiste, en direct, à la décomposition du paysage politique, à droite comme à gauche. » La recomposition, ce proche du candidat de la France insoumise estime qu’elle « doit se faire à partir de l’affaiblissement, voire de l’éclatement du PS, autour d’un troisième pôle qui prendrait place à côté d’un centre-droit conduit par Macron et d’une droite ultraconservatrice ».

Au PS, certains commencent d’ailleurs déjà à envisager la suite. Pas franchement convaincu que son parti explosera au bout du compte, Gérard Filoche s’attelle toutefois à faire « muter » son courant, Démocratie & Socialisme, « afin de pouvoir sortir si besoin ». Quant à Emmanuel Maurel, un des chefs de file de l’aile gauche au dernier congrès de Poitiers, il n’exclut aucun scénario : ni celui d’un maintien du PS comme parti central de la recomposition, ni celui de la création d’un « grand bloc de gauche » à la gauche d’un nouveau parti centriste. Mais, prévient-il, « ça ne va pas se recomposer tout de suite, et si cela arrive, il va y avoir du boulot ».

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Car tout reste à faire. Quels périmètres, quels contours pourrait avoir ce nouveau bloc ? Yannick Jadot pense qu’il faudrait commencer par « faire candidature commune aux législatives », ce qui passerait par « un accord autour d’une plateforme entre socialistes hamonistes, écolos, communistes et radicaux ». Et tant pis si la France insoumise ne veut pas se joindre à ce rassemblement rouge-rose-vert.

Pour Emmanuel Maurel, en revanche, pas question de faire sans Jean-Luc Mélenchon. Le tout est donc de réussir à le convaincre de rejoindre une « fédération des gauches » qui comprendrait, entre autres, un PS définitivement débarrassé de Manuel Valls et des élus « macronisés » : « Promouvoir le commun sans nier les différences, je crois que c’est possible », espère l’eurodéputé, qui veut croire que les élections européennes, dans deux ans, joueront en faveur du rassemblement : « À la sidération de la présidentielle va succéder l’ébullition, et enfin, dans l’hypothèse optimiste, la fédération. »

Moins optimiste, Gérard Filoche estime, lui, que tout se joue dès aujourd’hui. Si le rassemblement n’a pas lieu avant le premier tour, « c’est une erreur de penser qu’il pourrait se faire plus tard, d’autant qu’après la défaite ce sera l’heure des règlements de comptes », martèle le socialiste. Le risque est donc de se retrouver au final avec deux blocs de gauche : l’un, radical, conduit par Jean-Luc Mélenchon et ses affidés ; l’autre, un nouveau « PSU » écolo-socialiste. Une configuration qui tiendrait en tout cas pour longtemps la gauche loin du pouvoir…

Du côté de chez Mélenchon, on temporise. En février 2016, au lancement de sa candidature, celui-ci avait surpris en proposant de s’appuyer sur « un mouvement citoyen » dont les membres déclareraient leur soutien sur un site Internet. Une fois l’élection passée, annonçait-il dans un texte faisant un peu office de charte pour la France insoumise, « les signataires seront les propriétaires de cet outil et ils décideront s’ils veulent en faire un mouvement politique permanent ». Quand ? Et par quelle procédure les 360 000 signataires – à la date du 4 avril – décideront-ils de l’avenir de ce mouvement et de la forme qu’il prendra ?

« Encore un peu tôt » pour le dire, avance Éric Coquerel, qui précise toutefois que, si un troisième pôle voyait le jour, « toutes les forces qui n’acceptent pas le bipartisme [entre un parti social-libéral et une droite extrémisée, NDLR] auront leur place ». Le conseiller régional d’Île-de-France exclut en revanche de réitérer l’expérience en demi-teinte du Front de gauche : « Un cartel de partis ne répond pas aux formes de politisation actuelles, explique-t-il. Cela ne veut pas dire que les partis ne pourront pas faire partie de ce pôle, mais il faudra imaginer un mouvement qui puisse permettre à ceux qui en ont envie de s’impliquer plus directement, comme cela se fait aujourd’hui, avec succès, par la France insoumise. »

Alain Coulombel est plus sceptique. Et n’imagine pas une dissolution de son parti dans un mouvement plus large : « Je ne crois pas que l’on puisse, à ce stade, se passer des organisations politiques. Même affaiblis comme sont EELV, le PCF, et même une fraction du PS hamoniste qui aurait pris son autonomie, les partis continueront à jouer un rôle. » Gare, également, à ne pas finir en un « Mouvement cinq étoiles » à la française, avertit le numéro 2 du Parti communiste, Olivier Dartigolles : « La recomposition doit se faire, oui. Mais elle doit conserver la référence à la gauche ».

Il y a aussi l’épineuse question du leadership. Si Jean-Luc Mélenchon poursuit sa dynamique et arrive loin devant Benoît Hamon le 23 avril, il sera en position de force pour faire de sa France insoumise un mouvement capable de chapeauter la gauche. D’où l’enjeu pour Benoît Hamon de s’en sortir avec un score honorable…

Restent enfin deux hypothèses qui pourraient rendre mort-né ce long et laborieux travail de la recomposition de l’opposition à gauche. La première, c’est que François Fillon l’emporte, et que le PS se ressoude face à l’adversaire commun. La seconde, que Jean-Luc Mélenchon arrive au second tour et qu’il emporte avec lui la gauche à la victoire.