En marche vers l’individualisation
La logique de droits individuels s’oppose à celle de droits sociaux.
dans l’hebdo N° 1448 Acheter ce numéro
Parmi les candidats à la présidentielle, le plus néolibéral est assurément Emmanuel Macron. Le néolibéralisme est une théorie et une construction institutionnelle qui visent à construire politiquement, bureaucratiquement et techniquement une concurrence généralisée présentée comme la société ouverte et moderne dont nous avons besoin. L’agenda d’un gouvernement néolibéral se réduit donc à « réarmer » les individus les plus faibles pour qu’ils affrontent le marché.
Comme la concurrence suppose la comparaison, il faut donc construire les outils de la comparaison individuelle. Il faut individualiser ce qui est collectif, rendre universel ce qui était spécifique à un secteur ou à un statut et issu d’une histoire sociale. Cette universalisation est alors présentée comme une extension des droits, alors que c’est en réalité une diminution du niveau des garanties fondées sur la solidarité.
La proposition de Macron de transformer l’assurance chômage en droit universel à une prestation chômage est un bon exemple. Le candidat propose de supprimer les cotisations sociales des salariés et de financer cette prestation universelle par la CSG, afin que les indépendants puissent y avoir droit. Cet élargissement sans financement supplémentaire conduira mathématiquement à baisser le niveau des prestations, mais, surtout, l’universalisation permettra à l’État de gérer ce droit en excluant les syndicats. Il sera en mesure de renforcer le contrôle des demandeurs d’emploi, déjà très bureaucratique, via des dispositifs de profilage statistique toujours plus iniques et absurdes au service d’une plus grande concurrence. Dans les faits, c’est gouverner des conduites individuelles par des dispositifs techniques et statistiques visant à contrôler et à orienter les demandeurs d’emploi pour qu’ils se comportent en petites entreprises, comme l’avait bien décrit Michel Foucault.
La logique de l’individualisation des droits s’oppose à celle des droits sociaux. Ces derniers sont fondés sur une participation à la création de la valeur économique commune, et la cotisation est une part de cette valeur commune, qu’il s’agit de répartir politiquement. Tandis que l’individualisation des droits repose sur l’universalité de l’assistance et l’individualisation de l’assurance. La première, payée par l’impôt et gérée par un État en austérité permanente, offre des faibles prestations. La deuxième repose sur une construction bureaucratique et statistique de la mesure des contributions individuelles à la valeur économique. L’objectif politique est de laisser intactes l’organisation et les finalités du travail dans l’entreprise. Cette universalisation/individualisation a séduit une partie de la gauche, qui a cru y voir une source d’émancipation individuelle. Ces droits semblent promettre un dépassement du salariat, d’autant plus souhaité que les garanties collectives liées à ce dernier ont été défaites, que la précarité a été favorisée et que le chômage reste massif.
Ces individualisations construisent l’illusion d’une libération individuelle alors que la liberté est toujours collective, elle est celle de pouvoir se donner collectivement de nouvelles façons de produire ensemble et de vivre ensemble.
Mireille Bruyère membre du conseil scientifique d’Attac.
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