Face au FN, la CGT table sur « un travail de fourmi »
Pour contrer l’influence de l’extrême droite dans ses rangs, la centrale syndicale a impulsé progressivement une approche faite de déconstruction du discours frontiste.
Pour contrer la montée du Front national dans ses rangs, la CGT s’organise. Ce 11 avril, une rencontre ciné-débat était organisée à Valence en présence de Philippe Martinez, secrétaire général du syndicat. Pascal Debay, responsable du collectif confédéral CGT contre l’extrême droite y participait également. Nous l’avons interrogé sur la démarche de son syndicat.
Politis : Aux dernières élections régionales (2015), 27 % des sympathisants CGT ont voté Front national. Quelle est l’influence du FN au sein de la CGT ?
Pascal Debay : Le FN a entrepris une stratégie qui ratisse large. La sociologie du vote FN est différente selon le lieu et touche tout le monde salarial. Les employés, les fonctionnaires, etc. 50 % du vote FN est un vote populaire. Nous faisons face à plusieurs profils. Ceux qui nous préoccupent en priorité sont les jeunes délégués du personnel ou élus syndicaux attirés par l‘image « gendre idéal » que diffuse le FN par le biais de Florian Philippot. Ils se font embarquer par un effet de groupe, et parfois, on les retrouve sur des listes municipales. Leur présence au sein de la CGT et du FN est un paradoxe.
Comment la CGT gère cette double « appartenance » ?
La procédure est complexe et s’adapte au profil qui se présente. Si la personne est convaincue de son engagement, soit nous mettons en place une mesure d’exclusion, soit elle part d’elle-même face à la pression syndicale. Il y a parfois des situations extrêmes comme le cas de Fabien Engelmann, le maire FN d’Hayange, ex-délégué syndical qui voulait absolument rester à la CGT et que nous avons exclu. Mais un tiers des élus fraîchement arrivés quittent le FN une fois qu’ils comprennent le fonctionnement en interne, alors, vis-à-vis de profils moins sûrs d’eux ou de simples sympathisants, nous préférons entamer un dialogue. Pendant des années, on a refusé de discuter avec ces gens en les traitant de « sales fachos ». C’était une erreur, alors que la montée du chômage, la crise sociale, la trahison des politiques de gauche comme de droite ont favorisé le vote FN. Nous tentons d’endiguer cette dynamique.
Comment faites-vous ?
Depuis trois ans et demi la CGT a entamé un travail de fond. En 2013, une commission fédérale – que j’anime – a été créée. Elle est particulièrement active sur des territoires comme le Vaucluse ou la Moselle car se sont des régions impactées par la présence du FN à la tête de municipalités [création d’observatoires de l’extrême droite notamment avec d’autres syndicats Solidaires et FSU dans le cadre de la campagne intersyndicale « Uni-es contre l’extrême droite », NDLR]. Nous avons développé des formations pour les syndicalistes et des outils plus efficaces. On apprend de nos erreurs : faire venir des experts qui vous tiennent le crachoir pendant des heures, cela n’accroche pas avec le public syndicaliste. Aujourd’hui, nous tablons sur un travail de fourmi, par secteur, par entreprise avec du matériel plus abordable, comme le film que nous avons réalisé : Aujourd’hui, comme hier, combattre l’extrême droite, un bon outil pour entamer le dialogue et déconstruire le discours frontiste. Depuis le mois de septembre, notre action monte en puissance. Ce travail de fond met du temps à se mettre en place. C’est une campagne de conviction, nous marchons sur des œufs. Mais nous avons bon espoir, l’électorat FN n’est pas homogène : c’est un conglomérat volatil non stabilisé dont 30 % seulement sont fidèles à chaque élection. Ce n’est pas la CGT qui va tout régler toute seule, mais nous prenons le problème au sérieux.