Ils ont tiré sur les insoumis
Le plan de relance aurait créé trois millions d’emplois utiles.
dans l’hebdo N° 1451 Acheter ce numéro
Le spectre d’une insoumission de la France a hanté l’Europe. Un véritable peloton d’exécution s’est formé pour faire feu sur le programme de Jean-Luc Mélenchon : les plumes acerbes du Figaro et d’autres quotidiens, les voix autorisées de la radio publique, le prix Nobel Jean Tirole, le rédacteur en chef d’Alternatives économiques. Ils ont accusé d’irresponsabilité un programme suspecté de creuser l’endettement et de provoquer une hausse des taux d’intérêt. Ils ont fustigé la hausse des salaires, présumée entraîner une dégradation de la compétitivité et des destructions d’emplois. Ces mercenaires et idiots utiles ont tort.
Le plan de relance de 273 milliards d’euros sur cinq ans aurait provoqué un effet bénéfique sur l’activité utile. Développant la transition écologique, les services publics et la Sécurité sociale intégrale, cette politique aurait créé trois millions d’emplois. Elle était d’autant plus crédible que le budget de fonctionnement et les comptes de la Sécurité sociale auraient été excédentaires, compte tenu de la révolution fiscale envisagée. L’emprunt se limitait à financer le plan d’investissement. Le déficit budgétaire prévu était de 3,5 % du PIB, comparable à ce qu’il fut au cours du quinquennat passé. Le déficit public et le taux d’endettement auraient même décru, au regard des excédents primaires engendrés par la reprise. Il n’y avait donc aucune raison économique pour que les taux d’intérêt se tendent.
La contrainte extérieure avait été parfaitement intégrée dans le calcul du multiplicateur (dont la valeur modérée retenue tenait compte du déficit extérieur prévisible). La hausse de 15 % du salaire minimum aurait-elle été nuisible à la compétitivité ? Favorable au pouvoir d’achat, elle aurait exercé un effet accélérateur sur l’investissement des entreprises. Les TPE-PME auraient absorbé le « choc » grâce, entre autres, à une baisse de l’impôt sur les sociétés (de 33 % à 25 %). La thèse de l’excès du coût du travail ne tient plus dès lors que 85 % des bénéfices nets sont reversés sous forme de dividendes et n’alimentent ni l’investissement ni l’emploi. La hausse de trois points de la taxation des bénéfices non réinvestis et le maintien des actions dans l’assiette de l’ISF avaient pour vocation « d’euthanasier la rente ». Enfin, le retour vers le plein-emploi se serait accompagné, en raison de la relance de la demande et de la hausse des salaires, d’une légère reprise de l’inflation, qui aurait permis d’alléger la dette privée et publique.
La politique proposée nécessitait évidemment de modifier les textes européens pour que les États de la zone euro puissent « s’ajuster » autrement que par l’austérité budgétaire et salariale, à l’origine de la menace déflationniste. Comme elle l’a fait pour l’Espagne, la Grèce, l’Irlande, l’Italie et le Portugal, la BCE aurait eu tout intérêt à activer son programme de rachat de titres sur le marché secondaire pour détendre les conditions d’émission des bons du trésor sur le marché primaire en cas de tensions. Nos partenaires avaient intérêt à militer avec la France en faveur d’une remise en cause du pacte de stabilité et de croissance, d’une harmonisation sociale et fiscale et d’un protectionnisme européen.
Ce programme avait reçu l’appui de 162 économistes du monde entier. Dommage !
Liêm Hoang Ngoc Maître de conférences à Paris-I
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.