Indépendantiste mais pas trop
T’entends bien, Élie Domota ? L’indépendantisme ? Oui ! Mais sous tutelle françousque.
dans l’hebdo N° 1450 Acheter ce numéro
Je ne sais pas ce que tu as fait de ce long et difficultueux dimanche de Pâques ; moi, puisque tu me poses si gentiment la question, j’ai regardé en léger différé le discours que prononçait Jean-Luc Mélenchon (JLM) devant des dizaines de milliers de Toulousain(e)s. (Des gens étranges, par parenthèse, qui n’arrêtaient pas d’agiter des drapeaux français pis que dans un meeting de François Fillon – et qui, à la fin, se sont tou(te)s mis à psalmodier un truc bizarre à base d’« enfants de la patrie » dont « le jour de gloire » était « arrivé » : j’ai pas compris toutes les paroles, mais crois-moi quand je te dis que ça avait l’air bien tendu.)
Conclusion, tous les clichés que t’entends ces jours-ci en boucle sur les talents d’orateur de JLM sont parfaitement fondés : le mec est bon, y a pas – et il dit des choses intéressantes. Là, par exemple, il a proclamé (entre deux levers collectifs de drapeaux bleu, blanc, rouge) qu’il était « un indépendantiste ». Puis de préciser : « Je propose que la souveraineté du peuple soit rétablie entièrement, complètement, dans tous les domaines. » C’est super, j’ai pensé : c’est la meilleure nouvelle de l’année, et j’en sais qui doivent festoyer velu du côté de chez la Kanaky.
Sauf qu’en vrai, c’est beaucoup plus compliqué que ça.
Parce qu’en vrai, dans un autre – non moins édifiant – moment du même discours, le même JLM a aussi déclamé : « La France est une nation universaliste, elle est présente aux portes et sur les cinq continents de l’univers. » Et « nous », la Fraaaaan-ha-haaaan-ce (secouer de drapeaux), « sommes un pays d’Afrique parce que nous sommes à Mayotte et à La Réunion, nous sommes un pays d’Amérique latine parce que la Guyane française est en Amérique latine, nous sommes un peuple des Caraïbes parce que la Guadeloupe, la Martinique et Saint-Martin sont dans les Caraïbes ». Ou encore que « la plus longue frontière de la France est en Guyane, avec le Brésil ».
T’entends bien, Élie Domota ? L’indépendantisme ? Oui ! La souveraineté du peuple ? Oui ! Mais sous tutelle françousque – avis à nos indigénats multicontinentaux –, parce que, pour ce qui est de nous, on ne va certainement pas renoncer à « l’univers », qu’alliez-vous imaginer là ? (Tu croyais quoi, sans déconner ? Qu’on allait te rétrocéder la frontière franco-brésilienne, huit cents bornes de pure extase républicaine ?)
Imaginons maintenant que Jean-Luc Mélenchon soit élu dans quinze jours président de la République. Très bien : on pourra enfin gueuler, sans se faire marave par son fan-club [1], que décidément sa gauche, certes moins uniment rédhibitoire que ce que portent par exemple les « socialistes » (dont le candidat, dans cette élection, n’est pas des pires), diffère encore beaucoup – vraiment beaucoup – de la nôtre.
[1] Genre toi, toi, et toi, qui allez encore vous fendre d’un irrité courrier pour demander quelle espèce d’agent dormant de l’impérialisme yankee ose critiquer Jean-Luc aux heures où de féroces patronats mugissent dans la campagne, mais vas-y, dis-le que tu roules pour Macron.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.