La société civile basque désarme l’ETA

Alors que Madrid et Paris se refusaient, depuis six ans, à entériner l’abandon par l’ETA de la lutte armée, c’est un collectif de citoyens non violents qui vient de livrer l’arsenal de l’organisation à la police française.

Patrick Piro  • 8 avril 2017
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La société civile basque désarme l’ETA
Photo : au micro : Ram Manikkalingam, coordinateur de la Commission internationale de vérification (CIV) ; ensuite, de gauche à droite : Txetx Etcheverry, Matteo Zappi, archevêque de Bologne, Jean-René Etchegaray, maire de Bayonne, Michel Tubiana, président d'honneur de la Ligue des droits de l'homme, Harold Good, révérend irlandais.
© Patrick Piro.

Samedi 8 avril 2017, 7 h 55, instant historique : les Artisans de la Paix annoncent avoir remis à la police française les coordonnées de huit caches de l’ETA, dans les Pyrénées-Atlantiques et d’autres départements du Sud-Ouest, recelant 120 armes, près de trois tonnes d’explosifs et des milliers de munitions. Il s’agit de l’intégralité de l’arsenal de l’organisation séparatiste, qui a renoncé à la lutte armée en 2011.

Par cette courte dépêche, ce collectif de la société civile basque vient « d’officialiser » le désarmement de l’ETA par ses bons soins, une opération que les gouvernements espagnol et français se refusaient d’engager depuis six ans, bloquant tout processus d’apaisement et de résolution de nombreux dossiers en souffrance – les conditions de détention des prisonniers, les mesures frappant les exilés, la reconnaissance de toutes les victimes, les réparations, l’engagement d’un processus de justice « transitionnelle » pour la vérité et la réconciliation au sein de la société basque, etc.

Conférence de presse à la mairie de Bayonne. « Depuis six ans, nous sommes nombreux à avoir attendu ce moment historique », salue le maire Jean-René Etchegaray (UDI), également président de la communauté d’agglomération du Pays basque (qui en rassemble toutes les communes), très impliqué depuis des semaines dans sa facilitation technique et politique. « La société civile a permis de lever un blocage si important qu’il empêchait la construction d’une paix durable dans le Pays basque. Mais ce sont toutes les composantes de la société qui ont été parties prenantes – autorités civiles et religieuses, aux niveaux local et national. »

© Politis

172 observateurs de la société civile

À la tribune, Matteo Zappi, archevêque de Bologne, le révérend Harold Good, qui fut très actif dans le désarmement de l’IRA en Irlande, Txetx Etcheverry, l’une des figures principales des Artisans de la Paix, ainsi que le Sri-Lankais Ram Manikkalingam, coordinateur de la Commission internationale de vérification (CIV), qui a contrôlé depuis six ans la sincérité des engagements pris par l’ETA — arrêt de la violence armée, inventaire de l’arsenal, pose de scellés dans des caches. Il se montre « très satisfait » : « Ce qui s’effectue aujourd’hui constitue pour nous le désarmement effectif de l’ETA. Alors que les deux États concernés, Espagne et France, n’ont eu de cesse de refuser d’engager ce processus, nous assistons aujourd’hui à la naissance d’un nouveau modèle de désarmement et de vérification organisé par des associations, des syndicats, des politiques locaux, des collectifs d’entreprises. »

La CIV a également joué les intermédiaires pour les Artisans de la Paix, afin de remettre les coordonnées des caches aux autorités françaises, qui ont refusé d’articuler leur intervention avec les militants. Sur les huit sites, 172 observateurs de la société civile avaient été postés, avec pour mission d’attendre que la police ait pris les armes en charge. Il avait auparavant été négocié qu’ils ne soient pas arrêtés, pour complicité avec l’ETA par exemple – l’ensemble de l’opération a un caractère illégal.

Le ministère de l’Intérieur prend acte

Les autorités de la Navarre et du Pays basque espagnol étaient d’ailleurs absentes à l’heure des déclarations politiques, à Bayonne. « Elles manifestent leur méfiance envers la société civile », regrette Michel Berhocoirigoin, autre figure des Artisans de la Paix. « Mais la porte reste ouverte à tout moment », ajoute Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme, qui a été impliqué, comme Michel Berhocoirigoin et Txetx Etcheverry entre autres, dans l’opération « test » de désarmement organisée le 16 décembre dernier à Louhossoa (Pyrénées-Atlantiques), point de départ de cette journée du 8 avril.

Le ministère de l’Intérieur s’est rapidement exprimé dans la matinée, en des termes qui marquent un rupture dans la doctrine de Paris : alors qu’à Louhossoa les militants avaient été arrêtés et brièvement associés aux « terroristes de l’ETA », le communiqué du 8 avril prend acte de la remise des armes par l’organisation et de leur sécurisation. Et, autre nouveauté, Paris attendait généralement la réaction de Madrid pour s’y conformer.

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« Ce qui se passe aujourd’hui n’est pas un point final, mais une nécessaire étape sur le chemin d’une résolution complète du conflit, commente Txetx Etcheverry. Et il est remarquable que ce soit le peuple basque dans sa quasi-intégralité qui puisse se revendiquer de cette opération de désarmement. Cela signifie que personne ne pourrait, le cas échéant, se revendiquer de lui pour relancer un cycle de violence. »

Dans l’après-midi, confirmation du soutien populaire avec la convergence d’une foule énorme de 15 000 à 20 000 personnes sur la place Paul-Bert de Bayonne. Des personnalités de tous les secteurs de la société locale et d’ailleurs sont venues saluer sans réserve ce « 8-Avril » historique et exhorter les États espagnol et français à saisir cette occasion unique de clore définitivement un cycle de 80 ans de violence ininterrompue autour de la question basque.

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