« La stratégie du populisme de gauche s’avère payante »
Selon le politologue Mathieu Vieira, Jean-Luc Mélenchon parvient à rassembler classes populaires et moyennes dans une France pourtant droitisée.
dans l’hebdo N° 1449 Acheter ce numéro
Après les années Chirac et Sarkozy, et en dépit de la flambée électorale du Front national (FN) à toutes les élections intermédiaires depuis dix ans, la France serait-elle prête à porter la gauche radicale à l’Élysée ? Le succès de la campagne de Jean-Luc Mélenchon, aujourd’hui devant François Fillon dans les sondages, pourrait le laisser penser… Mais gare à une dynamique « en trompe-l’œil », avertit le chercheur en science politique à Sciences Po-Grenoble Mathieu Vieira.
L’ascension de Jean-Luc Mélenchon dans les sondages valide-t-elle sa stratégie, très critiquée à gauche, du « populisme de gauche » ?
Mathieu Vieira : À mon sens, oui. Cette stratégie inspirée par Chantal Mouffe, et mise en pratique par des mouvements tels que Podemos en Espagne, est en train de s’avérer payante dans la guerre de position à laquelle se livrent aujourd’hui la gauche radicale et la social-démocratie pour l’hégémonie à gauche. En Espagne, en Grèce, mais aussi plus récemment en Autriche, où le SPO a été évincé dès le premier tour à la présidentielle, et aux Pays-Bas, où le parti social-démocrate a dévissé de presque 20 points aux législatives, l’agonie de la social-démocratie laisse place à un paysage politique très polarisé.
Jean-Luc Mélenchon a bien compris que nous nous trouvons dans une phase de radicalisation politique et que le vieux monde de la Ve République suffoque. Aujourd’hui, sa campagne, parce qu’elle est intelligemment menée, semble montrer que seul un populisme (de gauche) est à même de faire le poids face à un autre populisme (de droite), ancré de longue date par le FN dans le paysage politique français. Mélenchon a réussi à recréer une frontière politique entre le « eux » et le « nous » qui ne soit pas xénophobe, et à réintroduire une forme de conflictualité qui permette l’union des classes populaires et des classes moyennes. Ce faisant, il a siphonné l’espace de Benoît Hamon.
Cela veut-il dire que la France est plus de gauche qu’avant ?
Non, le paradoxe de cette percée de la gauche radicale, c’est que le pays reste droitisé. En 2012, François Hollande était d’ailleurs le président de gauche d’une France de droite qui a voté pour lui par défaut, pour sortir Sarkozy. La campagne de Mélenchon ne doit donc pas cacher le fait que le fond de l’air reste à droite. Ainsi, si la déconfiture de Benoît Hamon est une bonne nouvelle pour Mélenchon d’un point de vue électoral, elle doit aussi lui mettre la puce à l’oreille sur le fait que les thèmes de l’écologie, de la sortie du nucléaire ou de la réforme des institutions ne sont pas majoritaires dans l’opinion.
La dynamique de Mélenchon pourrait-elle n’être qu’un feu de paille ?
Il faut replacer sa stratégie sur le temps long : à partir de la création du Parti de gauche, en 2009. Le cycle de 2012, marqué par la naissance du Front de gauche, était une première étape du rassemblement de la gauche française. La seconde, qui advient aujourd’hui, est un rassemblement beaucoup plus large et hétéroclite. Parler de « fusée Mélenchon », comme le font certains commentateurs ces derniers temps, est réducteur : il y a un vrai soubassement structurel à ce succès auquel personne ne s’attendait vraiment. D’ailleurs, cette campagne va laisser des traces indélébiles sur le paysage à gauche.
Néanmoins, il faut rester prudent, car les législatives peuvent jouer un rôle de survivance de l’ordre ancien. La stratégie populiste est très adaptée au système présidentiel, où il est beaucoup question de la rencontre d’un homme et d’un peuple, moins aux législatives, qui favorisent les partis traditionnels.
De même, la stratégie populiste de Jean-Luc Mélenchon peut-elle survivre à l’épreuve du pouvoir ?
C’est une question qui se pose. Pour gagner une élection présidentielle en France, cela nécessite d’agréger une sorte de melting-pot de forces qui ne se parlent pas forcément d’habitude. Mais on voit bien avec Syriza, en Grèce, que l’exercice du pouvoir est difficile pour ces coalitions de gauche radicale : il y a toujours une aile gauche plus contestataire qui est constamment prête au départ.
Mathieu Vieira Chercheur en science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble
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