Les contradictions des candidats
De droite ou de gauche, chacun pronostique le retour de la croissance.
dans l’hebdo N° 1450 Acheter ce numéro
De gauche ou de droite, les candidats affichent de nombreuses contradictions dans leur programme économique, notamment entre l’analyse de la crise et les solutions, et donc leur action conjoncturelle ou structurelle. Les journalistes économiques résument (naïvement) la question à une articulation entre politiques d’offre et de demande. Du côté de la droite, de Fillon à Macron, on réhabilite la loi des débouchés de Say : « L’offre crée sa propre demande. » Il suffirait de produire pour que cette production s’échange sur les marchés, quitte à diminuer les prix de vente. Pour les défenseurs de cette thèse, il s’agit de baisser le coût du travail, notamment les « charges » sociales, pour améliorer la compétitivité des entreprises. Keynes avait en son temps montré l’inanité de cette formule. Les candidats droitiers feraient mieux d’étudier le premier postulat classique de la causalité entre productivité et salaire, que Keynes considérait comme juste. Ils comprendraient pourquoi un ouvrier coréen est mieux payé que son homologue français ! Mieux un ouvrier est formé, plus il fabrique des produits compétitifs et meilleur est son salaire. Le téléphone Samsung Galaxy permet davantage de rémunérer correctement un ouvrier qu’une voiture Logan. Il vaut mieux défendre la compétitivité qualité que prix.
Du côté de la gauche, de Hamon à Mélenchon, la question écologique est intégrée, et l’idée de retrouver la croissance des Trente Glorieuses est écartée. Toutefois, dans le chiffrage de leur cadrage macroéconomique, chacun des candidats envisage des taux de croissance élevés. Leur programme serait plus efficace et leur relance meilleure grâce à un multiplicateur keynésien. Un euro dépensé générerait plus d’un euro de revenu. On loue la politique du carnet de commandes et on se réjouit des taux de croissance donnés par les modèles économétriques. Ces taux nominaux (en incluant l’inflation) dépassent les 4 %, du jamais vu depuis quinze ans en France ! C’est oublier aussi bien la « contrainte de Kaya », qui nécessite une déconnexion entre croissance économique et émission des gaz à effet de serre, que la critique structurelle du modèle de production/consommation [1].
Si une croissance temporaire est possible, comme en 2010-2011, elle reste illusoire. Résoudre la crise écologique nécessite de changer de modèle économique et donc de modifier les paramètres des modèles économétriques qui prédisent des taux de croissance élevés. Il faut sortir de ce syllogisme fallacieux : « Ma politique est meilleure car elle permet le meilleur taux de croissance. » Une politique structurelle, celle qui modifie notre mode de production, doit rester la priorité, car elle seule permet une compatibilité entre la production et la survie de l’humanité. De droite ou de gauche, chacun pronostique le retour de la croissance grâce à sa politique qui permet mécaniquement de baisser le taux d’endettement de la France et de respecter les critères de Maastricht. Il est difficile d’être un économiste écologiste ! Si Mélenchon et Hamon ont compris l’enjeu de l’Anthropocène, il leur manque la cohérence d’une société post-croissance.
[1] Voir notre analyse de la crise, avec Yann Moulier-Boutang, « Une lecture écologiste de la crise, la première crise socio-écologique du capitalisme », Ecorev’ n° 32, mai 2009.
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.