L’invention coloniale du Moyen-Orient

En suivant une méthode originale, Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud éclairent le tragique de l’actualité.

Denis Sieffert  • 12 avril 2017 abonnés
L’invention coloniale du Moyen-Orient
© photo : RABIH MOGHRABI/AFP

En ces temps de campagne électorale où l’ignorance sur le Moyen-Orient le dispute trop souvent à la mauvaise foi, il est réconfortant de lire le livre d’authentiques spécialistes de cette région du monde. Le rédacteur en chef de la revue Confluences Méditerranée, Pierre Blanc, et le directeur de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO), Jean-Paul Chagnollaud, n’en sont pas à leur coup d’essai. Nous avions déjà eu l’occasion d’évoquer un précédent ouvrage consacré aux rapports entre violence et politique au Moyen-Orient (éd. Sciences Po, 2014). Ils nous proposent cette fois une remarquable synthèse d’une histoire qu’ils ont le mérite de traiter dans son unité. C’est l’originalité de leur travail.

La Syrie, le Liban, l’Irak, le conflit israélo-palestinien et les pays du Golfe sont d’abord saisis en ce qu’ils ont de commun : des frontières imposées par les puissances coloniales, l’instrumentalisation de leurs élites par les mêmes capitales occidentales, et des vagues successives de répression écrasant toute velléité de révolte. On ne comprend rien, par exemple, à la Syrie – puisque c’est hélas l’actualité – si on nie ce que les auteurs appellent « l’hystérèse coloniale ». C’est ce passé encore proche qui explique la violence endémique, la récurrence des régimes autoritaires ainsi que l’importance de la « polarisation communautaire ». En Syrie, comme en Irak et au Liban, écrivent Blanc et Chagnollaud, « les différences ethno-religieuses ont plus ou moins rapidement défini les lignes de front ».

Le régime de Damas, notamment, fait l’objet d’une analyse pénétrante qui devrait ôter au lecteur toute naïveté à son égard. Encore une fois, il faut remonter à la période coloniale, ou plus précisément à ce « bricolage juridique » que fut le mandat français, pour comprendre la place de la communauté alaouite dont sont issus les Assad. Tour à tour discriminées par les sunnites, qui les considèrent comme des apostats, puis instrumentalisées par la France et « intégrées aux commandements de l’armée », les élites alaouites sont nourries d’un esprit de revanche quand l’un d’entre eux, Hafez Al-Assad, le père de Bachar, accède au pouvoir, en 1970. La violence était donc déjà déterminée par le lourd héritage colonial.

Les auteurs s’attardent aussi sur le sort de ces peuples qui ont été « marginalisés » par les grandes puissances : Kurdes, Palestiniens et Arméniens, qui subissent toujours, un siècle plus tard, les conséquences du découpage colonial. Blanc et Chagnollaud nous livrent une synthèse remarquablement pédagogique, sans rien céder de la complexité des situations. Ils sont aidés en cela par une trentaine de cartes et d’infographies qui foisonnent d’informations sur les implantations communautaires en Irak et en Syrie, sur la fragmentation territoriale de la Cisjordanie occupée, et même sur les rapports américano-russes en Méditerranée.

L’Invention tragique du Moyen-Orient, éditions Autrement, 155 p., 18,90 euros.

Idées
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