Mantes-la-Ville : « Ici, on est Mélenchon »

À Mantes-la-Ville, seule commune d’Île-de-France dirigée par le FN, le candidat de la France insoumise double son score de 2012.

Erwan Manac'h  • 26 avril 2017 abonné·es
Mantes-la-Ville : « Ici, on est Mélenchon »
© photo : Kristina Afanasyeva / Sputnik / AFP

Une après-midi paisible s’écoule au « Rush Hour » café, à l’ombre des immeubles de la place centrale des Merisiers, quartier populaire de Mantes-la-Ville (Yvelines). En fond, BFM murmure les chiffres de l’abstention et enchaîne les duplex fiévreux en attendant 20 heures. Mohammed et Salah, 49 ans tous les deux, s’éternisent dans un débat passionné. Le premier, informaticien et socialiste de tradition, sirote un thé en devisant sur l’éducation, « le règne du tout-libéral » et la question palestinienne, un des points déterminants dans son choix. Le second enquille les cafés en avouant sa nostalgie de Jacques Chirac, de Dominique de Villepin et d’Alain Juppé. Il a voté socialiste en 2012, mais valide plusieurs idées du Front national, bien qu’étant musulman. Il se montre sévère envers le programme « infinançable » de la France insoumise (FI) : « Le smic à 1 700 euros [bruts mensuels] comme le propose Mélenchon, c’est impossible », tranche-t-il.

Tous deux, pourtant, ont glissé ce dimanche un bulletin Mélenchon dans l’urne, pour la première fois. Parce qu’il est « le plus raisonnable » et qu’ils ont été happés par ses vidéos sur YouTube. « Avant, c’était une grande gueule. Maintenant, il a trouvé la sérénité », assure Salah. « Il donne du poids à la France », ajoute Mohammed.

Au coin de la place, la dizaine de jeunes qui prennent un bain de soleil sont eux aussi unanimes. « Ici, on est Mélenchon, lâche Abdoulaye, agent de réservation de 24 ans, c’est le seul qui parle clairement. Il ne va pas nous la faire à l’envers. » La « gauche » ne leur évoque rien de concret, et ils gardent le sentiment que « le Président est déjà choisi », mais voter, cette fois-ci, revêtait une importance capitale. Certains, poursuit Mehdi, 28 ans, sur le seuil de la supérette où il officie à quelques mètres de là, « ne suivent même pas le cours de leur propre vie, comment pourraient-ils s’intéresser à la politique ? Mais Internet a permis d’atteindre des gens nouveaux », témoigne-t-il.

Mantes-la-Ville a élu en 2014 un maire Front national, avec un tiers de votes et seulement 61 voix d’avance sur le second, dans une quadrangulaire présentant deux listes de gauche, et 42 % d’abstention. La nouvelle équipe municipale, la seule frontiste d’Île-de-France, a recueilli 2 000 voix sur une commune de 20 000 habitants. Depuis, le maire gouverne sans faire de vagues. Ses coups de menton contre la nouvelle mosquée aux Merisiers n’ont pas empêché l’ouverture du lieu de culte. « Ils ont réussi à nous amadouer », soupire Mohamed. Avec un club d’amitié efficace pour le troisième âge et malgré des coupes de subventions pour le Centre de vie sociale et l’école des sports.

Le résultat de dimanche est en rupture avec l’épisode de 2014. L’abstention a reculé à 29 %, au niveau de 2012, et le Front national a lui aussi reflué à 22 %, perdant 200 voix par rapport aux municipales. Surtout, Jean-Luc Mélenchon double son score par rapport à 2012 et arrive loin devant avec 28 % des voix, suivi par le FN et En marche ! à 22 %, LR à 11,6 % et le PS à 6,6 %. Dans le bureau de vote des Merisiers, la FI obtient 44 % des voix, avec 40 % d’abstention. « Les jeunes ont énormément voté dans le bureau du quartier, ils se passaient le mot », témoigne Monique Brochot, l’ex-maire PS de la ville.

Dimanche, 13 heures. Romain Carbonne sillonne la ville de bureau en bureau afin d’observer le scrutin pour la France insoumise. Longtemps socialiste, cet ingénieur commercial de 33 ans s’est engagé pour sa première campagne politique, vivement déçu par François Hollande. « Ça a été une campagne dingue, lâche-t-il. Je connais énormément de gens qui ont été convaincus par les vidéos sur YouTube. » Le jeune militant a aussi créé, il y a trois ans, avec quelques citoyens choqués comme lui par l’élection du FN, le « Cric » : Collectif de réflexion et d’initiatives citoyennes. « Nous ne voulions pas taper de manière frontale sur le FN. D’autres le font déjà avec des résultats peu probants. Notre ambition est d’intéresser les gens à la politique », expose le jeune père de famille. « Les gens ont une très grande méfiance envers “la politique”. Nous essayons donc d’avancer par plusieurs bouts ». En l’occurrence, des fêtes de quartier et des ateliers de recueils de témoignages, notamment.

« Les gens perçoivent que le changement ne peut pas se faire dans le cadre institutionnel qui a amené la crise », analyse Lahsen Zbayar, ancien élu du Parti de gauche à la ville, qui observe les passages devant un bureau de vote du centre-ville. La réussite de la France insoumise, selon lui, est d’avoir donné aux jeunes « le sentiment qu’ils pouvaient venir s’exprimer sans avoir besoin de ticket d’entrée ».

Le résultat du vote de dimanche fait localement l’effet d’un big-bang dont il est encore impossible de mesurer l’impact sur le paysage politique. Jean-Luc Mélenchon est également en tête dans les villes voisines de Mantes-la-Jolie et Limay, qui composent la circonscription pour les législatives avec Mantes-la-Ville. Une reconfiguration de la politique locale commence donc, avec l’implosion prévisible du Parti socialiste et l’émergence de la FI et d’En marche !, qui n’ont pour l’heure pas désigné leur candidat aux législatives. L’ancienne maire, Monique Brochot, souhaite « quelqu’un de la nouvelle génération capable de rassembler la gauche ». Les regards se tournent donc vers la députée sortante socialiste, Françoise Descamps-Crosnier, et son attitude vis-à-vis d’En marche !. « Le résultat d’hier va obliger les partis historiques à faire confiance à de nouveaux acteurs, engagés depuis des années dans le monde associatif », espère Samad, 36 ans, consultant pour une banque à Paris et observateur attentif de la vie politique mantevilloise depuis un passage bref (et décevant) au Parti socialiste.

De son côté, la France insoumise s’est entendue avec les Verts et une partie du PCF sur un tandem de candidats dont elle tait encore les noms. Celui-ci pourrait être confronté à une candidature PCF dissidente. Et à une inconnue de taille : le niveau élevé de participation, notamment chez les jeunes et dans les quartiers populaires, qui a placé la FI en tête dans les trois villes composant la circonscription, perdurera-t-il jusqu’aux législatives, les 11 et 18 juin ?

Pour aller plus loin…

Congrès PS : sauver ou dégager Olivier Faure ? Les socialistes à fond les manœuvres
Politique 22 novembre 2024 abonné·es

Congrès PS : sauver ou dégager Olivier Faure ? Les socialistes à fond les manœuvres

Les opposants au premier secrétaire du parti tentent de rassembler tous les sociaux-démocrates pour tenter de renverser Olivier Faure. Mais le patron des roses n’a pas dit son dernier mot. Au cœur des débats, le rapport aux insoumis. Une nouvelle fois.
Par Lucas Sarafian
2026 : un scrutin crucial pour les quartiers populaires
Quartiers 20 novembre 2024 abonné·es

2026 : un scrutin crucial pour les quartiers populaires

Assurés d’être centraux dans le logiciel insoumis, tout en assumant leur autonomie, de nombreux militant·es estiment que 2026 sera leur élection.
Par Hugo Boursier
« Les municipales sont vitales pour que La France insoumise perdure »
Élections municipales 20 novembre 2024 abonné·es

« Les municipales sont vitales pour que La France insoumise perdure »

L’historien Gilles Candar, spécialiste de la gauche et membre du conseil d’administration de la Fondation Jean-Jaurès, analyse l’institutionnalisation du mouvement mélenchoniste et expose le « dilemme » auquel seront confrontés ses membres aux élections de 2026 : l’union ou l’autonomie.
Par Lucas Sarafian
Municipales 2026 : LFI à la conquête des villes
Enquête 20 novembre 2024 abonné·es

Municipales 2026 : LFI à la conquête des villes

Le mouvement insoumis prépare son offensive pour remporter des mairies aux prochaines municipales. Des élections qui engagent un bras-de-fer avec les socialistes et légitimeraient la stratégie de Jean-Luc Mélenchon sur l’abstentionnisme et les quartiers populaires.
Par Lucas Sarafian