Mélenchon et l’exemple vénézuélien : triste tropisme ?
Le « mélenchonisme » est-il est un « chávisme » ? C’est une source d’inspiration, certes, mais pas forcément là où on l’attend.
dans l’hebdo N° 1450 Acheter ce numéro
« Mélenchon : le délirant projet du Chávez français ». Le 12 avril, Le Figaro dégainait le bazooka pour s’en prendre à « l’apôtre des dictateurs révolutionnaires sud-américains ». Lequel, après avoir « vénéré » Fidel Castro puis Hugo Chávez, Président vénézuélien de 1999 à sa mort, en 2013, nourrirait désormais le sombre dessein d’intégrer la France à l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (Alba), une organisation de coopération anti-atlantiste prétendument sulfureuse – en réalité, vraie coquille vide [1]…
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À dix jours du premier tour, il n’en fallait pas plus pour que les procès en « chávisme » se mettent à pleuvoir dru sur le candidat de la France insoumise. Pour l’accuser tantôt de vouloir instaurer un régime autoritaire à la manière de l’ancien président vénézuélien ; tantôt de promettre à la France le même destin que le Venezuela, qui traverse aujourd’hui la plus grave crise économique et humanitaire de son histoire.
Dans quelle mesure la gauche sud-américaine est-elle une source d’inspiration pour Jean-Luc Mélenchon ? Et au fond, est-ce si grave ? « Au cours des années 2000, Mélenchon s’est rendu plusieurs fois en Amérique latine pour observer et étudier de près les mouvements de contestation populaires et politiques au néolibéralisme. C’est dans cette phase qu’il a pu rencontrer Chávez, Correa ou Morales », explique Christophe Ventura, auteur de L’Éveil d’un continent, géopolitique de l’Amérique latine [1]. Depuis, comme bien d’autres politiques, de Besancenot à Chevènement, « Mélenchon a pu pâtir d’une exaltation lyrique et parfois sous-informée sur l’Amérique latine », ironise Marc Saint-Upéry, journaliste français en Équateur, qui estime que « sa manière de parfois tout ramener à la CIA », comme sa méfiance envers la presse, ne sont pas sans rappeler le « style » de Chávez ou de Correa.
Empruntant à ce dernier l’expression de « révolution citoyenne », Mélenchon n’a sans doute pas été insensible au charme politique des hommes forts du sous-continent américain qui ont fait bifurquer l’histoire. « Ce type de leadership “personnalisé” vient du fait qu’ils doivent incarner et représenter des mouvements initialement très hétérogènes qui ne se cimentent pas via les organisations politiques et sociales traditionnelles, inexistantes ou décrédibilisées dans la population, analyse Christophe Ventura. Ce sont ces dynamiques qui ont intéressé Mélenchon. Il a réfléchi à ce que cela pourrait signifier dans le contexte européen et français. La singularité du processus vénézuélien est que c’est Chávez qui a précédé l’existence d’un véritable mouvement social. Il l’a stimulé. » Plus qu’une duplication de la politique de Chávez, « qui a d’abord consisté à éponger la dette sociale du pays en redistribuant l’argent du pétrole, sans modifier véritablement le système productif », c’est donc surtout sa manière de conquérir le pouvoir qui a nourri la théorie d’action du leader de la France insoumise dans l’Hexagone, comme Podemos en Espagne.
« Entre Chávez et Mélenchon, la filiation est plus stratégique qu’idéologique », confirme Fabrice Andreani, doctorant en science politique à Lyon-II. L’idée de faire la révolution par les urnes, de sortir la gauche de son lit partidaire, de faire participer les citoyens via des groupes locaux autonomes (les « communes » vénézuéliennes) ou d’inclure des pans entiers de la population dans le débat politique par des consultations politiques nationales très fréquentes… L’idée de la constituante ou du référendum révocatoire proposée par la France insoumise ? Chávez, là encore.
« Mélenchon donne crédit à Chávez de son action démocratique et du fait qu’il a sorti beaucoup de gens de la pauvreté, mais il a dit à raison qu’une bonne part de la manne pétrolière avait été dilapidée par la corruption. En revanche, il ne prend sans doute pas la pleine mesure du virage autoritaire opéré par son héritier, Nicolás Maduro, qui gouverne via l’état d’urgence », souligne Fabrice Andréani.
« Après la mort de Chávez, Maduro s’est distancié du “chávisme populaire”, très présent à l’époque de Chávez, au bénéfice du “chávisme bureaucratique” », ajoute Yoletty Bracho, doctorante en science politique à Lyon-II. « Le problème auquel était confronté hier Chávez, aujourd’hui Podemos, et peut-être Mélenchon demain, c’est qu’une fois au pouvoir, il faut pouvoir l’exercer, ce qui passe nécessairement par des alliances dans la gauche de la gauche et le mouvement social », poursuit la chercheuse. À bon entendeur…
[1] Armand Colin, 2014.