Monsanto reconnu coupable par le tribunal citoyen de La Haye
Les magistrats mandatés par la société civile pour faire le procès symbolique du géant de l’agro-industrie l’ont déclaré coupable sur quatre des six chefs « d’inculpation » retenus.
Fin octobre 2016, un collectif d’organisations citoyennes organisaient à La Haye (Pays-Bas) un « Tribunal Monsanto » pour faire juger, par cinq professionnels du droit internationalement reconnus, les agissements de la multinationale qui diffuse partout dans le monde ses semences OGM ainsi que ses pesticides, dont le fameux Roundup.
La juge belge Françoise Tulkens, présidente de cette cour symbolique, avait averti qu’il ne fallait pas en attendre de délibération avant « plusieurs semaines, voire plusieurs mois » à la suite des deux journées d’audience (15 et 16 octobre) : tout bénévoles soient-ils, les magistrats n’étaient pas venus se prêter à un show médiatique, mais à un véritable exercice juridique, nécessitant un examen consciencieux des très nombreuses pièces déposées par les plaignants et témoins.
L’avis de la cour citoyenne est tombé le 18 avril. Elle avait à répondre à six questions.
1 – La firme Monsanto a-t-elle porté atteinte au droit à un environnement sûr, propre, sain et durable, tel que reconnu en droit international des droits de l’homme ?
OUI. Les témoignages montrent des impacts variés sur la santé humaine dans de nombreux pays, notamment chez les agriculteurs et souvent dans des communautés et peuples autochtones, sur la santé animale ainsi que sur les sols, les plantes et organismes aquatiques – la biodiversité en général –, en raison des épandages de pesticides de la firme. Les semences OGM sont également incriminées.
2 – La firme Monsanto a-t-elle porté atteinte au droit à l’alimentation, tel que celui-ci est reconnu par le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ?
OUI. De l’avis du tribunal, Monsanto déroge à la responsabilité de respecter ce droit notamment au regard des principes directeurs pour les entreprises multinationales de l’OCDE et des principes directeurs sur les entreprises et les droits de l’homme : impacts négatifs sur les systèmes de production, les écosystèmes, apparition d’espèces invasives, etc. ; les activités de Monsanto conduisent à affecter la disponibilité de l’alimentation pour les individus et pour les communautés, ainsi qu’à leur capacité à se nourrir par eux-mêmes directement ou à choisir des semences non OGM.
3 – La firme Monsanto a-t-elle porté atteinte au droit au meilleur état de santé que toute personne est capable d’atteindre, selon le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que selon la convention relative aux droits de l’enfant ?
OUI. Les plaintes abondent concernant de graves malformations de naissance, des lymphomes non hodgkiniens, des maladies chroniques, des empoisonnement et des décès suite à l’exposition directe ou indirecte à des produits de Monsanto.
4 – La firme Monsanto a-t-elle porté atteinte à la liberté de la recherche scientifique, garantie par le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que par le pacte international relatif aux droits civils et politiques ?
OUI. Là encore, plusieurs forts témoignages d’agronomes et de biologistes moléculaires : plantations illégales d’OGM, faux rapports rassurants commandités par la firme, campagnes massives de dénigrement de recherches scientifiques indépendantes… Des atteintes d’autant plus graves qu’elles privent la société de la possibilité de protéger ses droits fondamentaux, appuie l’avis.
5 – La firme Monsanto est-elle complice de crime de guerre, selon le statut de la Cour pénale internationale, par la fourniture de l’agent orange utilisé pendant la guerre du Vietnam ?
DOUTE. « En l’état actuel du droit international et en l’absence de preuves particulières, le tribunal n’est pas en mesure de répondre de manière définitive à la question qui lui est posée. » Les magistrats relèvent néanmoins que Monsanto connaissait la destination de ses produits et les conséquences de leur déversement ; et que la reconnaissance du crime « d’écocide » permettrait de répondre oui à la question.
6 – Les faits attribués à Monsanto relèvent-ils du crime d’écocide – atteinte grave portée à l’environnement, pouvant altérer des biens communs globaux ou des services écosystémiques dont dépendent certains groupes humains ?
DOUTE. Car, là encore, ce crime n’est pas reconnu en droit international. Le tribunal estime cependant qu’il y aurait aujourd’hui largement matière à l’y intégrer. Si c’était le cas, Monsanto tomberait notamment sous le coup de crime d’écocide pour avoir fourni à la Colombie des herbicides destinés à des épandages aériens sur des plantations de coca ou pour avoir produit et diffusé à très grande échelle des substances agricoles dangereuses, ainsi que des OGM.
Le tribunal prend également position sur deux points de principe très importants. Il est nécessaire :
– d’affirmer la primauté des droits de l’homme et de l’environnement à l’échelle internationale, sur les règles protégeant les investisseurs et le commerce ;
– de tenir pour responsable des acteurs non étatiques, comme les multinationales, en droit international des droits de l’homme ;
L’avis de ce tribunal citoyen, s’il est de pure forme, a cependant une portée opérationnelle rappellent les magistrats, car il peut être invoqué comme dire d’experts devant une cour de justice conventionnelle saisie par des victimes de firmes agro-industrielles, Monsanto ou autres.
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