Pas si facile, de passer en 6e !
Si Jean-Luc Mélenchon est élu, il convoquera une assemblée constituante chargée d’écrire une nouvelle constitution. Coup de génie ou usine à gaz ?
dans l’hebdo N° 1450 Acheter ce numéro
C’est la pierre angulaire de son programme, mais aussi, peut-être, son talon d’Achille. Contre la « monarchie républicaine » d’une Ve République déliquescente, Jean-Luc Mélenchon a promis qu’il mettrait sur les rails, dès son arrivée au pouvoir, une 6e République plus démocratique, plus participative et plus représentative. Mesure phare de cette nouvelle constitution : le référendum révocatoire permettant aux Français de déchoir les élus de leur fonction.
Ce projet tient particulièrement au cœur du candidat de la France insoumise, qui l’avait porté dès 2012 dans son programme « L’humain d’abord », puis via son éphémère mouvement du « M6R » en 2014. Comme au Venezuela en 1999, ou en Tunisie après la révolution de 2011, et puisque « c’est au peuple d’écrire son histoire », Jean-Luc Mélenchon a annoncé qu’il fera appel à une « assemblée constituante » composée de citoyens et d’élus qui seront chargés d’élaborer cette nouvelle constitution. C’est en vertu de l’article 11 de la Constitution actuelle, qui permet d’organiser un référendum sans majorité politique au Parlement, qu’il compte convoquer cette assemblée constituante. Un second référendum sera organisé par la suite pour adopter la constitution découlant de ses travaux.
Sur le papier, cela semble simple. Mais le chemin vers la 6e s’annonce semé d’embûches politiques et de chausse-trappes juridiques. Et il n’est pas dit qu’au final la montagne n’accouche pas d’une souris…
Quel serait le calendrier ? Le premier référendum serait organisé juste après les législatives, soit à l’automne prochain. Il s’agira pour les Français de voter pour ou contre la convocation d’une assemblée constituante. En cas de « oui », l’Assemblée aura deux ans pour écrire la nouvelle constitution, qui sera à son tour soumise à référendum en 2020. Pendant ce temps, le Parlement fonctionnera normalement : tandis que l’assemblée constituante planchera sur la constitution, une nouvelle majorité, que Jean-Luc Mélenchon espère « insoumise », appliquera son programme : « L’avenir en commun ».
Comment cette assemblée fonctionnera-t-elle ? Jean-Luc Mélenchon est resté volontairement flou sur cette question, arguant que c’est aux citoyens de choisir. Tout juste la France insoumise recommande-t-elle que l’Assemblée soit composée, d’une part, d’élus qui, pour des raisons de conflits d’intérêts, ne pourront pas avoir déjà été parlementaires, et, d’autre part, de citoyens tirés au sort.
En réalité, la France insoumise a déjà commencé à faire plancher les citoyens sur le sujet. Le 12 avril, une centaine de volontaires étaient réunis à Paris sous la houlette de la constitutionnaliste Charlotte Girard, responsable du programme de la France insoumise, et de l’avocate Raquel Garrido. Lors de cette « soirée historique », les participants, réunis en petits groupes, ont formulé des propositions pour définir les contours de la future assemblée constituante. Quel serait son mandat exact ? Comment serait-elle composée ? La question a d’autant plus d’importance que l’« on sait que la manière de produire une constitution produit des effets sur la Constitution elle-même, souligne Charlotte Girard. Le travail de constitutionnalité revient au peuple souverain. On veut que les citoyens s’approprient cette constituante, qu’ils en soient les acteurs, car, en fin de compte, ce sont eux qui écriront la loi ».
Au terme de la soirée du 12 avril, les propositions des participants, consignées par des juristes bénévoles, ont convergé vers quelques grands principes : si la constituante est adoptée par le référendum, l’assemblée sera composée d’un millier de personnes (grosso modo, le nombre de parlementaires des deux chambres réunies), la répartition entre élus (des partis traditionnels) et citoyens tirés au sort se fera via un vote. Enfin, l’assemblée devra mettre en place un dispositif d’audition des citoyens afin de les faire participer au débat.
Quelles sont les chances pour que cela aboutisse ? De la convocation du premier référendum à la constitution finale, c’est une longue route escarpée qui se dessine. Certains constitutionnalistes s’interrogent déjà sur la validité de l’article 11 pour déclencher les grandes manœuvres, d’autres sur le fait que le Conseil constitutionnel pourrait retarder ou entraver le processus. D’autres encore s’inquiètent de ce que le Premier ministre pourrait faire blocage en cas de cohabitation au Parlement. « C’est pour cela que l’on va demander au Premier ministre des garanties avant de le nommer », a expliqué Raquel Garrido, le 12 avril. Un « donnant-donnant » plutôt iconoclaste…
Restent aussi des questions plus philosophiques. Comment être sûr que « le peuple », tenu éloigné depuis un demi-siècle du pouvoir législatif par la Ve République, rédigera une constitution plus démocratique que l’actuelle ? Et faut-il vraiment repartir de zéro pour améliorer la Constitution française ? « Nous sommes arrivés à la conclusion que la Ve République n’est pas réformable en l’état : toutes les révisions qui ont eu lieu n’ont pas réussi à inverser sa pente “monarchique”, qui semble comme inscrite dans son ADN », estime Charlotte Girard. Sur le reste, « nous faisons le pari que les gens vont retrouver une légitimité et une compétence à s’emparer de cette question constitutionnelle », ajoute-t-elle, prenant pour exemple l’épisode de 2005, quand le Traité constitutionnel européen avait enfiévré la France des mois durant.
Mais, les périls ne manquent pas. À commencer par les opposants de droite et du PS macronisé. Qu’adviendrait-il si le « non » l’emportait au référendum de l’automne ?