Pays basque : L’espoir d’une paix durable

Le 8 avril, un collectif de militants non-violents a remis à la police française tout l’armement de l’ETA. Aux gouvernements, maintenant, de faire un pas vers la réconciliation.

Patrick Piro  • 12 avril 2017 abonné·es
Pays basque : L’espoir d’une paix durable
© photo : Patrick Piro

Le regard des gens ! Il y avait de l’espoir partout ! » Anaiz Funosas peine à revenir sur terre, au pied de l’immense tribune dressée ce samedi 8 avril, place Paul-Bert, à Bayonne. La présidente du mouvement Bake Bidea, qui œuvre depuis près de dix ans à l’instauration de la paix au Pays basque, avait rejoint une centaine d’intervenants – représentants de syndicats, d’associations, de mouvements religieux, de paysans, d’entreprises, de partis politiques – venus saluer la portée historique de l’événement de la matinée : la remise de tout l’armement de l’ETA à la police française, par l’intermédiaire de militants non-violents.

« Une remarquable adhésion : personne ne pourrait, le cas échéant, se revendiquer du peuple basque pour relancer un cycle de violence », commente Txetx Etcheverry, l’une des principales figures du collectif des Artisans de la paix, à l’origine de l’opération. Une foule de près de 20 000 personnes applaudit sans réserve, parcourue de slogans basques familiers qui vibrent avec un regain d’optimisme sous un ciel sans nuages : « Les prisonniers à la maison ! L’amnistie pour les exilés ! »

L’ETA a renoncé sans conditions à la lutte armée en 2011. Mais Madrid et Paris ont toujours refusé d’entériner cette décision, bloquant depuis toute issue définitive à un demi-siècle de violence armée sur le territoire basque, de part et d’autre de la frontière franco-espagnole. Le révérend Harold Good, personnalité clé du processus de désarmement en Irlande du Nord, exhorte la société civile, forte de cette réussite, à intensifier sa pression. « Exigez le respect du droit et des mesures humanitaires pour les prisonniers ! »

Une exigence cruciale pour le processus de paix au Pays basque. Celui-ci nécessitera aussi d’aborder le sort des sympathisants exilés, la reconnaissance de toutes les victimes, les réparations et l’établissement de la vérité, avant de parler de réconciliation au sein de la société basque. « Si l’on pense que ce 8 avril marque la fin du processus de violence, on se trompe lourdement ! », martèle Joseba Azkarraga, porte-parole de la plateforme Sare pour le droit des prisonniers basques, et ancien secrétaire à la justice du gouvernement basque (Espagne), lors d’un débat organisé pendant cette journée.

Le legs de l’ETA

La résistance basque, née il y a quatre-vingts ans dans la lutte contre le dictateur Franco, prend les armes à la fin des années 1950 pour défendre ses objectifs séparatistes. L’extinction totale de cette lutte armée, la dernière du continent européen, passera par son auto-dissolution formelle, qui pourrait intervenir très rapidement. Moribonde, l’organisation ne compterait plus qu’une centaine, voire une trentaine, de membres. Au bilan de trois générations de violence : plus de 800 victimes, auxquelles s’ajoutent 200 à 300 « meurtres d’État » non élucidés commis contre les militants d’ETA et leurs soutiens. On recense à ce jour 350 prisonniers basques et autant d’exilés.
Les observateurs s’alarmaient de voir l’intransigeance des gouvernements alimenter la frustration et l’humiliation – et, chez certains, des velléités de retour à l’action radicale. En octobre dernier, Txetx Etcheverry, Michel Berhocoirigoin, figure du monde paysan, et d’autres militants basques à l’engagement non-violent connu de longue date, prennent contact avec la direction de l’ETA, qui leur concède un mandat pour conclure ce désarmement unilatéralement engagé. Et c’est l’opération du 16 décembre dernier à Louhossoa (Pyrénées-Atlantiques) : cinq militants entreprennent de mettre hors d’usage un lot d’armes de l’ETA. Surpris par la police, ils seront placés en garde à vue pendant quatre jours. Le communiqué de Bruno Le Roux, alors ministre de l’Intérieur, se félicite de ce « coup dur » porté aux « terroristes ». L’émoi est considérable au Pays basque, mais aussi au-delà, eu égard à la personnalité des interpellés et à leurs intentions. Ces « Artisans de la paix », dénomination surgie à cette occasion, offrent aux autorités de saisir cette ouverture pour faire avancer le processus. En vain…

La présidentielle approchant, avec ses incertitudes, le collectif annonce le 17 mars que le désarmement de l’ETA sera effectif le 8 avril. Les militants mobilisent des centaines de bénévoles et de personnalités, coinçant le gouvernement par un dispositif ingénieux dévoilé publiquement : le matin même, le procureur de la République de Bayonne reçoit les coordonnées de huit caches situées dans les Pyrénées-Atlantiques, où sont postés une vingtaine d’observateurs dans l’attente de l’arrivée des forces de l’ordre afin de témoigner qu’elles se sont effectivement saisies de quelque 120 armes, 3,5 tonnes d’explosifs et des milliers de munitions, soit l’intégralité de l’arsenal de l’organisation clandestine.

L’eurodéputé José Bové était présent en forêt d’Etcharry, où étaient enfouis plusieurs bidons de 200 litres d’explosif. « Tout s’est passé très correctement. Les démineurs et la police sont arrivés au bout d’une heure, nous leur avons remis nos identités avant de nous éclipser. Cette journée marque un moment de politique très fort, de ceux qui voient la société civile poser un acte l’engageant tout entière. »

Lors d’une conférence de presse solennelle organisée simultanément en mairie de Bayonne, le Sri-Lankais Ram Manikkalingam, spécialiste de la résolution de conflits et porte-parole de la Commission internationale de vérification (CIV), le souligne également : « Nous assistons à l’émergence d’un nouveau modèle de désarmement et de vérification. » La CIV, composée de personnalités internationales indépendantes, s’est employée depuis 2011 à garantir que l’ETA respecterait ses engagements – fin définitive des opérations armées, inventaire de son arsenal et mise sous scellés. « Nous considérons comme effectif le désarmement de l’ETA », conclut Ram Manikkalingam.

« Nous sommes nombreux à avoir attendu ce moment historique », se félicite le maire Jean-René Etchegaray (UDI). « Il s’est beaucoup impliqué dans sa facilitation technique et politique », reconnaît sans réserve Michel Berhocoirigoin. L’édile a obtenu que la Communauté d’agglomération Pays basque (qui en rassemble toutes les communes), dont il est président, cosigne la veille un communiqué soutenant la démarche de la CIV, avec les gouvernements autonomes du Pays basque espagnol et de la Navarre.

Si ces derniers ont renoncé à être représentés lors des solennités de Bayonne – « par méfiance vis-à-vis de la société civile », déplore Michel Berhocoirigoin –, le gain politique de cette journée du désarmement est spectaculaire. Le 5 avril, photo historique, tous les syndicats et partis d’Euskadi (Pays basque espagnol) lançaient un appel de soutien, à l’exception du Partido Popular (PP, droite conservatrice), au pouvoir en Espagne mais qui ne représente que 8 % de la population en Pays basque. En France, près de cinquante associations, mouvements, syndicats et autres organisations (dont les partis EELV, PG et NPA) ont fait de même.

Si Madrid campe sur sa ligne habituelle, intimant à l’ETA d’« annoncer sa dissolution définitive et de demander pardon à ses victimes », sans que ses membres puissent espérer « aucun traitement de faveur », Paris se démarque en revanche de son suivisme habituel. Depuis l’opération du 16 décembre, on a entendu le ministre des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault, puis le Premier ministre Bernard Cazeneuve, convenir de l’imminence d’un désarmement qu’ils n’avaient pas les moyens de récuser, d’autant qu’il avait lieu sur le territoire national. « Le gouvernement français se félicite de cette opération, menée dans le calme et sans violence, a salué Bernard Cazeneuve_. C’est là une étape décisive vers la fin du terrorisme indépendantiste basque. »_ À la tribune, samedi, était présent Jean-Pierre Mignard, un proche de François Hollande rallié à Emmanuel Macron. Il avait salué un peu plus tôt l’initiative « à titre personnel ».

Reste que la paix « est beaucoup plus difficile à faire que la guerre », préviennent les Artisans de la paix, car rien ne sera possible sans une inflexion des gouvernements. Les militants basques demandent en premier lieu une normalisation de la politique pénitentiaire appliquée spécifiquement par Madrid, mais aussi par Paris, aux prisonniers « étarras », à commencer par les mesures d’éloignement quasi systématiques : 80 % d’entre eux sont incarcérés à plus de 400 kilomètres de leur lieu d’origine, affirme la plateforme Sare, ce qui représente un préjudice psychologique et financier considérable pour leurs proches. Pas de liberté conditionnelle en fin de peine, ni de mesures compassionnelles, habituelles notamment pour les prisonniers malades, dont l’association Etxerat donne régulièrement des nouvelles. L’un des derniers cas en date : Oier Gomez, incarcéré à Meaux pour tentative de meurtre, qui attend une suspension de peine en raison d’un cancer à un stade avancé.

« La violence physique a engendré une violence culturelle – la difficulté de se parler, voire le rejet entre familles de pensées au sein de la société basque –, mais aussi structurelle, par l’atteinte aux droits humains organisée par les deux États », analyse Aitzpea Leizaola, anthropologue et membre du Forum social permanent.

Encore plus ardu peut-être, la reconnaissance de « toutes les victimes » de la violence : les autorités ne considèrent que les morts et blessés occasionnés par les attentats de l’ETA, alors que plusieurs centaines d’exactions, qualifiées de « terrorisme dÉtat » par les défenseurs des droits humains, ont été commises par des commandos tels que les Grupos antiterroristas de liberación (GAL) commandités par Madrid.

Ce chapitre pourrait être le morceau de bravoure d’une justice transitionnelle, classique en situation de post-guérilla, souligne Philippe Texier, ancien juge et expert à l’ONU qui a accompagné de telles démarches, mais compliquée au Pays basque par le fait que les gouvernements, contrairement à ce qui s’est passé à El Salvador ou en Colombie, par exemple, n’ont jamais ouvert de négociations. « C’est un processus qui vise la réconciliation au sein d’une société, par une “justice” qui ne prononce pas de peines mais cherche à établir la vérité, à prendre en compte toutes les victimes, à définir des réparations et à garantir la non-répétition de la violence. Il doit déboucher, c’est indispensable, sur une loi d’amnistie. » Un horizon qui paraît encore bien éloigné.

L’optimisme, défend Txetx Etcheverry, réside dans la formidable démonstration de cohésion manifestée le 8 avril par la société civile basque, « un laboratoire à grande échelle de ce que la non-violence active et la désobéissance civile peuvent réaliser au service de l’intérêt commun. »

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