Pour eux, le vote utile, c’est Mélenchon

Entre la menace du Front national et l’effondrement du Parti socialiste, un grand nombre d’électeurs sont tentés par un bulletin clairement marqué à gauche.

Nadia Sweeny  • 19 avril 2017 abonné·es
Pour eux, le vote utile, c’est Mélenchon
© Photo : Jacques DEMARTHON/AFP

Changeant d’avis au gré des sondages et du poids des enjeux, les électeurs de gauche sont longtemps restés prisonniers d’une angoissante versatilité. La dynamique Jean-Luc Mélenchon – et la possibilité de sa présence au second tour de la présidentielle – entraîne ces indécis et démêle, semble-t-il, le casse-tête du vote utile, mêlant une certaine adhésion et un vote « nécessaire ».

« C’est clairement le vote utile de la gauche, lance Emmanuel, 51 ans, ancien militant socialiste ayant voté Benoît Hamon à la primaire. Autour de moi, les gens ont pris leur décision : Hamon, c’est plié. » Fayçal, 38 ans, électeur écolo qui a aussi opté pour Hamon à la primaire – alors qu’il s’était juré « de ne plus jamais voter PS » – a lui aussi décidé de partir pour « celui qui est le mieux placé ».

Gravitant à 19 % dans les sondages, Jean-Luc Mélenchon intègre le quatuor de tête, alors que le candidat socialiste traîne à la cinquième place, autour de 8 %. Nombre de ralliements à la France insoumise seraient la conséquence de l’échec de Benoît Hamon. Le vainqueur de la primaire de la Belle Alliance populaire n’a pas su maintenir l’élan qui le portait au lendemain de sa victoire. Anne, Parisienne de 40 ans qui se définit comme sociale-démocrate, a renoncé à voter pour le candidat socialiste dès qu’il a rogné sur sa proposition de revenu universel : « Je me suis dit que, s’il en était déjà là, c’est qu’il n’avait pas les épaules et restait prisonnier du schisme du PS. »

Sans réellement œuvrer pour un rassemblement, pariant sur l’effondrement de Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon a visiblement sous-estimé l’exaspération des électeurs de gauche envers le Parti socialiste. Les départs vers Emmanuel Macron de candidats à la primaire, malgré leur engagement de soutenir le vainqueur, ont paradoxalement conforté ce sentiment. « Les trahisons du PS ont déclenché ma décision de voter Mélenchon, affirme Emmanuel. À la primaire de 2011, j’avais voté Aubry, et pourtant, j’ai fait campagne pour Hollande. Aujourd’hui, je réalise à quel point la réciprocité n’existe pas. Le PS est en lambeaux et, ce qui est important pour moi, c’est le score de la gauche à la présidentielle. » Proche des mouvements de la Convention pour la 6e République, lancée par Arnaud Montebourg en 2001, ce militant socialiste qui a rendu sa carte à la suite du débat sur la déchéance de nationalité n’a pas éprouvé de scrupules à partir vers la France insoumise. « Il y a un mouvement de l’ancien courant socialiste dans lequel s’inscrivait Mélenchon qui part vers lui, affirme Emmanuel. J’étais pour l’union de la gauche, mais ça ne s’est pas fait. Or, mieux vaut une gauche forte que deux en lambeaux. »

Plus radical, Mohammed « vote Mélenchon pour tuer le PS ». Originaire d’Argenteuil, il était pour Philippe Poutou, un « vote blanc comptabilisé », selon lui. Et puis il y a eu les trahisons : « Le Parti socialiste n’a pas cessé de trahir tout le monde depuis des dizaines d’années. Mélenchon, c’est un vote sanction, et c’est aussi le candidat qui, pour moi, fera le moins de mal aux quartiers populaires. »

S’il est vrai que la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour en 2002 a marqué les esprits, la pression du « vote utile », vécue comme une confiscation du choix, semble s’user. Pour Anne, « le FN a pris en otage la démocratie et forcé les gens à avoir des réflexions stratégiques ». Aujourd’hui, chacun évalue précisément les concessions idéologiques qu’il serait capable d’accepter pour contrer l’extrême droite. La dynamique du candidat de la France insoumise offre à la gauche une possibilité moins douloureuse que celle d’un vote pour l’ultralibéral Macron.

D’autant que Jean-Luc Mélenchon a su élargir son spectre et attirer des électeurs de tous les horizons : « Beaucoup d’ouvriers du bassin minier mosellan qui votaient Le Pen se tournent vers Mélenchon », affirme Aurélien, 33 ans. Électeur de Benoît Hamon à la primaire, il bascule aujourd’hui pour Mélenchon, « plus ferme » que le candidat socialiste.

« Ma mère votait Juppé et elle est séduite par le gaullisme de Mélenchon », ajoute Anne, rassurée par cette hétérogénéité. « J’aimais bien la dynamique “France insoumise”, mais la personnalité colérique et agressive de Mélenchon me gênait. La marche du 18 mars m’a convaincue : j’ai été surprise de me retrouver au milieu d’une population variée, moins sectaire que je ne le pensais. Je vote plus pour un projet que pour un homme : nous sommes à la fin d’un système, il faut en changer. »

Bon tribun, Mélenchon continue malgré tout d’inquiéter par sa radicalité et certaines de ses positions, notamment sur les questions internationales. « J’ai des réserves sur la Syrie et la Russie, avoue Emmanuel. Et je suis circonspect sur la constituante : j’imagine que, pendant deux ans, il ne se passera rien au niveau législatif. Mais, en même temps, il n’y a aucun candidat avec lequel je sois d’accord à 100 %. »

« Je suis un peu inquiet de ses positions sur l’Europe, détaille Mohammed. Je travaille en Allemagne et, quand je vois mes collègues anglais faire leurs valises avant que les frontières ne se ferment, je réfléchis. D’autant que les gens qui gravitent autour de Mélenchon sont franchement sectaires. En fait, j’hésite encore un peu », avoue-t-il.Pour René, le sectarisme de certains insoumis est rédhibitoire : « Ils me font peur, je n’irai pas voter Mélenchon, confirme cet ancien militant socialiste de 70 ans, hamoniste convaincu, envers et contre tous les sondages. Cette campagne est hors normes, sous tous les aspects. C’est d’ailleurs la pire que j’ai vécue de ma vie… et je suis militant depuis les années 1960 ! »

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