Présidentielle : Et si on votait autrement ?

Des modes de scrutin différents du nôtre existent pour désigner celui qui nous représentera : vote alternatif, par approbation, jugement majoritaire… Mais ils ne sont pas sans défauts.

Michel Soudais  • 5 avril 2017 abonné·es
Présidentielle : Et si on votait autrement ?
© photo : JEAN-SÉBASTIEN EVRARD / AFP

Pourrait-on choisir nos dirigeants politiques par un mode de scrutin moins brutal ? Ne peut-on imaginer un système de vote qui permette de choisir réellement son candidat sans avoir à éliminer tel autre de ses concurrents ? Une procédure où l’on voterait pour et non contre ? Alors que des millions d’électeurs sont encore dans l’indécision par insatisfaction, ces questions valent d’être posées. Elles étaient récurrentes dans les débats sur la démocratie de Nuit debout. Elles seraient nécessairement à l’ordre du jour de la constituante pour une 6e république si les électeurs se prononçaient pour un changement institutionnel les 23 avril et 7 mai prochains.

Le scrutin uninominal à deux tours, en usage pour élire notre président, comme les députés du reste, est aussi ancestral que notre démocratie. Et n’est pas sans reproche. Le vainqueur est rarement celui qu’auraient souhaité tous ceux qui l’ont élu, n’étant pour une part importante d’entre eux qu’un choix par défaut. Plus gênant, un candidat peut accéder au pouvoir sans avoir rassemblé la majorité des votants, comme on l’a vu en 2012 avec l’élection de François Hollande (51,64 % des suffrages exprimés, mais 48,63 % des votants) : 2 154 956 électeurs qui se sont déplacés ont en effet déposé dans l’urne un bulletin blanc ou nul – il n’existe pas de décompte séparé –, montrant ainsi qu’ils ne voulaient ni de lui ni de Nicolas Sarkozy.

L’exemple le plus emblématique des dysfonctionnements de ce mode de scrutin reste toutefois la présidentielle de 2002, quand Jean-Marie Le Pen (16,86 %) est parvenu à se qualifier pour le second tour en devançant Lionel Jospin (16,18 %). Ce qui a permis la très large élection de Jacques Chirac (82,21 %), alors même que 19,88 % seulement des électeurs du premier tour s’étaient portés sur lui. Tous les sondages le donnaient pourtant battu au second tour face au candidat socialiste.

Guillaume Meurice

« “Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes”, disait Bossuet, qui, malgré sa croyance en un personnage imaginaire ayant créé le monde en six jours avant de se vautrer sur son canapé en slip devant « Le Jour du Seigneur », n’en avait pas moins compris que rien ne sert de s’acharner sur le comportement des citoyens si les structures qui les lient sont pourries. Le mode de scrutin ­faisant partie desdites structures, peut-être serait-il temps d’y réfléchir pour que l’humain, au moins les dimanches d’élection, cesse d’imiter celui qui l’a prétendument créé à son image. »

Le PS expliqua vite son échec par la présence d’un trop grand nombre de candidats de gauche. Si la politique du gouvernement qu’il conduisait et son projet avaient tout de même une part de responsabilité dans cet échec, l’épisode aura mis en évidence un travers de ce mode de scrutin : un candidat qui a une chance réelle de l’emporter peut être mis hors course par la présence d’un rival proche de son camp qui, lui, n’a aucune chance d’aller au bout. D’où le recours au « vote utile », pratique qui consiste à ne pas voter pour le candidat qu’on préfère mais pour un candidat mieux placé. Encouragée, martelée même, par le PS et l’UMP (puis LR), cette pratique pervertit le sens même de l’élection. Insatisfaisante pour les électeurs qui s’y résignent, elle motive la quête d’autres modes de scrutin.

Dans une vidéo YouTube, « Réformons l’élection présidentielle ! », visionnée par plus de 400 000 internautes, un jeune docteur en physique, David Louapre, qui tient un blog de vulgarisation scientifique [1], expose les avantages et inconvénients des différents systèmes de vote en se référant aux travaux de mathématiciens. Plusieurs d’entre eux consistent à classer les candidats. Le plus répandu est le « vote alternatif ». En usage pour élire la Chambre des représentants en Australie, le président irlandais ou certaines municipalités américaines, il consiste à classer les candidats par ordre de préférence, permettant ainsi d’exprimer une opinion sur tous. On compte le nombre de fois où chaque candidat a été classé en tête et, si aucun n’atteint 50 %, on élimine celui qui a eu le moins de préférence de premier rang, et ses voix sont réparties entre les candidats que ses électeurs avaient classés deuxième. On élimine de nouveau le candidat qui a recueilli le moins de voix… et ainsi de suite jusqu’à ce qu’un candidat obtienne la majorité absolue.

En 2012, le collectif Vote au pluriel avait refait le vote avec ce système d’un panel d’électeurs de premier tour. Résultat : Marine Le Pen se faisait prendre sa troisième place par Jean-Luc Mélenchon, qui profitait davantage des éliminations successives de François Bayrou et d’Eva Joly. Le vainqueur restait François Hollande ; opposé au dernier dépouillement à Nicolas Sarkozy, il recueillait 55 % des voix. L’avantage de ce système est de faire disparaître le « vote utile ». Mais le dépouillement est particulièrement long – jusqu’à deux jours en Irlande. Et il n’est pas sans failles, pointe David Louapre : le « paradoxe d’Arrow », du nom de l’économiste américain Kenneth Arrow, montre qu’en augmentant son nombre de voix, un candidat peut descendre dans le classement et finalement perdre. Incohérent, le système favorise le vote stratégique (on ne vote pas selon ses convictions mais on exploite les failles du système pour aider son candidat), où l’intérêt peut être d’éloigner les candidats avec qui on est en plus grande concurrence, même si leurs idées sont les plus proches, pour mettre en second choix ceux dont on est le plus éloigné ou qui n’ont a priori aucune chance de réunir une majorité de préférences.

Afin de pallier ces inconvénients, un autre système, dit « vote par approbation », a le mérite de la simplicité : l’électeur juge individuellement chaque candidat en votant pour autant de candidats qu’il veut. Lors d’une simulation de Vote au pluriel sur l’élection de 2012, chaque votant a approuvé en moyenne 2,5 candidats sur 10 ; Hollande se classait premier avec 46 %, mais c’est Bayrou qui était deuxième (41 %) devant Sarkozy et Mélenchon à égalité (36 %), Joly (33 %) devançant Le Pen (23 %). Séduisant, ce système ne présente toutefois pas de gradation, pointe David Louapre : l’électeur met sur un même plan d’égalité le candidat dont il partage 90 % du programme et celui dont il approuve 55 % des idées, dont il se satisferait à la rigueur.

© Politis

C’est en cherchant à perfectionner ce système que deux chercheurs français, Rida Laraki et Michel Balinski, ont proposé le « jugement majoritaire » (voir tableaux ci-dessus). Leur méthode consiste à attribuer à chaque candidat une mention : excellent, très bien, bien, assez bien, passable, insuffisant, à rejeter. La totalisation des mentions attribuées à chaque candidat va permettre de déterminer sa « mention majoritaire ». Celle-ci s’obtient en additionnant les votes mention par mention de la meilleure à la plus mauvaise, et se définit comme une médiane, c’est-à-dire qu’au moins 50 % des électeurs lui ont attribué cette mention ou une mention supérieure. Le vainqueur est celui qui obtient la meilleure mention majoritaire. Si aucun candidat n’atteint la mention majoritaire « assez bien », on peut reconvoquer des élections. Si un candidat obtient une mention majoritaire « à rejeter », il peut éventuellement être déclaré inéligible. Chaque candidat est jugé sur son mérite personnel, la présence de candidats d’idées proches n’influe pas sur le résultat du scrutin, le vote utile est annihilé, et ce mode de scrutin échappe au paradoxe d’Arrow.

Le mode de scrutin idéal ? Pas vraiment. Car le « jugement majoritaire », prôné par Terra Nova et adopté par la primaire citoyenne dont est issue Charlotte Marchandise, repose sur la sincérité des votes et reste vulnérable au vote stratégique. Si un candidat convainc ses électeurs de polariser leur jugement quand les autres votent sincèrement, le résultat est faussé. Enfin, cela a son importance, la complexité du dépouillement nécessiterait une généralisation du vote électronique, qui, on le sait, n’est pas des plus transparents. Tout système a donc ses avantages et ses inconvénients. Et la meilleure manière de remédier aux imperfections des scrutins est assurément d’encadrer les pouvoirs de ceux qu’ils désignent.

[1] sciencetonnante.wordpress.com

Idées
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