Prison : « Un impératif de sécurité de plus en plus prégnant »

Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan observe un recul des droits fondamentaux et dénonce la surpopulation carcérale.

Jean-Claude Renard  • 12 avril 2017 abonné·es
Prison : « Un impératif de sécurité de plus en plus prégnant »
© photo : Christophe Petit Tesson/POOL/AFP

Autorité administrative indépendante créée en 2008, libre d’accéder à son gré aux prisons, les hôpitaux psychiatriques, les locaux de garde à vue, les centres de rétention et les établissements pour mineurs, l’institution dirigée par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté publie son rapport d’activité de 2016.

Nommée en 2014 à ce poste, Adeline Hazan pointe un recul des droits fondamentaux dans les dispositifs législatifs votés dans l’urgence ; un recul constaté également lors de ses 146 visites d’établissements effectuées au cours de l’année. Parallèlement, elle dénonce une surpopulation carcérale qui ne cesse de croître, tandis que les programmes des candidats à l’élection présidentielle ignorent une situation de plus en plus dramatique, avec un nombre record de détenus : 69 430 personnes.

En 2015, vous pointiez la nécessité d’un « équilibre entre les droits fondamentaux et la sécurité » dans le contexte de la menace terroriste et de l’état d’urgence. Quel constat dressez-vous aujourd’hui ?

Adeline Hazan : Les inquiétudes que j’avais exprimées alors ont malheureusement été confortées par les nouveaux textes votés, mais aussi par les constats que nous faisons dans les établissements visités. C’est un recul des droits fondamentaux au profit d’un impératif de sécurité de plus en plus prégnant. On a même le sentiment que les droits fondamentaux deviennent pour les pouvoirs publics (et parfois pour l’opinion) un luxe qu’on ne peut plus se permettre. Or, précisément dans des périodes troublées comme celle-ci, même si la demande de sécurité est légitime, il faut que l’on prenne soin de préserver les droits fondamentaux. À l’évidence, ce n’est pas le cas.

Qu’est-ce que les textes ont changé ?

Les lois votées dans le cadre de l’état d’urgence sont entrées dans le droit commun. Celles du 3 juin et du 21 juillet 2016 ont permis de faire passer des dispositions refusées jusque-là par les législateurs. C’est le cas pour la vidéosurveillance dans les cellules et pour les conditions très élargies de fouilles à corps des détenus. Ce sont des mesures directement liées aux attentats, mais qui s’inscrivent en même temps dans le droit commun et qui concerneront demain beaucoup d’autres personnes que celles soupçonnées de terrorisme.

Des centres de rétention aux gardes à vue qui ne se déroulent pas dans le respect de la dignité des personnes, on observe que ce climat sécuritaire infuse dans les pratiques professionnelles des uns et des autres. Ainsi, les juges d’application des peines reconnaissent eux-mêmes accorder moins de permissions de sortie et de libérations conditionnelles, craignant que cela ne concerne des personnes susceptibles de commettre un attentat. Cela crée une frilosité chez les magistrats qui est, à mon sens, antinomique avec leur fonction et avec la situation de la population pénale.

Le quinquennat de François Hollande s’est ouvert sur la promesse de sortir du tout-carcéral ; il se referme avec un record du nombre de détenus. Si l’on peut parler d’échec, on est donc aussi loin du fantasme d’une justice laxiste… Comment expliquez-vous ce décalage avec la réalité ?

Il s’explique par un manque de pédagogie. Il n’y a pas suffisamment de communication sur la réalité des choses, et les pouvoirs publics cèdent à la demande de l’opinion. Pour sortir de la surpopulation carcérale, la réponse n’est pas la construction de nouvelles places. En vingt-cinq ans, on en a créé 30 000, et pourtant on aboutit à un taux de surpopulation frôlant les 70 000 détenus pour 59 000 places.

On n’a pas non plus atteint l’objectif de l’encellulement individuel, repoussé de moratoire en moratoire.

La solution reste le développement des alternatives à l’incarcération. De ce point de vue, les engagements pris n’ont pas été tenus. En même temps, il faut voir là une pratique des magistrats. La loi Taubira de l’été 2014, créant de nouvelles alternatives, n’est pas utilisée. La contrainte pénale, par exemple, n’est pas encore entrée dans la culture des magistrats. Manifestement, ils n’ont pas pris la mesure de l’importance de cette peine, ni sa différence avec le sursis avec mise à l’épreuve. On a près de 1 000 contraintes pénales par an, alors que l’étude en prévoyait entre 8 000 et 10 000.

Justement, Emmanuel Macron annonce la construction de 15 000 places supplémentaires, François Fillon 16 000 et Marine Le Pen 40 000… Tout se passe comme si la seule réponse de la justice se mesurait en nombre de places…

Une fois encore, tous répondent à l’opinion publique. Si je n’ai pas à commenter les programmes des candidats, j’observe néanmoins qu’ils sont assez indigents. Il y a très peu d’éléments sur la justice ou la prison. On y perçoit seulement plus de sécurité. Il n’existe pas de véritable analyse des situations, des causes, des phénomènes, ni aucune proposition innovante.

Une commission mise en place par le ministre de la Justice a rendu un rapport, intitulé « Le Livre blanc sur l’immobilier pénitentiaire », préconisant de réguler les entrées en prison…

Je m’en réjouis, car c’est une proposition que nous avions faite il y a bientôt trois ans. Il s’agit de ne plus continuer à remplir, mais de faire en sorte que les magistrats du siège et du parquet et la direction de l’administration pénitentiaire, au-delà d’un certain seuil, se réunissent pour examiner les dossiers des détenus qui sont proches de la sortie. Ceux-ci pourraient sortir plus tôt, sans dommages ni pour eux ni pour la société.

Quel regard portez-vous sur la démission de Philippe Galli, directeur de l’administration pénitentiaire, tandis que Léa Poplin, directrice de la prison de Villepinte, tire le signal d’alarme en annonçant son refus d’accueillir de nouveaux détenus dans son établissement, qui compte 1 132 personnes pour 582 places ?

Sur la direction de l’administration pénitentiaire, manifestement, il y avait un désaccord entre Philippe Galli et le cabinet du garde des Sceaux. Je ne peux qu’en prendre acte. La position de Léa Poplin, quant à elle, est très intéressante. Il est courageux qu’un directeur ou une directrice de prison dise aux magistrats « je n’incarcère plus ». Il faudrait que tous les directeurs aient le même courage. Parce que, si on n’incarcère plus à Villepinte, on remplit du coup davantage Fleury, dont le taux de surpopulation s’élève déjà à 180 %. La démarche de Léa Poplin n’en reste pas moins la bonne. Il y a trop de magistrats qui ne se préoccupent pas de l’état des prisons, ni des conséquences de la détention, ni des conditions de l’incarcération. C’est une alerte pour les magistrats, mais aussi pour l’opinion publique.

A-t-on mesuré les coûts de l’incarcération par rapport à une peine alternative ?

On sait qu’une journée d’emprisonnement coûte en moyenne 100 euros par jour et par détenu, beaucoup plus qu’une journée de semi-liberté [50 euros, selon l’Observatoire international des prisons, NDLR] ou qu’un placement sous surveillance électronique (10 euros). C’est bien évidemment un argument à faire valoir quand on parle de réduction des coûts et de la dette. Encore faut-il avoir le courage d’affirmer qu’il faut privilégier les peines alternatives.

Les pouvoirs publics ne vont pas dans ce sens, d’autant que, dans l’imaginaire collectif, s’il n’y a pas de prison, il n’y a pas de peine. Après un délit commis, s’il n’y a pas d’incarcération, on se dit « il n’a rien eu », mais on ne se préoccupe même pas de savoir si la personne a eu un contrôle judiciaire, si elle a déjà été condamnée puis a été libérée, ou si elle bénéficie d’un sursis avec mise à l’épreuve. Aux yeux de l’opinion, la peine de prison reste la seule réponse.

Adeline Hazan Contrôleure générale des lieux de privation de liberté

Société Police / Justice
Temps de lecture : 7 minutes

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