Alain Coulombel : « Macron s’inscrit dans les pas du précédent gouvernement »

La politique économique du nouveau Président fait l’impasse sur la gravité de la situation environnementale et sociale, déplore Alain Coulombel.

Alain Coulombel  • 10 mai 2017
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Alain Coulombel : « Macron s’inscrit dans les pas du précédent gouvernement »
© photo : PHILIPPE DESMAZES/AFP

S i une époque ne sait pas agencer du neuf avec de l’ancien, si elle ne sait pas mimer ou doubler son présent pour le court-circuiter, alors c’est le même qui revient : de l’ancien et de l’usé recyclés sous les traits d’un nouveau venu pour notre temps » (Karl Marx, dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte).

Il y a quelques mois, nous nous sommes réjouis de voir enfin les thèmes de l’écologie politique s’imposer dans le débat public à travers un certain nombre de propositions emblématiques : la sortie du nucléaire, le refus des « grands projets inutiles et imposés » (GPII), l’interdiction des perturbateurs endocriniens, le revenu d’existence ou encore la transition écologique de l’économie. Le projet défendu par Benoît Hamon, largement inspiré de nos propositions, et celui porté par Jean-Luc Mélenchon comportaient une critique radicale de la croissance et du couple productivisme-consumérisme.

Force est de constater que, ces dernières semaines, l’écologie est redevenue le parent pauvre de la présidentielle, jusqu’à totalement disparaître du débat après le premier tour. Dans chacun des deux discours du soir de son élection, Emmanuel Macron n’a cité qu’une seule fois le terme « écologie », comme si cela suffisait à l’installer au rang de ses priorités. Mais que pouvons-nous réellement attendre de son programme en la matière pour les cinq années à venir ?

Très souvent incohérent et imprécis, le projet présenté par notre nouvel élu est au mieux environnementaliste, au pire partisan d’un modèle « croissantiste » qui épuise les ressources et détruit la nature. S’inscrivant dans les pas du précédent gouvernement, la transition écologique qu’il propose ne comporte aucune mesure novatrice susceptible de répondre aux enjeux de la crise écologique. Qu’il s’agisse du nucléaire civil ou de la sortie des énergies fossiles (à travers la fermeture des centrales à charbon ou l’interdiction de l’exploitation du gaz de schiste), de la fiscalité diesel ou du modèle agricole, nombre de propositions sont déjà inscrites dans la loi. Comme le souligne Greenpeace, « la recette d’Emmanuel Macron sur l’environnement est bien fade ». Ainsi de la fermeture de Fessenheim, conditionnée à la mise en service de l’EPR de Flamanville ; ainsi de la réduction à 50 % de l’énergie nucléaire d’ici à 2025, sans aucun engagement concernant la fermeture des centrales ; ainsi de la volonté de réduire la pollution de l’air, mais sans interdire le diesel ; ou encore de l’interdiction des perturbateurs endocriniens, conditionnée à l’existence « de solutions scientifiquement reconnues comme moins toxiques ». Un programme a minima, dans le prolongement des promesses ou des déclarations passées de nos ex-Présidents : Chirac et « notre maison qui brûle », Sarkozy et son Grenelle de l’environnement, Hollande et sa COP 21…

Pire encore : en conditionnant la transition écologique à l’émergence d’un nouveau modèle de croissance centré sur la modernisation de notre économie, Emmanuel Macron reprend les recettes et les formules du libéralisme économique, aveugle à la gravité de la crise écologique (donc sociale). Comme si la politique de l’offre et la recherche de la compétitivité des entreprises (sans éco-conditionnalité) pouvaient être compatibles avec l’Anthropocène, cette ère – la nôtre – au cours de laquelle les activités humaines modifient dangereusement les équilibres du système Terre.

Comme si l’état de la planète pouvait encore attendre dix, quinze, vingt ans, ou se satisfaire de quelques accommodements touchant à la responsabilité environnementale des entreprises, à la voiture propre ou au bio dans les cantines. À cet égard, notre nouveau président serait bien inspiré de relire ces mots de Paul Ricœur (dont il aime à souligner la proximité philosophique qu’il aurait avec lui) : « Les entreprises de maîtrise de la nature peuvent aboutir à l’autodestruction. Il n’est pas évident que l’humanité survive. » Si le réchauffement climatique, la raréfaction des ressources, la disparition des glaciers de l’Himalaya ou l’acidification des océans n’attendent rien de l’humanité, nos sociétés, elles, dépendent pour leur survie, de l’ensemble des paramètres rendant cette planète habitable et viable pour le plus grand nombre.

Les écologistes savent cela. Ils inscrivent leurs propositions dans la volonté d’éviter le pire. Ils savent que l’écologie est incompatible avec le capitalisme prédateur et le dogme de la croissance, que celle-ci soit « verte », « soutenable » ou « climato-compatible ». En faisant de l’innovation industrielle, de la compétitivité des entreprises et de la libération de la croissance l’alpha et l’oméga de sa politique économique, Emmanuel Macron se trompe. En reprenant à son compte les vieilles recettes de l’ultralibéralisme, la baisse des cotisations patronales, la flexibilité du marché du travail ou la réduction de l’impôt sur les sociétés, il montre qu’il n’a rien compris à l’écologie, prenant ainsi le risque de creuser un peu plus les fractures sociales dont notre pays et l’Europe souffrent.

Prendre en compte la gravité de la situation environnementale et sociale, c’est renverser l’ordre des priorités : à la place de l’équilibre des finances publiques, de la justice sociale et de la dignité humaine ; à la place des accords de libre-échange (comme le Ceta) ou de la compétition internationale, la coopération entre les hommes de toutes les cultures ; à la place de la simplification du droit de l’environnement, la lutte contre les « écocides » et la préservation des communs (terme absent du projet d’Emmanuel Macron) : eau, air, forêt, ressources culturelles…

Ce n’est pas d’un nouveau casting, Monsieur le Président, dont nous avons besoin, ni d’un bel emballage, ni de « renouer avec l’esprit de conquête français », cet imaginaire de la puissance lové dans le capitalisme, mais d’un projet de civilisation, d’une autre manière d’habiter le monde, d’une autre approche du collectif, fondée sur le temps long, l’intérêt général et la conscience de la fragilité du vivant. Après cinq années ratées pour l’écologie, la période qui s’ouvre, sous la tutelle des lobbys, des marchés financiers et du patronat français, ne s’annonce guère plus encourageante. Au risque de creuser un peu plus les fractures multiples qui traversent notre pays et de rendre les conditions d’existence sur la Terre de plus en plus chaotiques.

Alain Coulombel Secrétaire national adjoint EELV, chargé du projet « Bien vivre ».

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Tribunes

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