Au risque de la caricature

Je ne suis pas votre nègre, de Raoul Peck, n’évite pas certains travers.

Pauline Guedj  • 17 mai 2017 abonné·es
Au risque de la caricature
© photo : RICK DIAMOND / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

En 1950, James Baldwin publie Rencontre sur la Seine, un texte magnifique où il évoque ses interactions avec les étudiants africains à Paris. Empathique mais distant, le chapitre ne calque jamais une réalité (le racisme aux États-Unis) sur une autre (la colonisation). L’auteur y fait preuve d’un constant effort de décentrement, une attention au contexte qui irrigue toute son œuvre.

Dans Je ne suis pas votre nègre, Raoul Peck se fixe un cahier des charges ambitieux : le film, qui se veut « écrit par James Baldwin », se fonde sur un manuscrit inachevé, des essais connus, des interviews, et aborde quantité de thèmes. En une heure et demie, on tente de décrire l’engagement des trois militants au cœur du texte retrouvé (Malcolm X, Martin Luther King et Medgar Evers), de dresser un portrait de l’auteur, de dénoncer le rôle de Hollywood dans la perpétuation du racisme, d’expliciter les logiques de la discrimination aux États-Unis et de montrer en quoi la pensée de Baldwin est d’actualité.

Cette dernière idée est le point d’orgue du documentaire. Le temps s’écrase. Certaines images d’archives sont colorisées, d’autres, d’actualité, passées en noir et blanc. Baldwin parle de police, d’un Président noir, de domination du capital. C’est efficace, probant. Seulement voilà, en forgeant un lien sans nuance entre la marche de Selma à Montgomery, en 1965, et les événements récents de Ferguson et de Baltimore, Raoul Peck expose les analyses de Baldwin aux risques de la caricature. N’y a-t-il pas un écueil dans une entreprise qui, par les joies du montage, peut nous faire penser que Baldwin écrirait aujourd’hui ce qu’il disait dans les années 1960 ? La rengaine du « tout se vaut » n’existe pas chez lui. Dommage que le film, qui marque son retour médiatique en France, tombe trop souvent dans ce travers.

Chronique d’un pays natal, James Baldwin, Gallimard, 224 p., 22 euros.

Je ne suis pas votre nègre, Raoul Peck, Arte Cinéma, 1 h 34. Également en projection au Louxor, le 1er juin, à 20 h 30, 170, bd de Magenta, Paris Xe.

Cinéma
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