Claude Iverné : Auprès du Soudan
La Fondation Cartier-Bresson, à Paris, consacre une exposition à Claude Iverné. Des images rares sur un pays meurtri et chargé de poésie.
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C’est un parcours atypique. Qu’on en juge : grandi en Côte-d’Or, Claude Iverné (né en 1963) achète son premier appareil photo à 20 ans, avec les quelques francs gagnés par la publication en posters de ses photos saisies à l’Instamatic. Dans la foulée, il monte en capitale et rencontre Pierre Cardin, dont il devient l’assistant. La collaboration va durer plusieurs années, en même temps qu’il est embauché au studio Pin-Up, fondé par Jacques Bergaud. Claude Iverné croise sur son chemin d’autres photographes, tels Richard Avedon, Jacques Olivar ou Peter Lindbergh. À l’orée des années 1990, il entreprend ses premiers voyages photographiques en Égypte, au Maroc, en Asie, tandis qu’il s’ancre dans la photographie de mode, la publicité et les catalogues de ventes aux enchères pour l’institution Drouot.
À la veille du nouveau millénaire tombe la rupture. Terminé les catalogues et la haute couture. Claude Iverné s’installe au Soudan. Il suit Darb al Arba’ïn, la piste des Quarante Jours, une route reliant auparavant l’Égypte au sultanat du Darfour. Avec un mode de travail, ou plutôt une manière de faire : l’errance sans a priori, oscillant entre l’approche anthropologique et la restitution sans fard d’un territoire. En noir et blanc alors, ce sont des plans sobres, épurés, quasi minimalistes, au diapason d’un paysage aride.
Une pyramide s’élevant dans le désert, un intérieur modeste, des portraits de nomades fixant droit devant eux l’objectif, fiers, des instants de prière collective, des cérémonies religieuses, des abris précaires, des tentes dans les camps de populations déplacées, les vestiges d’une cafétéria, un cueilleur de gomme arabique courbé dans les hautes herbes, la distribution de rations alimentaires, un grenier à grains abandonné, un chien naturalisé, suspendu dans la lumière au-dessus de bonbonnes en terre cuite dans une maison nubienne, des huttes perdues dans le soleil… « J’évoluais comme un animal de compagnie, un renard apprivoisé, un chameau androgyne dans un troupeau de dromadaires », confie le photographe, fondu dans le paysage soudanais, reconnaissant « apprivoiser son libre arbitre et cultiver un certain goût du banal et de l’ordinaire ».
Bien des années après, au sud du pays, l’approche se décline en couleur, comme s’il fallait faire écho au brouhaha ambiant d’un territoire en mutation. Si le plus grand pays d’Afrique alors est divisé, meurtri par les famines, les drames humanitaires, les camps de réfugiés ou la crise du Darfour, il n’y a pas chez Claude Iverné d’images frontales ou spectaculaires de ces tragédies saisies par les reporters. On n’y sent pas moins les tensions, à côté d’une charge poétique qui se perçoit aisément sur les deux étages que lui réserve la Fondation Cartier-Bresson pour cette exposition, au bout d’une connaissance intime du terrain sillonné plus de quinze ans, au plus près des habitants.
Au plus près, mais conservant toujours la bonne distance, sans pathos. « Je ne provoque rien, je prends ce qui vient à moi », concède le photographe. Et, comme hanté par ces paysages et ces peuples, Iverné a poursuivi son expérience en partageant le chemin de ces Soudanais réfugiés sur le Vieux Continent, de la vallée de la Roya au bois de Vincennes en passant par Trégastel ou la crête de Colla Rossa dans les Alpes-Maritimes. Sur fond neutre, ce sont là des portraits tous datés de décembre 2016, sans artifices, bruts devant l’objectif, prolongeant le récit d’un territoire.
Claude Iverné, Bilad es Sudan, Fondation Henri-Cartier-Bresson, 2, impasse Lebouis, Paris XIVe, jusqu’au 30 juillet.