Éric Coquerel : « La méthode de la France insoumise, ça marche ! »
Éric Coquerel, coordinateur politique du Parti de gauche, voit dans les résultats du premier tour de la présidentielle la validation de la stratégie de Jean-Luc Mélenchon.
dans l’hebdo N° 1452 Acheter ce numéro
Quels enseignements le mouvement de Jean-Luc Mélenchon tire-t-il de son semi-échec au premier tour de la présidentielle ? Pour Éric Coquerel, qui a rejoint la France insoumise, la campagne réussie de son candidat l’installe comme une alternative pérenne sur le champ de ruines du paysage politique actuel.
Quel regard portez-vous sur les résultats du premier tour, et principalement, sur le score de Jean-Luc Mélenchon ?
Éric Coquerel : Ce résultat aurait évidemment été jugé improbable il y a un an. Qu’on en juge : la première place va à l’un des ministres les plus emblématiques d’un quinquennat rejeté par tous ; la deuxième à Marine Le Pen, à qui l’on promettait la première et un résultat tutoyant les 30 % – je ne relativise pas son score pour autant… On constate aussi la non-qualification du candidat d’une droite donnée largement gagnante jusqu’en décembre, et l’écroulement du candidat du PS. Et, bien sûr, le résultat de Jean-Luc Mélenchon à une hauteur inédite pour notre espace politique et qui rate la qualification d’un rien : 600 000 voix. Évidemment, il y a eu l’événement imprévu des affaires Fillon, ce qui a profité à Macron, devenu du coup un réceptacle attrape-tout promu par la médiacratie et le système – un Juppé de rechange en quelque sorte. Mais tout cela révèle surtout la décomposition du vieux monde et de la social-démocratie, ce que l’on constate partout en Europe, aggravée en France par le système étouffant de la Ve République.
De façon artificielle, le sort politique du pays va en effet se jouer entre deux candidats en réalité incapables, l’un comme l’autre, de regrouper une majorité adhérant à leur projet. En conséquence, la crise de régime sera inévitable. Rien n’a été réglé par cette élection. Si ce n’est que le bipartisme institutionnel, qu’on voulait nous imposer à l’aide des primaires, a volé en éclats. Aucun de ses deux vainqueurs n’est qualifié pour le second tour, quatre forces politiques se répartissent quasi également 85 % de l’électorat, et nul n’est sûr d’avoir une majorité à l’Assemblée, y compris le Président élu. La recomposition est en cours et il y a au moins une heureuse nouvelle pour la suite, c’est l’émergence de la France insoumise (FI).
Pourtant, au soir du premier tour, Jean-Luc Mélenchon a vu le « verre à moitié vide » plutôt que la réussite de la mobilisation permise par cette campagne…
Les deux sont vrais. Il y a un regret pour le pays. Le programme « L’avenir en commun » était la seule solution pour rompre avec les quinquennats Sarkozy-Hollande et refuser l’issue identitaire de Marine Le Pen. Cela a suscité un énorme espoir en Europe et dans le monde. Vous comprendrez qu’échouer d’un rien sur un tournant historique du pays nous attriste. D’autant que si notre candidat s’était qualifié, on éliminait le FN. En même temps, c’est un formidable espoir. Il y a la multitude bien sûr !
Mais, au-delà de plus de 7 millions d’électeurs, un jeune sur trois a voté pour Jean-Luc Mélenchon, ce qui est une promesse évidente pour l’avenir. Il y a à la fois le réveil d’un électorat de gauche, une adhésion écrasante dans les quartiers populaires et aussi un coup d’arrêt à la progression du FN dans des milieux ou des endroits où jusqu’à maintenant sa progression semblait impossible à arrêter, comme à Marseille ou dans des villes du Nord, là où nous sommes en tête. Nous avons mené une bataille culturelle et nous l’avons gagnée dans des proportions incroyables. Bien sûr, nous n’avons pas fédéré tout le peuple, mais une frange déterminante a repris conscience et confiance dans sa force et ses capacités. C’est une étape décisive dans la révolution citoyenne.
Votre stratégie a été celle du « populisme de gauche » théorisée par Chantal Mouffe, et consistant à remettre de la conflictualité non plus entre « gauche » et « droite », mais entre « peuple » et « oligarchie ». Le même score n’aurait-il pas pu être atteint dans une logique « de gauche » ?
Dans « populisme de gauche », il y a le mot « gauche », non ? Nous avons toujours su que nous avions deux électorats, l’un dont la lecture politique se fait toujours à travers les lunettes du clivage gauche-droite, l’autre pour qui cela ne veut plus rien dire en raison de la politique de droite menée par Hollande. Nous avons su manifestement parler aux deux à travers non pas d’un mantra vide de sens – du type « nous sommes la (vraie) gauche » –, mais en partant du programme. Notre campagne a consisté à le diffuser, l’expliquer avec le maximum de pédagogie. Nous avons convoqué tous les moyens, des plus modernes aux plus classiques. Et, évidemment, ce programme est de gauche et la politique que nous en aurions tirée aurait été de gauche. Mais en faire le préalable du vote eût été contre-productif. Comme a fortiori les « rassembler la gauche » qu’on exigeait de nous, comme si par la simple magie de ce mot on pouvait rassembler une majorité allant de Valls à Mélenchon. C’est une impasse muette, il suffit de voir où ont mené les primaires qui étaient censées incarner cette possibilité.
Pensez-vous pouvoir imposer une cohabitation au prochain Président sans vous allier avec d’autres formations politiques aux législatives ? En Espagne, par exemple, Podemos a connu des victoires locales car il a su faire des coalitions avec des partis citoyens…
Si, comme c’est probable, Macron gagne, rien n’assure qu’il disposera d’une majorité à l’Assemblée. Son programme est largement minoritaire dans le peuple. On peut d’ailleurs avoir un nombre inédit de triangulaires, voire de quadrangulaires, entre les quatre premières forces de la campagne présidentielle. C’est donc un troisième tour qui se prépare. La belle en quelque sorte. Jean-Luc Mélenchon a atteint 12,5 % des inscrits dans 72 % des circonscriptions. Il est en tête dans 67 d’entre elles et arrive deuxième dans 167, c’est dire si les espoirs sont permis à condition de mobiliser notre électorat. Il faut un objectif conquérant. On ne peut pas se contenter de dire « élisez une opposition de gauche ». A minima, constatons qu’on peut empêcher le Président élu d’avoir une majorité et, donc, d’appliquer son programme. On peut le censurer dès les législatives.
Sur la tactique, nous ne reviendrons pas à un cartel de partis. Non par volonté de détruire les partis, j’en dirige un, mais parce que la méthode FI, ça marche ! C’est celle de l’adhésion directe, de l’implication citoyenne. En outre, seule une campagne nationale identique à celle de la présidentielle peut assurer un succès : donc pas question de retomber dans des centaines de campagnes différentes, avec des intitulés et des alliances à géométrie variable. On a donné. Ça a failli nous tuer. J’entends que des forces politiques [EELV ou certains hamonistes, NDLR] proposent un label commun. C’est paradoxal, car ce sont les mêmes qui nous l’ont refusé aux régionales. Mais je suis pour éviter tout sectarisme de mauvais aloi. Comme je considère que FI peut être le cadre de la recomposition de notre espace politique, je suis pour leur dire : « Chiche ! »
Un label commun suppose un intitulé commun, des cadres d’actions communs, un programme commun, des méthodes communes. FI existe et a fait ses preuves. Je propose de continuer à le construire et à le développer ensemble. FI est une chance pour tous les gens sincères qui aspirent à construire un espace majoritaire. Je leur dis d’ouvrir les fenêtres en grand avec nous. Au Parti de gauche (PG) nous ne regrettons pas de l’avoir fait.
Alors, pourquoi les discussions n’avancent-elles pas avec le PCF et Ensemble ! ?
FI va rappeler à ces deux partis, qui ont soutenu Jean-Luc Mélenchon et dont beaucoup d’adhérents sont déjà Insoumis(es), que notre démarche leur est encore ouverte. Le PCF aurait refusé. Je le regrette sincèrement. On peut espérer qu’il en sera autrement pour Ensemble !. Quant au PCF, des discussions vont se poursuivre sur la base de désistements réciproques. Il souhaite que FI ne se présente pas face à un certain nombre de ses candidats, notamment de ses sortants. FI s’était toujours disposée à envisager des accords restreints si cela devait permettre d’assurer plus de députés élus des deux côtés, et si ces exceptions ne changeaient pas notre règle générale. Les discussions vont continuer cette semaine.
Vous-même, vous vous présentez à Saint-Ouen, Alexis Corbière à Montreuil. On prête à Jean-Luc Mélenchon l’intention de se présenter en Seine-Saint-Denis, où il a réalisé d’excellents scores… Votre objectif est-il de reprendre l’ancien « bastion rouge » du 93 ?
Notre adversaire n’a jamais été et n’est toujours pas le PCF ! D’ailleurs, si le Front de gauche était passé d’un cartel de partis à un mouvement citoyen les intégrant, nous serions très certainement encore associés dans la même force politique. Le PCF ne l’a pas choisi, ce qui est son droit. FI est en partie née de cet échec. Maintenant, on peut tirer quelques enseignements de tout cela. Le PCF ne pouvait s’attribuer seul les bons résultats du Front de gauche, notamment celui de Jean-Luc Mélenchon en 2012, c’est encore moins vrai cette fois-ci : ils ne défendaient ni le même programme ni la même forme de campagne. Les communistes ont évidemment joué un rôle en le soutenant à partir de fin novembre, mais les excellents résultats de Jean-Luc Mélenchon ont d’autres ressorts principaux. Y compris en Seine-Saint-Denis, où le PS a malheureusement pris le conseil général au PCF depuis 2008, sans compter les avancées municipales de la droite.
Ce n’est donc pas au PCF mais bien au PS et à la droite que FI pourrait contribuer à « reprendre » – pour utiliser votre expression – la Seine-Saint-Denis. Enfin, je souligne que ni Alexis ni moi-même ne sommes investis par FI dans une circonscription sortante du PCF. Dans la mienne, c’est même une candidate PG qui était titulaire du Front de gauche en 2012. J’espère bien d’ailleurs que nous trouverons des solutions nationales pour éviter toute concurrence dans ces circonscriptions où Jean-Luc Mélenchon est arrivé largement en tête.
À l’avenir, quelle pourrait être la forme que prendrait le rassemblement de la gauche ?
Nous ne comptons pas reprendre le terme de « rassemblement » de la gauche pour les raisons expliquées précédemment. Nous ne comptons également pas revenir à un cartel de partis, et j’espère que le PS ne se remettra pas de son grand écart entre Hamon et Macron. Je reprendrai donc les termes de la résolution adoptée à l’unanimité par notre conseil national, samedi dernier, je souhaite que « la France insoumise se développe comme le cadre de la recomposition de notre espace politique sans préjuger de ses formes d’organisation à venir ». Manifestement, les centaines de personnes qui rejoignent les groupes d’appui de FI depuis le premier tour le considèrent aussi ainsi, et c’est le principal. J’espère que nous convaincrons d’autres forces de le faire pour ces législatives ou par la suite.
Éric Coquerel Coordinateur politique du Parti de gauche.