Europacity : « Nous sommes face à un choix de société »

La résistance au projet démentiel de centre commercial Europacity grandit et les opposants ont dévoilé un projet alternatif fondé sur l’agroécologie périurbaine.

Vanina Delmas  • 22 mai 2017 abonné·es
Europacity : « Nous sommes face à un choix de société »
Les opposants au projet d'Europacity ont organisé une journée de mobilisation le 21 mai.
© Thomas SAMSON / AFP

Le point de rendez-vous pour les covoitureurs n’était pas choisi au hasard : le parking d’Ikea, dans la zone commerciale de Paris Nord 2, à Gonesse (Val-d’Oise). Habile pour démontrer qu’il ne faut qu’une petite marche d’un kilomètre afin de rejoindre les champs convoités par le groupe Auchan pour son projet de centre commercial et de loisirs hors normes, Europacity. Sous un soleil de plomb, les manifestants et leurs pancartes colorées sur l’épaule arrivent au compte-goutte sur la parcelle prêtée au Collectif pour le triangle de Gonesse (CPTG) pour ce jour de mobilisation par Dominique Plet, agriculteur menacé par le projet.

Ces terres étant réputées comme les plus fertiles d’Île-de-France, la journée commence par une matinée jardinage. Armés de bêches et de râteaux, les opposants n’en finissent pas de planter des graines de lin, de haricots, de courges ou des pieds de tomates dans les tranchées. Les enfants s’en donnent à cœur joie et attrapent la terre à pleines mains. Le sérieux de la mobilisation n’empêche pas l’humour. Christian, membre du CPTG, a dédié une parcelle à la famille Mulliez, qui dirige Auchan. Aux pieds d’un épouvantail artisanal, des billets de 20 euros semés à côté de plantes compagnes bien sélectionnées : le blé et l’oseille. _« Ils veulent faire fructifier leur argent sur nos terres alors je le prends au mot. La clôture électrique fonctionne grâce à mon éolienne (un jeu pour enfant) et la caméra (en carton) est reliée directement à la mairie de Gonesse qui veut ce projet », explique-t-il aux nombreux curieux. Soudain plus sérieux, cet habitant de Pontoise regrette que la COP21, qui s’est tenue à deux pas d’ici, n’ait pas été un tremplin pour dénoncer ce projet « absurde » et pour « montrer que la France n’a rien d’un modèle en matière d’écologie ».

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La résistance s’organise

Porté par Immochan, la filiale immobilière d’Auchan, et Wanda, un investisseur chinois resté très discret, ce projet a l’ambition de profiter de la dynamique du Grand Paris pour ouvrir ses portes en 2024. Estimé à 3,1 milliards d’euros, ce mégacomplexe mêlant boutiques, attractions et espaces verts grignoterait 80 hectares. Mais il s’inscrit dans un projet de zone d’aménagement concertée (ZAC) du Triangle de Gonesse projeté sur 700 hectares. Même si les promoteurs assurent sauvegarder « 400 hectares d’un seul tenant dont la vocation agricole est sanctuarisée », la promesse est difficile à croire. « Nous avons trois décharges, deux aéroports et deux autoroutes sur notre petit territoire, ça suffit, il faut s’opposer à ce projet nuisible et très coûteux », a clamé Bernard Loup, co-président du CPTG, avant la manifestation vers le centre-ville de Gonesse.

« Des radis, pas des caddies ! », « Des champs, pas de Auchan ! », « Non à Europacity, oui à l’écologie ! ». Les messages scandés tout au long de la marche par près de 600 personnes, notamment par les enfants ouvrant le cortège, ont interpellé les habitants à leurs fenêtres. Depuis le débat public ouvert en 2016, le sujet a (un peu) franchi les frontières des départements directement concernés – la Seine-Saint-Denis et le Val-d’Oise – mais Paris semble encore en retrait. Une incohérence pointée par Jacques Boutault, maire EELV du IIe arrondissement de Paris. « Je viens de croiser une habitante de mon arrondissement qui m’a dit : “Que faites-vous ici ? C’est loin de Paris !”, raconte-t-il. C’est faux ! La preuve, je suis venu en vélo ! Paris doit se sentir concerné par la sauvegarde des dernières terres humides de proximité car leur bétonisation entraînera une hausse de 2 degrés sur la capitale. »

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Un projet alternatif

S’époumoner à dire «Non» est une chose, proposer une alternative en est une autre. C’est désormais chose faite. Ou presque. Fin 2016, la métropole du Grand Paris lance un appel à projets qui, pour trouver « de véritables démonstrateurs de la qualité urbaine », dont un sur 15 hectares du Triangle de Gonesse. Des opposants d’Europacity profitent de cette occasion pour former le groupement Carma (Coopération pour une ambition rurale et métropolitaine agricole), et concocter un projet fondé sur un _« hub d’agriculture périurbaine » et sur l’économie circulaire. Une ferme maraîchère solidaire pour alimenter cantines, banques alimentaires et circuits courts, un farm lab dédié à aux nouveaux métiers liés à la terre et les filières de formation, un centre d’échanges sur la sécurité alimentaire, mais aussi un pôle R-Urban pour identifier comment le monde rural peut s’articuler avec le monde urbain… Autre objectif : transmettre les valeurs de l’agriculture biologique aux paysans déjà installés.

La question de l’emploi est l’un des axes mis en avant par les pro-Europacity sur ce territoire particulièrement touché par le chômage. Mais pour le groupement Carma, les prévisions de 10 000 emplois ne sont pas vérifiables. «Nous pensons que notre vision des choses encouragera plus d’agriculteurs à s’installer, ainsi que des personnes pour la transformation des fruits et légumes sur place, sans oublier la recherche qui se ferait directement dans les sols plutôt que sous des microscopes, détaille Cyril de Koning, maître-composteur et responsable du montage du projet. Nous sommes sur des logiques de développement qui vont au-delà des questions locales. C’est un vrai sujet politique car nous sommes face à un choix de société ! » Une jolie pancarte « Hulot, au boulot ! » brandie dans la manifestation interpellait directement le nouveau ministre de l’Écologie.

De nombreux réseaux sont venus épauler les opposants historiques du Collectif pour le triangle de Gonesse : Terre de liens, maître d’ouvrage du projet, France nature environnement, Fermes d’avenir, le réseau Amap, Le Champ des possibles, Biocoop et les Commerçants de France, entre autres. Face à des concurrents tels qu’Eiffage, Bouygues ou le belge Bopro, le projet Carma n’a pas passé les présélections. Mais il intéresse quelques élus et est nominé pour le grand prix des Convergences qui distingue des projets « particulièrement innovants au service d’un monde “Zéro exclusion, zéro carbone, zéro pauvreté” ». « En continuant à urbaniser comme cela, nous allons multiplier par trois la surface de terres imperméabilisées en un siècle », alerte l’expert agronome Robert Levesque, qui a participé à Carma. Et, par conséquent, nous allons perdre de précieuses terres nourricières. Un comble quand on sait que Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France et soutien du projet Europacity, a validé en mars dernier un texte stipulant que la région « décide de se donner pour objectif que 100 % des cantines des lycées soient approvisionnées en circuits courts, en priorité par des produits locaux, avec un objectif de 50 % de produits bio d’ici à 2024. »

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« Il n’y a rien ici à part des champs, alors ils essayent absolument d’y installer quelque chose : Europacity, Exposition universelle, Jeux olympiques, circuit de Formule 1… Seuls les agriculteurs ne veulent rien y mettre », souligne Jean-Yves Souben, co-président du CPTG. Pour le moment, Europacity n’est pas encore sorti de terre et ces champs ne sont pas encore prêts à se transformer en zone à défendre (ZAD). Mais ses opposants comptent bien faire de plus en plus de bruit en 2017 et peuvent compter sur le soutien inconditionnel des opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, venus en car de Nantes. La lutte de Gonesse sera l’invitée d’honneur de leur rassemblement annuel sur la ZAD nantaise les 8 et 9 juillet.

Écologie
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