Fraude fiscale : 200 milliards par an ?
La première des choses serait de renforcer très fortement les effectifs des agents du contrôle.
dans l’hebdo N° 1452 Acheter ce numéro
L’estimation la plus répandue de l’évasion fiscale est de 60 à 80 milliards d’euros de manque à gagner annuel pour les finances publiques. C’est énorme, mais ces chiffres sous-évaluent fortement le phénomène de « fraude et évasion », comme le montre dans un texte de février dernier l’un des meilleurs spécialistes de la question, Gérard Gourguechon, ancien secrétaire général du Syndicat national unifié des impôts.
On distingue souvent l’évasion fiscale illégale (dans les paradis fiscaux), qui est une forme de fraude, la fraude fiscale nationale (par exemple, la fraude à la TVA, à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu), et l’optimisation fiscale (légale, mais en général illégitime selon des critères de justice).
Pas facile de mesurer les fraudes ! Il existe pourtant des méthodes pour obtenir des ordres de grandeur, qui ne peuvent être que grossiers. Pour être plus précis, il faudrait de lourdes enquêtes. Mais, allez savoir pourquoi, les pouvoirs politiques n’en lancent pas ! Le mieux est de partir des résultats des contrôles fiscaux effectués chaque année sur un très faible pourcentage d’entreprises (environ 2 %) et de ménages, et de tenter d’extrapoler avec prudence. Sans entrer dans la technique, utilisons un chiffre officiel de l’administration, qui s’est félicitée d’avoir récupéré 16 milliards de fraude des seules entreprises au titre de l’année 2015. Si la fraude totale annuelle était d’environ 80 milliards, chiffre fréquemment avancé, cela voudrait dire qu’en contrôlant seulement 2 % des entreprises on parviendrait à récupérer 20 % de la fraude ! C’est parfaitement impossible. Il est donc certain que le montant inconnu de la fraude et de l’évasion est nettement supérieur à 80 milliards d’euros. Peut-être le double ou le triple, voire plus.
Pour Gérard Gourguechon, « la fraude et l’évasion fiscale sont… un phénomène de masse (probablement plusieurs centaines de milliards d’euros chaque année pour la France) ».
Que faudrait-il faire ? Des propositions syndicales sérieuses existent pour la fraude, et d’autres pour l’évasion « paradisiaque ». On les trouve dans le texte de Gérard Gourguechon et dans un gros rapport syndical [1]. La première des choses serait de renforcer très fortement les effectifs des agents du contrôle. Or c’est exactement l’inverse qui s’est produit depuis 2002. Entre 2002 et 2016, la direction générale des Finances publiques a perdu 37 600 emplois, supprimés au motif que la masse salariale de la Fonction publique pèse trop dans le budget de l’État. S’agissant d’emplois qui rapportent infiniment plus qu’ils ne coûtent, l’argument est cocasse !
Comme il est clair que le prochain locataire de l’Élysée ne fera pas mieux que ses trois prédécesseurs dans ce domaine, il ne faut compter que sur les mobilisations civiques, citoyennes, sociales et politiques. Elles sont déjà nombreuses et efficaces.
[1] Stopparadisfiscaux13.fr et Solidairesfinancespubliques.org (rubrique publications)
Jean Gadrey professeur émérite à l’université Lille-I
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.