James Baldwin, une histoire américaine
À partir de l’œuvre de l’écrivain noir américain, Raoul Peck signe, avec Je ne suis pas votre nègre, un film remarquable sur la violence raciale aux États-Unis.
dans l’hebdo N° 1453 Acheter ce numéro
Noir et gay. Pas facile de survivre. Né en 1924, enfant de Harlem, violé à l’âge de 10 ans par deux agents de police, James Baldwin a quitté les États-Unis pour Paris dans sa vingtaine d’années. « Il savait que, s’il demeurait dans une Amérique raciste, cela finirait mal pour lui, observe le réalisateur haïtien Raoul Peck. Il est ensuite revenu et s’est engagé dans le combat pour les droits civiques. Auteur à succès de nombreux romans ou essais, il est devenu un des porte-parole de la cause noire. »
C’est cette personnalité qui a inspiré Raoul Peck (L’École du pouvoir ; Lumumba), puisant dans les textes de Baldwin la matière de ce documentaire, notamment dans les échanges épistolaires entre l’auteur et son agent littéraire, et dans son manuscrit resté inachevé (quand il disparaît, en 1987), Remember This House (Souviens-toi de cette maison). Une trentaine de pages de notes relatant la vie et l’assassinat de trois de ses amis : Martin Luther King, Malcom X et Medgar Evers, membre de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP). Convergeant dans leurs luttes, aucun n’a vécu au-delà de 40 ans. C’est ce qui frappe James Baldwin, dont l’existence est ponctuée de revers, de souffrances, de défaites intimes, d’amers constats, de déceptions en déceptions. Mais un Baldwin qui n’en reste pas moins les yeux toujours étonnés devant la vie, trimbalant avec lui sa nonchalance et un optimisme serein.
Rythmé, accompagné par la voix de Samuel L. Jackson dans sa version originale, par la voix chaude de Joey Starr sur les mots de l’écrivain dans la version française, Je ne suis pas votre nègre est nourri de morceaux musicaux, de blues, de bribes de Ray Charles et de Bob Dylan, de nombreux extraits de films (The Monster Walks ; La Case de l’oncle Tom ; La Chaîne ; Pique-nique en pyjama ; Ariane). Des films tirés du répertoire du cinéma hollywoodien, de la fin des années 1920 et des années 1940, aux héros toujours blancs.
Mais ce documentaire est surtout illustré de photographies et d’archives en noir et blanc et en couleur, qui rapportent donc les trois assassinats mais aussi les années sanglantes de lutte pour les droits civiques, la violence exercée contre les Noirs, tels le boycott des bus de Montgomery, en Alabama, en 1955, ou les ségrégations en Caroline du Nord, dans ces mêmes années.
Raoul Peck y ajoute nombre d’entretiens et d’extraits de conférences de Baldwin, remarquable orateur, comme en témoigne ce débat à Cambridge en 1965, dans lequel il revient sur Gary Cooper tuant des Indiens. « Les Indiens, c’est vous », observe l’écrivain, s’adressant aux Noirs. C’est aussi dans ce même débat que Baldwin évoque la prédiction de Kennedy d’ un président noir à la tête des États-Unis dans les quarante prochaines années…
Il n’empêche, « l’histoire des Noirs en Amérique, c’est l’histoire de l’Amérique. Et ce n’est pas une belle histoire », constatait Baldwin. C’est une histoire faite de fractures, où « le Blanc est une métaphore du pouvoir ».
Singulière actualité que réactive subtilement le réalisateur dans ce réquisitoire exceptionnel, cette autopsie implacable de l’Amérique, dynamique et vivante, apportant toute la verdeur de la pensée de Baldwin en ajoutant aux spectres du passé des images récentes, marquées par différentes émeutes, différentes injustices, rappelant le nom des victimes du racisme et de la ségrégation, entre lynchages et crimes gratuits, ces dernières années.
« Les mots de Baldwin, malheureusement, parlent de ce que nous vivons aujourd’hui, confie le documentariste, non seulement outre-Atlantique, mais aussi en Europe, comme en témoigne le regard dirigé vers les étrangers sur ce continent, pourtant nourri d’immigration. »
Je ne suis pas votre nègre, Raoul Peck (1 h 26).