La gauche part désunie aux législatives

Sur fond de divergences stratégiques, les gauches ne parviennent pas à s’entendre sur des candidatures communes. Coup de projecteur dans cinq circonscriptions françaises.

Pauline Graulle  et  Nadia Sweeny  • 10 mai 2017 abonné·es
La gauche part désunie aux législatives
© photo : JOEL SAGET / AFP

La gauche peut-elle imposer une cohabitation à Emmanuel Macron dans ce « troisième tour » législatif ? Tout le monde en rêve, mais cela reste peu probable tant les stratégies à l’œuvre entre les différentes formations sont diverses. Du côté de l’aile gauche du PS, on appelle au « rassemblement de la gauche sociale et écologique » contre les candidats d’En marche !. Mais Benoît Hamon, largement battu le 23 avril, n’a pas le poids politique suffisant pour imposer cette stratégie déjà refusée par la France insoumise (FI) à la présidentielle.

À l’inverse, FI est persuadée que la seule manière de l’emporter aux législatives est de prolonger la dynamique présidentielle autour de la figure de Jean-Luc Mélenchon, lequel a réalisé d’excellents scores dans bien des circonscriptions. Mais cette ligne a un prix : celui d’un bras de fer avec le Parti communiste français (PCF), qui a soutenu (tardivement) le candidat à la présidentielle, et qui est avant tout soucieux de conserver ses élus dans ce qu’il estime être ses bastions. Résultat, les alliés de la présidentielle pourraient bien se retrouver, aux législatives, en concurrence dans la majeure partie des circonscriptions. Mardi matin, jour de notre bouclage, des négociations avaient toujours cours entre le PCF et FI pour tenter de limiter la casse, mais les relations sont toujours exécrables entre les deux formations – au point que FI a menacé d’engager des poursuites judiciaires contre les candidats communistes utilisant la photo de Mélenchon sur leur matériel de campagne.

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Politis a tenté d’y voir plus clair sur les enjeux de cinq circonscriptions françaises où les gauches s’affrontent.

À Nanterre, le PC joue la division locale

Dans la quatrième circonscription des Hauts-de-Seine, une situation ubuesque s’est nouée entre le Parti communiste français (PCF) et la France insoumise (FI), allant jusqu’à « mettre en danger la coloration à gauche du territoire », s’inquiète Jacqueline Fraysse, députée sortante, élue depuis 1997, issue du Front de gauche. Sur cette circonscription englobant Nanterre et Suresnes, où Jean-Luc Mélenchon (26 %) talonne Emmanuel Macron (30 %) au premier tour de la présidentielle, à gauche, les manœuvres sont multiples pour récupérer la dynamique.

Sentant l’air de la division, Jacqueline Fraysse avait insufflé, avant le premier tour, des discussions locales pour faire émerger une candidature de rassemblement à gauche. Mais, très vite, le maire de Nanterre, Patrick Jarry, ex-PCF, a imposé la candidature de sa première adjointe, Zahra Boudjemaï, dont il est le suppléant. « J’avoue ne pas avoir bien compris pourquoi il a fait cela », se désole Mme Fraysse. D’autant qu’au sein de la France insoumise, un autre binôme s’est constitué : Rossana Morain, elle aussi adjointe au maire de Nanterre et présidente d’un centre social, et M’hamed Zaki, figure associative locale.

Chacun se réclamant de la « dynamique Mélenchon », les deux « couples » concourent pour l’investiture de FI. Le comité national tranche : la militante PCF, Rossana Morain, est officiellement désignée. Le maire de Nanterre refuse ce résultat et décide de maintenir la candidature de son binôme.

Semblant se saisir de la situation – qui pourrait peser sur des négociations nationales –, le PC local joue une drôle de partition. Il désinvestit sa candidate élue par ses militants – Nadège Magnon – et apporte son soutien au binôme de Patrick Jarry, tout en dénonçant, dans un communiqué du 27 janvier, les « coups de force venus d’en haut » chez FI. La cellule PCF de Nanterre a même appelé la candidate investie par la France insoumise – pourtant encartée au PC – à renoncer à sa candidature « unilatérale », fustigeant des méthodes décisionnelles porteuses « de divisions et d’incompréhensions »;

Une incompréhension entretenue par l’utilisation de l’image de Jean-Luc Mélenchon sur des affiches et des tracts par les candidats non investis par le bureau national de FI. Ajoutant de la confusion à la confusion, un groupe dissident de la France insoumise, tout en s’en réclamant, s’est créé autour du binôme du maire. Leur assemblée générale a été boycottée par le bureau initial local de la France insoumise… En parallèle, le PCF a menacé Rossana Morain de l’exclure du parti.

Ahurie par cette foire d’empoigne, Jacqueline Fraysse, qui voulait initialement apporter son soutien aux « candidats investis par la France insoumise », mais qui est aussi proche du maire de Nanterre, est complètement désemparée. « Je ne lutterai pas contre l’une ou l’autre : si ces deux candidatures se maintenaient en l’état, je me mettrais en retrait de cette campagne. » À ce rythme, « tout le monde va perdre ». Et surtout la gauche.

En Moselle, réseau historique contre nouveaux visages

La vallée de la Fensch a indubitablement une histoire marquée à gauche, puisée dans l’ouvriérisme communiste. Mais dans la huitième circonscription de Moselle – territoire des Hauts-Fourneaux de Florange – les forces de gauche sont plus que jamais divisées. D’un côté, le représentant investi par la France insoumise, Lionel Burriello ; de l’autre, le candidat communiste, Patrick Péron, maire d’Algrange. Tous deux ouvriers chez ArcelorMittal (retraité pour M. Péron), tous deux syndicalistes CGT, tous deux candidats aux législatives… « Il y a un conflit générationnel, analyse Lionel Burriello. Nous sommes nouveaux en politique et je pense que les anciens ont des difficultés à laisser la place. Cette double candidature génère des tensions. Moi, je préférerais un rassemblement plus large. »

Cette circonscription de Moselle fait partie des 26 en discussion au niveau national entre la France insoumise et le PC. Manuel Bompard, directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon, a demandé aux communistes d’y retirer leur investiture locale, en échange de désistements de FI sur d’autres territoires. Si Lionel Burriello affirme qu’il se rangera sans difficulté « derrière la décision nationale », au PC, « ce sont les militants locaux qui choisissent : s’ils veulent y aller, on ira, et là-haut, ils nous suivront », affirme Patrick Péron, irrité par la menace d’assignation en justice de FI. « On ne méritait pas ça, on l’a faite cette campagne : la France insoumise n’a pas d’assise ici ! », se persuade le maire d’Algrange, mettant en exergue les réseaux historiques du PC local.

Mais, au premier tour de la présidentielle, c’est Marine Le Pen qui arrive en tête avec 28 % des voix, talonnée par Jean-Luc Mélenchon à 25 % et Emmanuel Macron à 20 %. Ici, le FN « laboure le terrain » depuis un moment, d’autant que le maire frontiste de Hayange, Fabien Engelmann, est candidat suppléant du FN derrière Hervé Hoff.

Le risque de voir cette circonscription PS faire la bascule vers l’extrême droite est particulièrement important, notamment au regard de l’effondrement des partis historiques. Le député PS sortant, Michel Liebgott, vallsiste, veut se faire investir par En marche !, alors que le candidat Les Républicains (LR) s’est désisté en janvier dernier, obligeant la droite à chercher des candidats dans la circonscription voisine… Le FN et En marche ! pourraient bien se retrouver face à face, pour un troisième tour aux couleurs du second.

À Besançon, la sortante frondeuse face à l’insoumise novice

Une candidature de gauche et rassembleuse. Dans la bataille qu’elle livrera au moins de juin, c’est ainsi qu’entend se présenter la députée sortante, Barbara Romagnan. La socialiste frondeuse, élue en 2012 à la faveur de la vague rose qui avait suivi l’élection de François ­Hollande, a quelques atouts dans sa besace. Bien implantée localement, elle a été l’une des rares à rejeter systématiquement l’établissement et les reconductions de l’état d’urgence, mais aussi à n’avoir pas voté pour le traité budgétaire européen de l’automne 2012. Autre fait d’armes, elle a fait partie de ces 56 députés de gauche qui ont tenté de renverser le gouvernement Valls en juillet 2016… Voilà pour le brevet de « vraie gauche ».

Côté rassemblement, la socialiste bénéficie du soutien des écolos et des communistes locaux, lesquels ne présentent pas de candidature sur la première circonscription bisontine. En échange de quoi, la députée donnera sa bénédiction à Christophe Lime, le candidat communiste de la circonscription mitoyenne, si, comme c’est attendu, le prétendant écolo, Éric Alauzet, s’y présente sous les couleurs d’En marche !. « Barbara Romagnan a la capacité d’aller chercher les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, car elle est sur la même ligne politique, mais elle incarne en plus quelque chose de collectif », estime Claude Mercier, son directeur de campagne.

Et des électeurs mélenchonistes, il y en a beaucoup dans cette circonscription. Particulièrement dans le quartier populaire de Planoise, un grand ensemble où Mélenchon a habité quand il faisait ses études de philo à Besançon. Au premier tour, ce dernier a rassemblé 21,24 % des suffrages, arrivant seulement trois points derrière Emmanuel Macron, à 24,31 %. Et loin devant Benoît Hamon, le candidat soutenu par Romagnan, qui a à peine dépassé les 7 %…

D’où l’importance de convaincre les mélenchonistes. Et Barbara Romagnan n’est pas la seule sur le coup. Se présente sur son chemin Habiba Delacour, la candidate de la France insoumise, aide médico-psychologique passée par le petit entrepreneuriat. Une novice en politique, jusqu’ici restée « dans l’ombre », pointe Emmanuel Girod, son directeur de campagne et prédécesseur (pour le Front de gauche) aux législatives de 2012. Il n’avait rassemblé que 7 % des 75 000 inscrits. Mais, « aujourd’hui, la dynamique est différente, on peut renverser les choses, faire exploser le microcosme politique local, veut-il croire. On va insister sur le fait que Barbara Romagnan a voté tous les budgets, ce qui montre que son opposition à Hollande a été avant tout symbolique et qu’en fait elle est sur la même ligne ».

Évidemment, il faudra d’abord déboulonner le prochain candidat d’En marche !, qui, en début de semaine, n’avait toujours pas été désigné. Ironie de l’histoire, il se murmure qu’il pourrait être l’opposant local étiqueté MoDem du maire PS de Besançon, lui aussi rallié de la première heure à… Emmanuel Macron. Dans ce gloubi-boulga politique, Habiba Delacour comme Barbara Romagnan espèrent pouvoir tirer leur épingle du jeu. La première en se posant comme la candidate « naturelle » de Mélenchon, la seconde en allant rechercher ses électeurs de 2012 mélenchonisés ou égarés dans le vote utile Macron.

À Paris, qui va détrôner Myriam El Khomri ?

Elle porte en elle la symbolique de la loi travail, celle qui a mis des centaines de milliers de Français dans la rue, celle qui, entérinée à coups de 49.3, a laissé un goût amer aux salariés. Myriam El Khomri, ministre du Travail, se présente dans la dix-huitième circonscription de Paris, pour le moment sous les couleurs du Parti socialiste (PS), alors que les ténors d’En marche ! réaffirment qu’il n’y aura pas d’accord et que 577 candidats seront bien présentés. À ce jour, on ne connaît pas encore le candidat d’En marche ! qui pourrait être investi face à l’actuelle ministre du Travail. En revanche, à droite, le juppéiste Pierre-Yves Bournazel bat le pavé. Pour faire opposition, tous les regards se tournent donc vers la gauche.

Caroline De Haas, initiatrice de la pétition contre la loi travail qui a recueilli 1,3 million de signatures, se présente en tant que candidate « citoyenne ». Soutenue par EELV, elle cherche à « rassembler » derrière sa figure de militante. Les discussions sont engagées avec Nouvelle Donne, Ensemble ! et le PCF. À l’heure où nous bouclons, ce dernier n’a pas validé son soutien officiel, même si les militants tractent déjà pour la candidate dans le quartier.

Du côté de la France insoumise, c’est Paul Vannier, porte-parole éducation de Jean-Luc Mélenchon, qui défend le projet de l’Avenir en commun. « Nous avons proposé à Caroline De Haas de nous rassembler derrière le cadre collectif de la France insoumise, elle a refusé », regrette-t-il, ajoutant que « seul le cadre FI peut nous assurer de maintenir la dynamique » et de battre l’adversaire symbolique de ce quinquennat. Reconnaissant à Caroline De Haas son rôle dans la lutte anti-loi travail, Paul Vannier la considère cependant comme « investie par EELV, sans programme à défendre », allant jusqu’à la désigner comme la « Benoît Hamon de la circonscription : celle qui va faire perdre la gauche ».

De son côté, la candidate féministe dément et dénonce « l’apparatchisme » de la France insoumise, qui n’analyserait pas de la bonne manière le vote Mélenchon : « La dynamique est réelle, mais le score de Mélenchon seul ne fera pas gagner contre El Khomri. Or la France insoumise n’accepte qu’un ralliement sans condition. Il faut élargir la dynamique FI, qui refuse, en pensant que l’élargir, c’est la perdre. » Des désaccords de stratégie qui font que quand l’un se demande : « Quelle est la figure la mieux placée pour gagner ? » ; l’autre se questionne : « Quel est le mouvement le plus porteur ? » Dans une circonscription où Emmanuel Macron culmine à 37 % des voix au premier tour de la présidentielle, loin devant Jean-Luc Mélenchon (24 %), la réponse pourrait bien être ni l’un ni l’autre.

À Saint-Ouen, bataille de légitimité entre l’insoumis « parachuté » et le communiste « terrain »

Le communiste Frédéric Durand devra-t-il céder la place au profit du coordinateur politique du Parti de gauche, Éric Coquerel ? À l’heure de notre bouclage, mardi matin, on savait juste que la première circonscription de Seine-Saint-Denis (93) était au centre des discussions entre la France insoumise (FI) et le Parti communiste français (PCF) pour qu’un « désistement » ait lieu, à l’avantage, semble-t-il, du lieutenant de Mélenchon.

L’enjeu est d’importance, car cette circonscription (qui va de Saint-Ouen à Épinay-sur-Seine) est largement « gagnable ». Non seulement Mélenchon y a réalisé un excellent score, arrivant en tête avec 38 % des suffrages, soit 13 points devant Emmanuel Macron ; mais mieux : le député sortant n’est autre que le socialiste de l’aile droite, Bruno Le Roux, empêtré dans des affaires d’emploi fictif, et qui pourrait bien ne pas se représenter…

Il y a donc, en théorie, un boulevard à gauche pour l’emporter. Si toutefois les deux candidats en lice ne se présentent pas l’un contre l’autre, ce qui est loin d’être fait. Car tous deux revendiquent leur légitimité. D’un côté, le communiste Frédéric Durand, président du groupe d’opposition de Saint-Ouen, se dit soutenu par la gauche locale, qui dénonce le « parachutage » du candidat de FI. Le communiste rappelle la « démarche collective » qu’il a initiée, dès le mois d’octobre, pour sa désignation. Des heures de réunions, de porte-à-porte, d’ateliers législatifs et une votation citoyenne, organisée le 25 février, où il a été désigné comme le candidat de la gauche (non socialiste) par 250 personnes, communistes, écolos ou simples citoyens.

« En réalité, c’était surtout les communistes locaux qui ont voté », soutient pour sa part Éric Coquerel, lequel a refusé de passer par les fourches caudines de la votation citoyenne. Lui estime que la dynamique est du côté de Mélenchon, et pas du côté des communistes. Et que le département, ancien bastion rouge repris par le PS, doit être « dispatché » entre FI et le PCF.

Las, au début de semaine, ni Frédéric Durand ni Éric Coquerel ne voulaient entendre parler de retrait. « Mes soutiens ne comprendraient pas que je laisse tomber en faveur d’un candidat qui n’habite même pas à Saint-Ouen », expliquait Frédéric Durand, entendant désormais « trouver les voies du rassemblement » avec qui voudra. Éric Coquerel pariait, lui, sur un arrangement à l’amiable.

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