La géographie du vote FN
Dans un essai collectif, chercheurs et acteurs de terrain remettent en cause un certain nombre d’idées reçues.
dans l’hebdo N° 1452 Acheter ce numéro
Cet ouvrage ne pouvait pas mieux tomber. En pleine campagne présidentielle, alors que le vote Front national est de plus en plus inquiétant, les éditions CNRS publient une étude sur les nouvelles relégations territoriales. Sous la direction d’Esther Benbassa et de Jean-Christophe Attias, des chercheurs et des acteurs de terrain nous font partager leurs analyses sur ces « relégations » géographiques qui constituent le principal terreau de l’extrême droite. Le concept de périurbain, cher à Christophe Guilluy, est ici contesté tant dans sa définition que dans sa composition sociale, plus diverse qu’on ne le croit généralement. La géographe Martine Berger souligne que ces zones témoignent souvent d’une certaine mixité sociale et de solidarités de voisinage qui nous éloignent du cliché du « monde clos de propriétaires individualistes », et évidemment racistes. Daniel Behar juge même dangereuse cette représentation de « territoires oubliés » qui agit comme une « prophétie auto-réalisatrice ». La démarche est la même à propos des banlieues. Hervé Vieillard-Baron s’insurge contre les « postures idéologiques » qui enferment ces petites couronnes, là encore, dans une image uniforme qui ne rend pas compte de la réalité. Mais c’est l’urbaniste Éric Charmes qui est censé porter le coup de grâce au concept de « périurbain, terreau du vote FN ». Il n’y parvient qu’à moitié.
On comprend bien sous sa plume que la formule est réductrice, mais la démonstration paraît parfois sibylline. L’auteur nous dit que c’est moins le périurbain « en tant que tel » qui doit être corrélé au vote d’extrême droite que l’éloignement des grandes villes. Mais il précise que le vote FN régresse quand on atteint les zones rurales. C’est donc à mi-chemin entre les grandes villes et la campagne que le FN obtiendrait ses pics d’influence. On n’est pas très loin du périurbain… L’explication du processus politique est plus convaincante. Ce n’est pas tant le cadre de vie périurbain que les conditions économiques, souvent d’endettement, des populations qui s’installent dans ces zones qui produisent du vote FN. Les mauvaises langues diront que le résultat est le même.
On suit tout de même avec intérêt Éric Charmes quand il démonte minutieusement les inconvénients de la vie périurbaine : coûts des transports pour gagner la ville (qui absorbent en moyenne plus d’un tiers des revenus), durée des journées de travail, rareté des loisirs, risques inhérents à la propriété. D’où un fréquent ressentiment à l’encontre de la politique et des discours médiatiques. Le FN n’est plus très loin. Mais l’urbaniste a évidemment raison de dénoncer l’atmosphère de culpabilisation que l’on entretient autour de ces populations. Au total, cet ouvrage de déconstruction d’un certain nombre de clichés sur la « géographisation » des problématiques territoriales est bien passionnant, et utile dans son refus de toutes les stigmatisations.
Nouvelles relégations territoriales, sous la direction d’Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias, CNRS éditions, 200 p., 22 euros.