« Le Redoutable », de Michel Hazanavicius
Dialogue imaginaire sur un film, hélas, bien réel.
– Alors, Mimile, ton film sur Godard ?
– Ah, je me suis bien marré à le faire ! Ça, je te garantis que je ne l’ai pas loupé, ce sacro-saint God-Art !
– Très drôle, ton jeu de mots !
– Y en a plein mon film !
– Pourquoi donc ?
– Godard, c’est le génie du calembour, le roi de la punchline. Il déteste la publicité : on le voit dans le film en venir aux mains avec un gars de Publicis. Pourtant il ne fait pas mieux. Des slogans à foison, mais de la bouillie pour pensée. T’as déjà essayé d’y comprendre quelque chose à ce qu’il raconte ?
– Non…
– Ne crois pas pour autant que je suis resté à la surface des choses. J’ai imaginé des mises en abyme profondes. Tu vois, Louis Garrel, qui interprète Godard, je lui ai fait exprimer face caméra tout le mépris que le cinéaste a pour les acteurs. Tu entends Garrel dire – et tu n’en crois pas tes oreilles : « Les acteurs sont tellement cons que si on leur demande de dire que les acteurs sont cons, eh bien, ils s’exécutent. »
– Fortiche, dis donc !
– J’ai aussi montré à quel point Godard est déphasé politiquement. J’ai situé le film en 1968. Il n’arrête pas de se faire chahuter quand il prend la parole en public, devant les étudiants en particulier.
– Oui, son prêchi-prêcha révolutionnaire, quel pensum !
– Justement, moi j’en ai fait un sujet de rigolade.
– C’est très original !
– À la fois, quand il fait arrêter le Festival de Cannes avec ses copains de la Nouvelle Vague, je le montre se reposant sur la Côte d’Azur dans la villa d’un type qu’il exècre, Pierre Lazareff, le fondateur de France-Soir. Tout en étant de mauvaise humeur, il y reste quand même. Il ne crache pas sur son petit confort…
– C’est bien de révéler les mesquineries du grand homme …
– En fait, Godard, tel que je l’ai représenté, est parfaitement imbuvable. Il s’engueule avec tout le monde, pense avoir toujours raison. Je crois que le mot qui revient le plus souvent dans sa bouche, c’est « con ». Godard trouve tout le monde « con » : les acteurs, les metteurs en scène (il s’en prend à Bertolucci, Ferreri…), ses amis, et finalement sa femme de l’époque, Anne Wiazemsky, que j’ai fait jouer par la délicieuse Stacy Martin.
– J’ai vu des photos d’elle dans Première. J’imagine mal comment on peut être désagréable avec une fille aussi belle…
– Godard est un méchant macho. Tout le contraire de moi, qui filme si amoureusement mon épouse, Bérénice Bejo…
– Et ça parle de cinéma, ton film ?
– De… cinéma ? Ah oui ! Je montre Jean Vilar, toujours à réclamer aux journalistes des questions sur les œuvres et non les potins people, s’assoupissant devant La Chinoise, que Godard vient présenter à Avignon. Cela dit, il a ses admirateurs. Mais à chaque fois qu’on voit l’un d’eux s’adresser à lui, c’est pour lui signifier combien il regrette ses premiers films, À bout de souffle, Belmondo, tout ça…
– Faut avouer qu’À Bout de souffle, c’est son meilleur, non ?
– Affirmatif. Dans Godard, c’est pas compliqué, on n’est pas chez Picasso, il n’y a qu’une période : la première. Ensuite… Ensuite, c’est le pitch du film : Godard traverse une crise existentielle qui l’amène à renier ce qu’il a réalisé précédemment pour désormais faire du cinéma maoïste.
– Et comment as-tu mis en scène cette crise ?
– Bah, je te l’ai dit : Godard trouve tout le monde minable et rumine une humeur de chien.
– Rien d’autre ?
– Si, ce dialogue : Godard affirme que « le cinéma révolutionnaire, c’est un cinéma sans réalisateur, sans producteur, sans hiérarchie… » Et un de ses copains d’ajouter : « Et sans spectateur »…
– (Rires). Elle est bien bonne ! Tu es quand même trop fort de faire rigoler sur Godard !
– Je ne te cache pas qu’il m’a fallu une certaine audace pour lancer ce projet. S’attaquer à une vache sacrée, tout de même !
– Tu vas vraiment à contre-sens de l’époque. Aujourd’hui, l’idéologie dominante dénonce tout ce qui se veut populaire. On vit un poujadisme à l’envers, élitiste !
– C’est mon péché mignon, l’anticonformisme…
– Bravo, mon Mimile ! J’admire ton courage, ton sens de la comédie, qui ne met jamais les rires gras de ton côté, et ton œuvre émancipatrice.
– Cela valait bien une sélection en compétition, non ?
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