« Les discours publics homophobes libèrent les passages à l’acte »
Joël Deumier présente les grandes lignes du rapport annuel de SOS Homophobie. Où l’on constate une remontée inquiétante des agressions physiques et verbales.
dans l’hebdo N° 1454 Acheter ce numéro
Aucune statistique officielle ne recense les actes et propos homophobes. L’élargissement, par une loi de novembre 2016, de la compétence de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme à « la haine anti-LGBT » (Dilcrah) permettra bientôt de connaître le nombre de plaintes déposées pour actes et insultes LGBTphobes. Mais, pour l’instant, seul le rapport de SOS Homophobie, à partir des témoignages recueillis sur sa ligne d’écoute, révèle la tendance en France [1]. Un outil précieux qui montre, pour l’année 2016, une forte augmentation des passages à l’acte.
Quelles sont les principales raisons de la hausse du nombre de manifestations d’homophobie, alors qu’elles avaient diminué les deux années précédentes ?
Joël Deumier : Nous constatons en effet près de 20 % d’actes LGBTphobes en plus par rapport à 2015. Nous avions connu une explosion de propos et de violences homophobes en 2013, année de l’adoption de la loi sur le mariage pour tous, avec une augmentation de 78 % du nombre de cas recensés. Les deux années suivantes, ce taux avait nettement régressé.
Nous expliquons cette hausse en 2016 par deux raisons. La première est que les victimes témoignent davantage. Le fait que des lois en faveur des droits des LGBT aient été votées accroît la légitimité à témoigner et a pour conséquence que les agressions et les insultes paraissent encore plus intolérables aux victimes, qui ont conscience d’avoir de vrais droits.
La deuxième raison, plus négative, est la réorganisation du discours réactionnaire en France. On l’avait fortement constaté en 2013 avec la Manif pour tous, ensuite avec le mouvement Sens commun, qui s’était un peu calmé ces dernières années. À la faveur de la campagne électorale, ce discours est réapparu, notamment autour de Sens commun, qui s’est vu légitimé par son soutien au candidat Fillon.
On l’observe depuis toujours : dès que l’on a des mouvements organisés, même minoritaires mais bruyants, qui font entendre un discours à caractère homophobe, certaines personnes se sentent plus libres d’exprimer leur mépris, leur haine, voire de passer à l’acte. Car il y a un lien direct, libérant ou légitimant les préjugés.
En plus de l’explosion des cas de transphobie et de biphobie, le rapport souligne deux espaces propices à l’expression de l’homophobie : Internet et l’école, tous deux touchant particulièrement les jeunes.
Un travail précieux
Créée en 1994, forte de plus de 1 300 adhérents et de 21 délégations régionales, SOS Homophobie travaille d’abord à soutenir les victimes de toutes les agressions LGBTphobes, physiques ou verbales, en recueillant les témoignages à partir desquels elle rédige son rapport annuel.
Seul (triste) baromètre de l’homophobie en France, le document montre cette année l’augmentation globale (+19,5 %) de ce qui constitue juridiquement des délits aggravés, encore trop rarement dénoncés par de vraies plaintes et poursuivis en justice. Dans une démarche de prévention, l’association organise également des formations dans les établissements scolaires, les administrations publiques et les entreprises privées, afin de déconstruire les stéréotypes et l’homophobie ordinaire. Elle milite enfin pour la défense des droits des personnes LGBT et l’octroi de nouvelles protections juridiques. Ainsi, avant notre entretien, Joël Deumier œuvrait à construire une solidarité internationale urgente avec les homosexuels tchétchènes, victimes d’atroces persécutions.
Pour plus de données issues du rapport 2017, voir https://www.politis.fr/articles/2017/05/nette-remontee-de-lhomophobie-en-2016-36918/
C’est particulièrement violent pour les jeunes les plus isolés, qui reçoivent parfois des centaines de messages d’insultes. Ces discours de haine sur le Web augmentent alors leur isolement, leur détresse et une certaine mésestime de soi, particulièrement dangereuse quand on sait que le taux de suicide chez les jeunes LGBT est quatre à sept fois supérieur à celui observé chez les jeunes hétérosexuels.
Nous appelons donc les grandes plateformes (Twitter, Facebook, Instagram, YouTube, etc.) à prendre leurs responsabilités pour effacer les commentaires insultants, mais aussi les pouvoirs publics à contraindre ces sociétés à le faire. Si nous interpellons les pouvoirs publics, c’est parce que nous savons par de nombreuses études, notamment états-uniennes, qu’il y a une corrélation directe entre la diminution du taux de suicide chez les jeunes LGBT et l’adoption de dispositions légales en faveur de leurs droits.
À l’école, si l’homophobie s’exprime d’abord entre élèves, l’un des faits nouveaux est qu’elle vise désormais aussi les familles homoparentales, enfants et parents.
À l’école, l’homophobie concerne d’abord les enfants entre eux (59 % des cas), mais 15 % des victimes sont des enseignants. Toutefois, des propos homophobes sont parfois tenus par les professeurs eux-mêmes (ou le personnel encadrant). Le plus souvent, ceux-ci minimisent le caractère LGBTphobe de certaines agressions dans les établissements.
Par ailleurs, et c’est en effet nouveau, les familles homoparentales sont maintenant visées. On a par exemple un témoignage concernant une élève de maternelle de 4 ans qui est en difficulté. Lorsque ses deux mamans sont venues demander des explications, l’enseignante a déclaré que la fillette était agitée, mais « finalement assez équilibrée malgré le fait d’avoir deux mamans »…
Ainsi, en dépit d’une plus grande acceptation de l’homoparentalité dans la société, on observe que certains stéréotypes demeurent. C’est d’ailleurs pourquoi nous venons justement de créer, à SOS Homophobie, un groupe spécifique « homoparentalité » pour faire face à ces questions-là.
Il y a eu récemment cet événement dramatique du policier tué sur les Champs-Élysées, dont on a appris qu’il était gay et militait à Flag, l’association LGBT au sein de la police et de la gendarmerie. Ces deux corps ont-ils fait des progrès vis-à-vis des personnes LGBT, notamment pour recevoir les plaintes des victimes d’actes homophobes ?
Depuis quelques années a été inscrite dans la loi la circonstance aggravante lors d’une agression si celle-ci a un caractère homophobe ou transphobe. C’est un réel progrès. Mais, comme le souligne notre rapport, les victimes qui vont porter plainte ont parfois des difficultés à voir leur requête acceptée et, quand c’est le cas, à voir reconnaître cette circonstance aggravante de la part des fonctionnaires qui reçoivent la plainte. Il faut donc poursuivre les efforts concernant la formation des policiers.
L’association Flag réalise un gros travail dans ce domaine, et nous faisons nous-mêmes des interventions dans des administrations ou des entreprises privées, mais nous sommes encore loin du compte. La mort tragique de Xavier Jugelé, le policier assassiné le 20 avril, a eu pour effet de souligner que, chez les policiers et les gendarmes, il y a aussi des gays et des lesbiennes qui font leur travail comme tous leurs autres collègues. Mais, surtout, il y a eu le discours extrêmement touchant de son compagnon dans la cour de la préfecture de police de Paris, pleurant un être cher devant tous les corps constitués de la République, et en premier lieu le Président.
Cela a montré, je crois, une vraie normalisation de l’homosexualité dans la société, en particulier dans la police, qui ne bénéficiait pas a priori jusqu’ici d’une image vraiment gay-friendly. En dépit de ce drame terrible, cela a été un événement important de notre point de vue, quatre ans seulement après la victoire qu’a représenté le mariage pour tous : un beau symbole et un beau moment républicain.
[1] Du lundi au vendredi de 18 h à 22 h, le samedi de 14 h à 16 h, le dimanche de 18 h à 20 h : 01 48 06 42 41. On peut aussi témoigner en ligne et avoir de nombreuses informations sur : www.sos-homophobie.org
Joël Deumier Président de SOS Homophobie.