Qui paiera le rêve de l’OM ?
Depuis son rachat, l’Olympique de Marseille s’engage dans une course aux sommets qui pourrait laisser certains supporters de côté. Un groupe de « socios » souhaite écrire une autre histoire.
dans l’hebdo N° 1452 Acheter ce numéro
Des étoiles plein les yeux, Caroline, Ludovic et leurs deux enfants observent le match du haut de la tribune Jean-Bouin, au stade Vélodrome. L’OM est une passion d’enfance pour le couple venu spécialement de Chalon-sur-Saône. Et l’affiche du soir, OM-Saint-Étienne (4-0), valait bien de casser leur tirelire.
Six mois après le rachat du club, au terme d’une éprouvante tragicomédie, le moral est au beau fixe pour les supporters de l’OM. « Il faut dire qu’on a beaucoup souffert, s’épanche Bernard, 63 ans, qui vit pour le club depuis toujours. L’OM est aujourd’hui entre de bonnes mains. » Le milliardaire américain Frank McCourt, nouveau propriétaire du club, a rassuré les fans en promettant une pluie de millions pour les quatre prochaines années et le doublement du budget du club, autour de 200 millions d’euros. Même si l’OM serait encore loin derrière le Paris-Saint-Germain et ses 500 millions d’euros de budget.
Un nuage pointe toutefois à l’horizon. Jacques-Henri Eyraud, le président du club, a annoncé fin mars l’augmentation « progressive » du prix des places au stade Vélodrome, en demandant aux supporters « d’être compréhensifs par rapport à ce qu’est [leur] projet ». Pour grandir, l’OM doit se remplumer financièrement. Et la billetterie rapporte aujourd’hui deux, trois, voire quatre fois moins que des clubs de la stature à laquelle le club phocéen aspire [1]. Ces hausses de tarifs risquent d’être rédhibitoires pour Christophe, Avignonnais de 48 ans et mordu depuis l’enfance, installé en haut de la tribune latérale, avec la classe moyenne : « L’OM a la chance d’avoir un public populaire et de réunir toute la ville. Il ne faut pas qu’il la gâche », soupire-t-il.
Mais ces inquiétudes ne pèsent pas lourd. Car pour beaucoup d’autres supporters, la passion n’a pas de prix. « Je suis prêt à payer 100 euros de plus si c’est pour voir l’OM gagner », lance ainsi Mathieu, 30 ans, venu de Gap, à 200 kilomètres, pour assister au match. Un tiers des supporters abonnés accepteraient même de payer une augmentation de plus de 75 %, estiment les économistes Richard Duhautois et Luc Arrondel, d’après une enquête réalisée en mai 2016. « C’est une consommation addictive », diagnostique Luc Arrondel, chercheur à l’École d’économie de Paris. Le nouvel OM aurait toutefois tort d’augmenter trop brutalement ses tarifs, estime-t-il. L’exemple du championnat anglais, trois fois plus riche que le championnat français, démontre l’effet pervers de cette inflation tarifaire. La ferveur populaire attire les investisseurs, qui développent à grands frais des écuries devenant hypertrophiées. Le prix des places suit à la hausse, ce qui finit par tuer la ferveur populaire. Ce phénomène existe partout en Europe, mais a été accentué en Angleterre par la chasse au hooliganisme, depuis vingt ans, qui a conduit à la suppression des places debout et à une inflation délibérée des tarifs. Résultat, la Premier League affiche des prix quatre fois supérieurs à la Ligue 1, et l’abonnement le moins cher à Liverpool est vendu au prix du plus cher à Marseille. Si bien qu’Anfield, le stade de la ville populaire anglaise, a perdu sa ferveur légendaire.
Est-ce la malédiction qui guette le club marseillais ? L’OM a en tout cas un énorme potentiel économique, grâce à son aura planétaire et à son stade fraîchement réhabilité. Pour réveiller ce « géant endormi », selon les mots de Frank McCourt, il faudra des millions. « Les clubs doivent créer un cercle vertueux, où les bons résultats sportifs dynamisent la fréquentation et font croître les recettes. Pour l’enclencher, il faut sortir le carnet de chèques et prier pour que les résultats suivent », résume Pierre Chaix, économiste du sport à Grenoble. Peu de prières sont exaucées, dans un contexte de surenchère financière et de partage de plus en plus inégalitaire des recettes. L’augmentation des places, avec les droits télé et le marchandising, est donc un levier incontournable si l’OM veut jouer les premiers rôles en Europe.
La nouvelle équipe dirigeante se montre toutefois soucieuse de résoudre cette équation sans reproduire les erreurs de ses cousins anglais. L’augmentation se fera « en sauvegardant la réalité des virages », où la place coûte une vingtaine d’euros et l’abonnement annuel 150 euros, a assuré fin mars Jacques-Henri Eyraud. « Ils ne pourront pas se permettre de se mettre à dos les supporters. Il y a une trop grosse ferveur ici », hurle Sébastien, 30 ans, au milieu des cris et des pétards qui célèbrent ce jour-là le trentième anniversaire des « South Winners ». Tous arborent des tee-shirts orange, couleur emblématique du groupe depuis que ses membres ont retourné leurs bombers en signe de défiance envers les skinheads parisiens, en 1989. La ferveur du stade Vélodrome, dont la rénovation a d’ailleurs coûté 55 millions d’euros à la ville, à la charge du contribuable, ne devrait donc pas être sacrifiée.
Même le Paris-Saint-Germain a compris qu’il ne pouvait pas se passer du public populaire et vient de réautoriser les groupes de supporters, dissous en 2010 après des violences, pour que l’ambiance revienne au parc des Princes. Les grands clubs européens réservent également 5 000 à 10 000 places aux petits budgets, pour les mêmes raisons. En revanche, l’inflation peut être exponentielle pour tous les autres et les places les mieux cotées peuvent s’envoler à plusieurs centaines d’euros. Le Barça est ainsi le club qui distribue les abonnements les moins chers d’Europe (100 euros), en nombre limité, tout en affichant les tarifs de place les plus élevés (370 euros). C’est le modèle que Frank McCourt dit vouloir suivre, ce qui ne réjouit pas les familles de la tribune latérale, où les places avoisinent encore les 30 euros.
Face à ces défis, la philosophie des « socios », supporters-coopérateurs, déjà bien ancrée dans le football sud-américain et en Espagne, arrive en France. Après une tentative à Nantes et une expérience à Guingamp, l’idée a gagné Marseille pendant la crise précédant le rachat, l’été dernier. « Notre grosse crainte était de voir arriver un investisseur du type qatari, qui ne tienne pas compte des racines populaires du club, raconte Julien Scarella, animateur du Massilia socios club. Par ailleurs, nous sommes tous prêts à mettre de l’argent pour que le club préserve son identité et redevienne ambitieux sportivement. » C’est un modèle nouveau qu’ils souhaitent promouvoir. « Ni le Barça, ni le Real, ni Manchester n’ont gardé leur dimension populaire. L’OM serait un cas unique », assure Julien Scarella.
En fédérant 2 100 « socios » qui cotisent 7 ou 10 euros par mois, l’association recueille déjà 300 000 euros. Dans quelques mois, elle devrait investir cette somme pour améliorer la formation de jeunes joueurs et l’ancrage local du club. Elle compte aussi grossir ses rangs, pour recueillir chaque année de plus en plus de fonds, afin de peser sur la vie du club. À terme, elle espère en acheter des parts pour siéger à son conseil d’administration. Il leur faudra un peu de patience. « Il y a une grosse réticence des présidents de club à l’actionnariat populaire », note en effet Luc Arrondel. La France est pourtant en retard sur ses voisins européens. À Barcelone, à Madrid et à Munich, les trois géants du foot européen, les supporters sont propriétaires du club. Ils n’ont pas su éviter tous les écueils du foot-business, mais ce modèle a au moins permis d’améliorer la transparence, qui fait tant défaut à Marseille.
Les patrons du sport professionnel sont aussi en train de comprendre que l’équité reste une valeur incontournable. « Pour avoir un spectacle de qualité, il faut des rivaux de qualité, résume Pierre Chaix. Les Américains l’on compris. C’est pour ça qu’ils se répartissent équitablement les recettes des droits télé. » C’est le chantier colossal que doit engager le football professionnel, où les plus gros prennent encore la plus grosse part.
[1] Source omforum.com