Walker Evans, un autre décor américain
Le Centre Pompidou, à Paris, consacre au photographe une importante rétrospective, où domine son intérêt pour la culture et les classes populaires.
dans l’hebdo N° 1454 Acheter ce numéro
L’exposition s’ouvre sur un effet de miroir. Un grand format sur plusieurs mètres d’une image en noir et blanc de la devanture d’un studio photographique pour permis de conduire, en 1934. Lettres et chiffres dessinent une signalétique parfaitement équilibrée sur la tôle gondolée. À côté de ce format hors norme sont alignés de petits tirages, une série d’autoportraits de Walker Evans (1903-1975) réalisés en 1926 lors de son séjour à Paris et à Juan-les-Pins. Des autoportraits pris notamment dans l’ombre d’une persienne, assez maladroits.
Evans ne naît pas photographe, il le devient. À ce moment, ce fils de publicitaire est en France pour étudier à la Sorbonne, fasciné par Baudelaire et Flaubert, le spectacle de la rue d’un côté, la simplicité de l’autre. Il traduit même Cendrars et Gide. Il existe pire formation intellectuelle. Un an plus tard, ses autres autoportraits, au Photomaton, sont autant d’amusements grimaciers et turbulents.
Passé l’amusement, le jeune homme s’intéresse d’abord à la ville sous tous ses angles, dans ce qu’elle a de commun et de singulier. Une foule sur la plage de Coney Island, habillée de -transats, des rues de Brooklyn vues de haut, le trafic routier dans la Grosse Pomme, les marches d’un métro aérien… Ses images sont encore d’un modernisme classique, marquées par la plongée, la contre-plongée, les gros plans, le décadrage, la surimpression et les jeux graphiques.
Evans a alors deux mentors. Lincoln Kirstein et Berenice Abbott (qu’il croque tous deux en gros plan). Le premier est éditeur. C’est lui qui l’entraîne à photographier les façades des maisons victoriennes dans le nord-est des États-Unis, confrontation directe avec le sujet, objective, sans fioritures. La seconde est elle-même photographe. Et lui fait découvrir les images du vieux Paris d’Eugène Atget (1857-1927), avec ses petits métiers, ses ruelles pavées, sa vie animée, ses façades et ses vitrines. Pour Evans, c’est une commotion. Un modèle. Et surtout un modèle d’humilité.
Atget avait saisi un marchand d’abat-jour de rue en 1899, Evans s’arrête sur un joueur d’orgue de Barbarie à New York (1929) ; Atget avait rapporté l’enseigne d’une boutique boulevard de La Villette en 1924, Evans cadre la devanture d’un petit restaurant à La Havane en 1933.
Dans cette première rétrospective importante consacrée à Walker Evans, avec plus de trois cents documents, les parallèles entre les deux photographes sont nombreux. Ils tiennent jusqu’au bout de la vie de Walker Evans quand, en 1963, il fixe un magasin de vêtements, comme Atget, planté devant une boutique de chapeaux au marché des Halles (1925). C’est la première marotte d’Evans, qu’on observe dans cette exposition à côté de son intérêt pour le vernaculaire, recoupant un toutim utilitaire, domestique, entre panneaux, affichages, vitrines, publicités, graffitis, petits commerces, cartes postales et papiers imprimés… Il faut dire que le paysage américain ne manque pas de détails qui attirent l’objectif avec son graphisme alléchant.
Mais c’est assurément dans le portrait que Walker Evans se distingue. Celui des humbles. Dockers, mineurs, musiciens de rue, réfugiés, vagabonds, mendiants, infirmes, paysans et femmes de fermiers. Des laissés-pour-compte photographiés sans fard, sans effet dramatique, bruts, fixes devant l’objectif, dont les visages font paysage. Certaines images sont devenues des icônes. Mais on n’est pas là dans le rêve américain. Ce n’est pas le truc d’Evans, inspiré par un réalisme cru. Celui qui le conduit à photographier aussi, dans la banalité urbaine, des poubelles, des détritus, un cimetière de bagnoles, et plus encore des usagers anonymes et ordinaires du métro new-yorkais. Au plus près du popu.
Walker Evans, Centre Pompidou, Paris IVe, jusqu’au 14 août.