1971–2017, ci-gît le PS

C’est historique. Le Parti socialiste est en passe de disparaître de l’Assemblée nationale, passant de 284 à une vingtaine de députés, dont une majorité de « Macron-compatibles ».

Nadia Sweeny  • 14 juin 2017 abonné·es
1971–2017, ci-gît le PS
© photo : Sadak Souici / Citizenside / AFP

La boucle est bouclée. Entre le 11 et le 13 juin 1971, le Parti socialiste se refondait au congrès d’Épinay, enterrant la SFIO vieillissante sur une nouvelle union des courants de la gauche. Quarante-six ans plus tard, le parti de la rose au poing est noyé sous la vague macronienne. De par sa faute. Et il pourrait bien cette fois ne pas se relever de la crise qui le minait depuis plusieurs années. Une partie de lui-même s’est encanaillée dans les bras d’un libéralisme élitiste quand une autre partie restait attachée à un socialisme traditionnel. Le tiraillement est devenu déchirure. Mais si la débâcle était prévisible, personne ne s’attendait à un tel reflux. Le PS éclaté ne réunira qu’une poignée de députés : de 15 à 25 sièges, selon les estimations – regroupant EELV, PRG et autres divers gauche – un score jamais atteint. Le « dégagisme » a fait ses premières victimes : Jean-Christophe Cambadélis, Élisabeth Guigou, Christophe Borgel, Erwann Binet, Malek Boutih, Michel Destot… balayés. Les bastions historiques tombent un à un. En Bretagne, « terre de missions » mitterrandienne, le raz-de-marée macroniste a eu raison de la gauche socialiste. Mais c’est dans les Bouches-du-Rhône et dans le Nord que la défaite est la plus cuisante. Les puissantes fédérations des « bouches du Nord », dont l’alliance avait permis la refondation d’Épinay, et qui ont longtemps pesé jusqu’à 40 % des mandats dans les congrès, sont perdues. On n’y trouve plus un socialiste au second tour. Sur les terres ouvrières du Nord-Pas-de-Calais, le PS a perdu ses 18 sièges. Même le fief de Pierre Mauroy, dans la 1re circonscription, est livré à l’affrontement entre La République en marche (LREM) et la France insoumise (FI). Comme si le PS n’existait plus, politiquement, idéologiquement. Privé d’espace.

Ce lundi 12 juin, rue de Solférino, le bureau national évalue l’urgence : « Soutenir au mieux les 60 candidats qui nous restent sur 577, soit moins de 10 %… quasiment tous en ballottage défavorable », se désole la porte-parole Christine Revault d’Allonnes-Bonnefoy. La question du financement est brûlante : on parle déjà de licenciements « économiques » au siège du parti. Alors, pour tenter de sauver les meubles, on continue la politique du flou : personne n’est en mesure de préciser comment la direction peut soutenir à la fois les socialistes positionnés sur une ligne d’opposition et ceux qui se présentent avec l’étiquette « majorité présidentielle ». Il y a bien eu des tentatives de recadrage, mais « on ne va pas ajouter de la division à la division », explique Rachid Temal, membre du bureau national. Myriam El Khomri – présente au second tour – peut donc revendiquer à la fois son appartenance au PS et le « soutien officiel » d’Emmanuel Macron. Tandis que, sous la même étiquette PS, Benoît Hamon appelle à voter Farida Amrani, candidate de la France insoumise, face à Manuel Valls dans l’Essonne. « Tout est clair », affirme encore Solférino. « Non, il n’y a pas de distinction et cet effet de brouillage a été rédhibitoire pour les électeurs », déplore Guillaume Balas, député européen PS, bras droit de Benoît Hamon pendant la campagne présidentielle.

« N’y a-t-il pas de grand écart entre Bayrou et Castaner ? Je ne crois pas aux gauches irréconciliables : la gauche a toujours été plurielle », se défend Rachid Temal, qui veut se concentrer sur le « soutien aux derniers candidats, dont deux sont dans le Val-d’Oise », là où il est secrétaire fédéral. Rachid Temal tente d’ailleurs des tractations locales pour rassembler la gauche derrière ses candidats, promettant une « réciprocité ». Mais on voit mal la FI ou le Parti communiste se lancer à corps perdu dans la campagne de Philippe Doucet, proche de Manuel Valls. De même que, dans la circonscription voisine, le « Macron compatible » François Pupponi caracole en première place – opposé à Samy Debah, sans étiquette – parce qu’épargné par le Président : il avait même vu son nom s’afficher sur la première liste des investis LREM avant d’en être retiré. Comme lui, les rares socialistes arrivés en tête, et qui sauveront vraisemblablement leur siège, sont ceux qui n’avaient pas d’opposant macronien : Stéphane Le Foll, Marisol Touraine, George Pau-Langevin…

« Les seuls choisis par LREM », cingle Guillaume Balas. Les plus proches de la ligne vallsiste. Depuis 2008, Manuel Valls veut « transformer de fond en comble le fonctionnement du PS », changer le nom « parce que le mot socialisme est sans doute dépassé », disait-il, appelant à un « congrès fondateur » d’un « mouvement » plutôt qu’un parti qui « nous enferme dans quelque chose d’étroit ». Mais il n’ira pas au bout. C’est un outsider de 39 ans qui damera le pion de l’ancien Premier ministre sur son propre terrain idéologique, mais aussi stratégique.

L’inertie socialiste se paye. Tout comme Manuel Valls, les frondeurs n’ont pas été au bout de leur logique de rupture. Aujourd’hui, le mouvement de contestation interne solde son incapacité à se démarquer d’une étiquette PS moribonde. Mathieu Hanotin, Laurent Baumel, Pascal Cherki, Alexis Bachelay, Aurélie Filippetti… mais surtout Benoît Hamon… tous éliminés. Au milieu de ce champ de ruines, seuls quelques-uns ont résisté à la vague du premier tour, avec peu de chance de l’emporter, malgré les appels de la France insoumise à porter sa voix sur « ceux qui ont voté la motion de censure contre la loi El Khomri ». Cet appel ne concerne que quatre candidats : Barbara Romagnan, Christian Paul, Jérôme Lambert et Régis Juanico. Avec les autres frondeurs « rescapés » – Yann Galut, Laurence Dumont et Jean-Patrick Gille – ils sont en ballottage défavorable, devancés de 13 à 21 points par les candidats de LREM. « Les frondeurs n’ont pas été compris et nous avons payé le prix de notre échec à faire infléchir la politique du gouvernement pendant le quinquennat », analyse Guillaume Balas. Auraient-ils dû quitter le PS ? « La question s’est posée, mais ce n’est pas facile de se défaire de la puissance d’attachement que provoque le parti de Jean Jaurès, qui a remporté des batailles sociales capitales »,admet le député européen. Pour l’aile gauche, il faut « tout recommencer à zéro » en œuvrant au retour « d’une grille de lecture idéologique ». Constatant « l’échec de la social-démocratie », l’ancien bras droit de Benoît Hamon regrette qu’« une partie des socialistes a abandonné le rapport critique au capitalisme et à la sphère dominante ». Mais Guillaume Balas reste confiant : « Peut-être fallait-il un grand coup de balai pour redémarrer. » « Le PS n’est pas mort, veut croire Christine Revault d’Allonnes-Bonnefoy. On doit tous se réunir autour d’une table le temps qu’il faut pour se dire ce qu’on a à se dire. » Une ultime bataille où chacun déposera sa rose sur la tombe du parti d’Épinay ?

Politique
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