Ce que l’on sait de la « loi travail XXL »

Les travaux provisoires qui fuitent dans la presse sur la loi travail II sont inquiétants. Le point sur cette réforme explosive, après la première série d’entretiens avec les syndicats.

Erwan Manac'h  • 16 juin 2017 abonnés
Ce que l’on sait de la « loi travail XXL »
© Photos : LOIC VENANCE / AFP ; ALAIN JOCARD / AFP ; ÉRIC CABANIS / AFP

Vous n’avez rien suivi des débats sur la loi travail II ? Vous ne comprenez pas trop les termes techniques employés ? Vous êtes noyés dans l’épais nuage de communication du gouvernement ? Voici une petite séance de rattrapage.

La méthode

• Officiellement : « On consulte »

Le gouvernement martèle qu’il n’existe aucun « plan caché » et tente de fermer toutes les écoutilles. Les services du ministère du Travail ont porté plainte contre X pour faire cesser les fuites dans la presse et ont menacé de ne plus communiquer d’informations à la CGT si celle-ci venait à informer les journalistes. Le gouvernement tente de préserver ses effets de scène, pour apparaître dans une position de négociation avec les syndicats et aller très vite, ensuite, sur des sujets explosifs.

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Les arbitrages ne seront donc pas connus avant la publication des ordonnances, fin septembre, au terme d’une cinquantaine de réunions avec les syndicats. Rappelons qu’une ordonnance a la particularité de rentrer en application dès sa publication, avant même que le Parlement ne la ratifie par un vote. Ainsi, le « temps politique » disparaît.

Une loi d’habilitation à réformer par ordonnances devra certes être présentée en Conseil des ministres le 28 juin, puis votée le 28 juillet par le Parlement. Mais elle ne comprendra qu’une liste vague de sujets.

• Officieusement : des hypothèses beaucoup plus dures

Il faut donc se résoudre à spéculer sur les hypothèses de travail, que trahissent plusieurs documents internes. L’un, émanant de l’équipe Macron, a été révélé par Le Parisien lundi 5 juin, le second provenant de la Direction générale du travail a été publié par Libération le 7 juin. Alternatives économiques, ce vendredi, cite les préprojets d’ordonnances sur les licenciements économique. Ces pistes provisoires vont bien plus loin que ce qu’on imaginait jusqu’alors.

Deux grandes lignes se distinguent : les propositions destinées à faciliter les licenciements d’une part et celles destinées, peu ou prou, à baisser les salaires et les protections pour les salariés au nom de l’alignement du « coût du travail » face à la concurrence étrangère.

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Faciliter les licenciements

• Les entreprises pourraient inventer leurs causes de licenciement (mis à jour récemment)

Les entreprises pourraient créer des causes de licenciement nouvelles. A condition qu’un accord d’entreprise signé par les salariés ou leurs représentants le valide, cela permettrait par exemple d’introduire, dès l’embauche, une exigence de performance ou de résultat dans le contrat de travail. Les salariés embauchés en CDI s’assiéraient donc sur un siège éjectable.

Ces contrats à la carte pourraient également prévoir : -Des indemnités de licenciement inférieures à celles fixées par la loi -Une procédure de licenciement plus « souple » -Un préavis moins long -Une durée de période d’essai différente -Des congés familiaux moins longs que ceux prévus par la convention collective.

Idem pour les CDD : la période de carence, le nombre possible de renouvellements et les raisons invoquées pour le recours à ces contrats précaires pourraient être négociables au sein de l’entreprise.

Edouard Philipe, premier ministre, a exclu que la durée maximale du CDD et le nombre de CDD dans l’entreprise ne deviennent négociables. Au sortir de sa première réunion bilatérale avec le ministre du Travail, la CGT esquisse une autre hypothèse sur ce point hautement symbolique. La négociation pourrait être permise à l’échelle de la branche professionnelle sur les motifs de licenciement.

Mardi 20 juin, le Premier ministre a dit vouloir discuter de l’élargissement du « contrat de chantier » à d’autres secteurs que le BTP. Cette vieille revendication du patronat pourrait être un pis-aller pour le gouvernement, si la bronca est trop forte contre les causes prédéfinies de licenciement.

• Monter le seuil pour le déclenchement d’un plan social

La loi oblige, théoriquement, une entreprise de plus de 50 salariés à négocier un « plan de sauvegarde de l’emploi » (PSE) dès qu’elle licencie plus de 10 personnes pour raison économique dans une période de 30 jours. L’employeur est ainsi tenu de proposer un reclassement et de négocier collectivement des compensations. Un relèvement de ce seuil à 30 licenciements est à l’étude, selon des révélations d’Alternatives économiques. Le gouvernement étudie même la possibilité de rendre ce seuil relatif à la taille de l’entreprise. Un allégement des règles du PSE, au sujet des propositions de reclassement que l’employeur doit avancer, est également à l’étude selon le mensuel.

• Plafonner les dommages-intérêts pour licenciement abusif

La loi oblige un employeur à motiver tout licenciement par une « cause réelle et sérieuse ». Lorsque la justice prud’homale reconnaît qu’un licenciement est abusif, il peut condamner l’employeur à verser à son ex-salarié – qui n’est réintégré que dans les cas les plus graves – des dommages et intérêts en reconnaissance du préjudice subi. Le gouvernement s’emploie depuis 2015 à tenter de fixer un barème (et un plafond) à ces sommes au nom de « l’équité ». « Nous constatons qu’[elles] vont du simple au triple pour des cas similaires », justifiait Muriel Pénicaud, ministre du Travail, ce jeudi dans Les Échos. Il s’agit surtout de permettre aux entreprises de provisionner leur « risque » et de savoir, à l’avance, combien leur coûtera un licenciement sans raison valable. Les cas de harcèlement et de discrimination seront exclus de ce barème.

• Évaluation à l’échelle nationale de la validité des licenciements « économiques »

Retirée de la loi El Khomri sous la pression de la rue, cette mesure vise à faciliter les licenciements « économiques ». Les difficultés de l’entreprise doivent être reconnues par les services du ministère (la Direccte), en prenant en compte l’activité de l’entreprise à l’international. Avec cette réforme, le périmètre servant à apprécier les difficultés serait ramené à l’échelle nationale. Autrement dit, une multinationale réalisant des bénéfices pourra licencier pour raison économique sur le sol français si sa filiale française remplit les critères. Selon Alternatives économiques, le gouvernement envisage également de rendre négociable dans le cadre d’accords d’entreprise, la définition du motif économique. Patrons et syndicats pourraient donc s’entendre pour qu’un objectif non atteint puisse entraîner un PSE. Une information confirmée par la ministre du Travail sur CNews.

En guise de contrepartie, le gouvernement envisage d’inscrire dans la loi l’interdiction des licenciements économiques abusifs. Les multinationales qui mettent volontairement leur filiale française en faillite par des choix stratégiques douteux ou en leur faisant payer des « redevances » seraient interdites de licencier pour motif économique. L’inscription de ces pratiques, déjà illégales, dans la loi sur les licenciements économiques, permettrait aux salariés d’attaquer un plan en justice avant les premiers licenciements, écrit Alternatives économiques.

• Réduire de 12 à 2 mois le délai de saisine des prud’hommes

Un salarié s’estimant lésé a aujourd’hui 12 mois pour saisir la juridiction du droit du travail, les prud’hommes. Le gouvernement étudie une baisse drastique du délai, à 2 mois. Autrement dit, les infractions au droit du travail seraient prescrites deux mois après les faits.

• Alléger l’impact des vices de forme dans les lettres de licenciement

À en croire la note de travail émanant des services du ministère du Travail, en date du 31 mai, publiée par Libération, le gouvernement envisage de modifier les procédures aux prud’hommes pour que les vices de forme, dans la rédaction de la lettre de licenciement, ne soient plus assimilables à une absence de cause réelle et sérieuse. Cela permettrait que les licenciements ne soient plus jugés abusifs lorsque la lettre est mal écrite. Les juges devront se « concentrer sur l’insuffisance de motivation ».

Faciliter les licenciements en cas de reprise d’entreprise (mis à jour récemment)

La loi interdit aujourd’hui à une entreprise qui discute avec des repreneurs éventuels de mener, en même temps, un plan de licenciement. Cette interdiction pourrait être levée, comme la loi El Khomri l’a fait pour les entreprises de plus de 1 000 salariés. Deux conditions sont toutefois imposées selon Alternatives économiques : le plan social doit concerner des salariés qui ne travaillent pas dans les activités en discussion avec le repreneur et le PSE ne doit pas avoir pour finalité la fermeture d’un ou plusieurs établissements.

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Permettre une baisse des salaires et des protections

• Le droit du travail, négociable à l’échelle de l’entreprise

Il faut « décentraliser le dialogue social », « permettre aux entreprises de s’adapter », martèle le gouvernement. Autrement dit, autoriser les entreprises à déroger à la loi pour gagner des marchés ou s’aligner sur la concurrence, à condition que les salariés ou leurs représentants autorisent l’adoption d’accords d’entreprise, qui supplantent alors la loi. C’est la fameuse « inversion de la hiérarchie des normes ».

Pour faciliter l’adoption de ces accords, le gouvernement envisage de permettre aux patrons de convoquer un référendum d’entreprise eux-mêmes. Il faut aujourd’hui qu’un ou des syndicats représentant au moins 30 % des salariés en fasse la demande. Ce nouveau pouvoir donné aux chefs d’entreprise serait encadré par les services du ministère (Direccte) qui « contrôlent la loyauté et la complétude de la négociation », peut-on lire dans la note du ministère du 31 mai. Il pourrait être également conditionné au fait que des syndicats représentant 30 % des salariés aient validé l’accord en question.

Le front syndical n’est pas unanime sur le sujet, mais beaucoup craignent que les négociations à l’échelle de l’entreprise se fassent de façon déloyale, avec un rapport de force déséquilibré au profit de l’employeur. La CFE-CGC craint aussi l’apparition d’une concurrence déloyale entre les entreprises qui ont fait consentir des efforts à leurs salariés et celles qui restent alignées sur la loi. Pour ses partisans, cette mesure permet d’ajuster les règles « au plus près du terrain » avec les premiers concernés.

Tout l’enjeu des semaines à venir est de savoir quels pans du code du travail deviendront négociables. La loi El Khomri a ouvert à la négociation les questions relatives au temps de travail (astreinte, délai de prévenance avant des vacances, majoration des heures supplémentaires, etc.). « Ils n’ont abîmé qu’un seul titre du code du travail, sur les neuf. Il reste 80 à 90 % du “travail” », résumait en septembre le juriste Emmanuel Dockès, dans Politis.

« Le gouvernement ne cache pas son ambition, écrit la CGT dans le compte-rendu de la première réunion bilatérale. Il souhaite qu’un maximum de thèmes soit soumis à ce mécanisme ».

Il a un temps été question que les termes de rédaction du contrat de travail soient rendus négociables. Cela a été démenti par Muriel Pénicaud et Édouard Philippe, qui entendent donner la main aux branches professionnelles sur le sujet. Le salaire minimum ne devrait pas non plus être négociable, comme évoqué un temps dans des documents de travail ayant fuités dans la presse. Idem pour la prévention de la pénibilité, l’égalité femmes-hommes notamment.

Avantages négociables (mis à jour récemment)

Pour tout le reste, c’est le grand flou. En matière de salaire, les primes spécifiques prévues par la convention collective de chaque métier pourraient devenir négociables (prime de repas ou ticket restaurant, par exemple). Si les salariés l’acceptent, une entreprise pourrait alors supprimer ces primes. Tout l’objectif de la politique d’Emmanuel Macron, et avant lui du gouvernement Valls, est clairement de faire baisser le « coût du travail » pour les entreprises. Dans ces recommandations annuelles à la France, la Commission européenne pointait d’ailleurs clairement, le 22 mai, que « dans le contexte actuel du chômage élevé, il existe des risques que le coût de la main-d’œuvre au salaire minimum entrave les possibilités d’emploi pour les personnes peu qualifiées ».

• Travail de nuit, santé, sécurité…

Le champ de la négociation d’entreprise pourrait également être étendu aux règles entourant le travail de nuit, le télétravail, le droit de retrait des salariés en cas de danger, la protection des salariés de moins de 16 ans, l’équipement et l’agencement des locaux.

Selon la CFDT, ce seront les branches professionnelles qui seront autorisées à déroger à la loi en matière de « qualité de l’emploi » : les conditions de recours aux contrats courts ; les dérogations aux 24 heures minimums pour le temps partiel.

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Réformer le syndicalisme

• Fusion des instances représentatives du personnel

Les trois instances représentatives élues que sont le comité d’entreprise, les délégués du personnel et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) devraient fusionner. Il s’agit selon la ministre d’éviter un « cloisonnement entre les sujets » et la réunionite que dénoncent les chefs d’entreprise. Cette réforme serait également synonyme d’une baisse du nombre de salariés mandatés et donc protégés contre les licenciements (il faut une autorisation de l’inspection du travail).

• Revoir le financement des syndicats

Un « chèque syndical » est à l’étude pour le financement des syndicats. Selon cette idée de l’assureur Axa, « chaque salarié peut apporter des ressources financées par l’employeur au syndicat de son choix », lit-on dans les documents de travail.

Un volet « parcours syndicaux » engage une réflexion pour favoriser la formation et la reconversion des salariés engagés syndicalement. Les branches professionnelles pourraient être obligées de négocier sur la prévention des discriminations syndicales.

• Favoriser l’actionnariat des salariés

L’équipe Macron planche, selon Le Parisien, sur un moyen d’inciter les grandes entreprises à faire siéger des salariés au sein de leur conseil d’administration. Les syndicats sont nombreux à défendre ce principe, qui favorise une gouvernance plus saine et offre un droit de regard des salariés sur la conduite de leur entreprise.

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