Collège de la Villeneuve : comment rebondir après l’incendie ?
Parent délégué à Lucie Aubrac à Grenoble, Benoît Delaby revient sur la destruction par les flammes de l’établissement. Il dit le désarroi et la volonté de comprendre, mais aussi le projet de maintenir la rentrée ainsi qu’une telle institution dans ce quartier.
Dimanche 11 juin 2017, un nouvel incendie a ravagé un équipement public dans le quartier emblématique de la Villeneuve de Grenoble. Il s’agit du collège Lucie-Aubrac, situé au cœur du quartier.
Pour la petite histoire, locale, de ce quartier emblématique, disons quelques mots de sa construction. L’école est dès l’origine intégrée aux barres, au bâti, pensée comme devant être au cœur de la communauté. Le premier collège de la Villeneuve (1972) est expérimental ; à cette époque, le quinzième du type au plan national : pas de barrières, pas de notes, une participation active des élèves aux décisions. Le collège est conçu ouvert sur l’extérieur, et en lien avec les associations de quartier, et les mouvements d’éducation populaire. Ensuite, c’est en 1995 qu’un nouveau collège est construit au centre du parc, en forme de soucoupe volante, et référé à Lucie Aubrac : une invitation.
L’histoire suit son cours jusqu’à la fin de la décennie suivante. Les indicateurs sont alors au rouge, le collège va mal, les résultats au brevet sont inquiétants. Le contournement de la carte scolaire s’accélère : 75 % d’élèves boursiers, pendant que le deuxième collège du classement situé sur l’autre Ville-neuve, celle d’Échirolles, est à 62 %. Mais l’équipe pédagogique tient. Les moyens REP+ sont pérennisés. Le projet redémarre, les résultats au brevet se rétablissent : projets multiples, théâtre, club de go, robotique, sciences, webradio, journal, … Pour montrer une idée parmi d’autres, il y a eu l’ouverture en 2016 de la classe Chat (classe à horaires aménagés théâtre) : partenariat ville-Éducation nationale, fruit du travail des professeurs de français passionnés, de l’équipe, et du principal de l’époque, M. Sergi. Avec cette ouverture suivent les premières demandes de dérogations pour rejoindre notre collège !
Ce bref rappel sur les origines, sur les utopies et idéaux de nos anciens, permet de situer les enjeux actuels autour des débats, échanges et concertations à venir. Entre l’expression des passions et de la raison, espérons qu’il demeure un espace pour créer des solutions innovantes, humaines et intelligentes, qui tirent les conclusions des décisions politiques qui ont conduit au fil des décennies les évolutions de ces quartiers.
Des jeunes de 15 à 18 ans s’activent dans la nuit…
Pour en venir aux faits, je ne suis pas un témoin direct du délit. Le lendemain de l’incendie, j’entendrai beaucoup les voisins et parents d’élèves parler : depuis leurs balcons beaucoup ont assisté, impuissants, à cette scène. Ce que je raconte ci-après n’est qu’une synthèse, celle que je crois la plus probable, en attendant les conclusions de l’enquête de police.
Aux alentours de 2 heures du matin, un groupe de jeunes s’introduit dans l’enceinte du collège, passe par-dessus la grille un chariot de supermarché et des pneus. Les jeunes auraient peut-être 15 à 18 ans, ils s’activent dans la nuit. Ils incendient le chariot chargé de pneus. Le groupe se scinderait alors en deux : une partie du groupe s’inquiète que le chariot, trop près du collège ne l’enflamme. Ils se seraient inquiétés d’appeler les pompiers, sentant la provocation déraper et tourner en catastrophe ? L’autre partie du groupe aurait maintenu le chariot et laissé le feu se propager.
Espérons que l’enquête de police puisse aboutir : comprendre les événements est une première étape importante pour avancer. Les pompiers arriveront longtemps après. Ils auraient difficilement trouvé le chemin jusqu’au collège, ayant à faire demi-tour. De plus, faits confirmés par les élus le lendemain, ils ont été accueilli par quelques jets de pierres, trop fréquents dans notre quartier, jets qui les retardent puisqu’ils doivent alors attendre l’arrivée de la police pour sécuriser les lieux. À l’aube, l’incendie était neutralisé. Les pompiers continueront les quelques jours suivant à arroser le bâtiment.
L’incrédulité est le sentiment qui domine le quartier au réveil. Chacun va de la place du marché au collège, raconte ce qu’il sait. Les pompiers se relaient au snack, pour une pause café. L’émotion est forte ; nouveau coup dur, nouvelle attaque du vivre-ensemble (les incendies ont déjà détruits par le passé des équipements non reconstruits, parfois malgré les promesses). On s’arrête pour causer et partager ; se réconforter.
Très vite, par téléphone, texto, de vive voix, les parents délégués échangent avec les responsables.
Nous savons que la principale et son adjoint sont à pied d’œuvre. La principale, Mme Saint Amand, dès son retour au petit matin, « partie en WE » où elle accompagnait une classe de 4e. Le principal adjoint, M. Candelon, est arrivé, lui, dès l’annonce de l’incendie. On sait qu’il parviendra à récupérer les données informatiques et dossiers papiers, cruciaux pour la scolarité des élèves, et particulièrement pour les 3es.
Éviter la précipitation
Les élus aussi sont très actifs : ceux d’aujourd’hui, d’abord au conseil départemental (CD), puis à la ville ; ceux également d’hier, ou dans l’opposition, avec qui nous échangeons.
L’après-midi du 11 juin, à 14 heures, le président du CD, J.-P.Barbier, et un représentant du rectorat viendront à la rencontre des habitants, nombreux. L’émotion est forte et partagée. Les premières critiques émises inquiètent les habitants, celles sur la vidéosurveillance absente, dans la ville et autour du collège ; les échanges durent plus d’une heure, il faut bien cela pour commencer à faire connaissance, et construire un lien, de confiance. Le président rassure en annonçant une concertation sur l’avenir. Le maire É. Piolle passe également, ainsi que des élus municipaux adjoints ; ils annoncent leur soutien à la demande qui émerge : organiser la rentrée prochaine ensemble, professeurs, élèves et projets sur un site unique. Beaucoup d’autres, élus d’aujourd’hui et responsables d’hier, viendront, échangeront avec les habitants ; parfois en envisageant trop vite, à chaud, le collège fumant encore, la solution : reconstruire au dehors du quartier. Nous nous inquiétons de cette précipitation !
Nous nous en tiendrons à l’engagement du président Barbier : concertation. Nous la souhaitons sans précipitation, ouverte à la complexité et à la réalité démographique de notre quartier, façonnée durant les dernières décennies par des décisions politiques : la mixité sociale est fabriquée.
Qu’est-ce qu’on a perdu ?
Le lendemain, lundi 12 juin à 8h30, on reprend les mêmes acteurs. Les propos paraissent concertés entre département, rectorat et ville, et à la mesure de la situation : l’urgence. Il est annoncé que, dès l’après-midi, les élèves de 3e iront préparer le brevet au lycée Mounier. Finalement, ils rejoindront le mercredi les élèves des autres niveaux à l’Espe (École supérieure du professorat et de l’éducation), ancien IUFM, situé à deux arrêts de tram, pour enfin vite revenir à Mounier : les conditions de travail dans les classes de l’Espe sont très éprouvantes par ces chaleurs. Les conseils de classe sont maintenus, et déplacés à l’Espe ; ainsi qu’un conseil de discipline, le mardi 13 au soir.
Enfin, le médecin scolaire fait circuler la proposition d’accueil des parents et élèves qui le souhaiteraient, pour parler. Dès l’après-midi et pour la suite. Il faut se représenter l’énergie et le temps passés à assurer la continuité, de plus en cette période de l’année, où tous les collèges du pays lèvent le pied, pensent aux projets de la rentrée prochaine : quel sens donner à ce travail de titan, des personnels, des responsables, des élèves et des parents ?
Le sens ? Mercredi, les élèves font leur rentrée, dans des salles trop chaudes. L’accueil de chaque classe est assuré par deux enseignants qui proposent de revenir d’abord sur l’incendie. Qu’est-ce qu’on a perdu ? Qu’est-ce qu’on gardera ? Les élèves rentrent fatigués, éprouvés par la chaleur. Sans doute aussi cette rentrée permet de se retrouver, de constater que « Lucie-Aubrac brûlé », c’est bien réel, pas un mauvais rêve. Deuil ?
La vie reprend ses droits
Ce qu’il faut dire encore, c’est que cette semaine, celle du 12 au 16 juin, était celle du réseau REP+. Toute la semaine aurait du être rythmée par des événements, rencontres, portes ouvertes, tournoi de go, où les acteurs du réseau, écoles du quartier, intervenants et associations, devaient se retrouver au collège, pour promouvoir les projets auprès des élèves de primaire et des parents, permettre l’accueil des futurs élèves par les actuels. Cette semaine devait se clôturer par la fête du collège. Le sens ? Justement, toutes ces énergies ont travaillé ensemble pour maintenir un temps fort vendredi matin, comme c’était prévu avant l’incendie. Était-ce une « fête » comme la presse locale l’a relayée ? Ce n’est pas le mot que j’aurais utilisé. La principale, Mme Saint-Amand a proposé « reconstruction de la mémoire ».
Pour l’occasion, l’Espace 600 a ouvert ses portes, pour permettre à tous les acteurs du REP+ de rappeler le travail fait, ensemble ! Le petit-fils de Lucie Aubrac, Olivier Vallade, déjà présent pour fêter les 20 ans du collège, est venu témoigner du soutien de sa famille. Après une semaine folle, les remises de prix, les chants des primaires, les propositions théâtrales des collégiens ont permis de s’arrêter un moment sur ce qui se construit dans le réseau, dans ces réseaux. Les élèves ont accroché leur textes, dessins sur la grille. Des professionnels, des élèves ont témoigné, avec des larmes, et beaucoup d’émotions. Et pour conclure cette matinée, image finale reprise localement comme illustrant « la fête », une flashmob nous réunit. Pour moi, c’est plutôt la conclusion émouvante, montrant que la vie reprend ses droits, tout simplement, et que la reconstruction se fera ensemble !
Semaine folle
Après, nous entendrons la fatigue, l’épuisement des enseignants. Nos enfants iront de moins en moins nombreux au collège. C’est à la fois un mouvement classique en juin, et également la conséquence de l’incendie, dont la destruction du bâtiment annonce trop tôt la fin de l’année ; de l’aventure ? Lame de fond démoralisante.
Pendant cette semaine folle, les parents délégués ne compteront pas non plus leurs heures. Plus que jamais assurer notre rôle auprès des parents, en lien avec le collège délocalisé. Tenter de se rassurer auprès des décideurs, et de rassurer, autant que possible. Nous lancerons une pétition, réclamant avec les personnels du collège, le maintien à la rentrée prochaine de l’équipe, des projets, des élèves, idéalement au sein du quartier, où s’enracinent le réseau REP+. La tenue d’une véritable concertation – réflexion pour reconstruire et améliorer.
Nous écrirons aux responsables : département, ville, rectorat, préfecture. Nous souhaitons être associés, et surtout demandons à être informés officiellement du travail fait. Les réponses seront peu nombreuses, informelles, lentes. Certains soirs, au point info quotidien devant le collège, avant la rupture du jeûne, des parents d’élèves s’impatientent ; ils n’ont pas confiance en nos propos, construits avec des bouts de SMS et d’informations officieuses, « à ne pas diffuser » ! Des parents d’élèves se demandent s’il faut tout de suite construire un mouvement, et durcir le ton ? Époque de défiance vis-à-vis de nos institutions et responsables ? Vendre des T-shirts, des autocollants : organisons-nous !
Nous voulons comprendre ce qu’était ce collège
Une préoccupation, une revendication émerge de nos réunions. Parce que nous entendons ceux qui déjà annoncent qu’il faut reconstruire un collège hors le quartier, au nom de la mixité sociale. Vieille affaire déjà servie par le passé par les précédentes majorités, qui revient l’incendie à peine éteint : et nous, les usagers du collège, on a le temps de pleurer ? Décence. Ces propos sont d’autant plus difficiles à supporter quand ils sont tenus par des parents qui scolarisent leur enfant à l’extérieur, qui évitent le collège d’une manière ou d’une autre (leur liberté que nous respectons) ; affirmations sans connaître le collège de l’intérieur ; sans chercher à le connaître ; en reprenant les on-dits ? Alors émerge en nous cette idée qu’il faut dépasser cette approche simpliste : « dedans / dehors » ?
Nous participons à la brocante organisée par l’union de quartier le 17 juin, avec le soutien de cette union. Puis nous tiendrons un stand à la fête de quartier le samedi 1er juillet : venez ! On a l’idée d’inviter des chercheurs, sociologues, pédagogues, des militants et des professionnels, d’autres parents délégués, d’élèves, venus d’ailleurs, pour rencontrer des habitants – parents : former et informer. Ouvrir le débat, déborder les ornières, élargir le territoire autorisé ou imposé !
Nous en avons marre de ceux qui savent pour nous. Nous ne voulons pas savoir pour d’autres. Nous voulons organiser la réflexion, nourrir la concertation ; nous voulons comprendre ce qu’était ce collège, le travail qui s’y faisait ; nous voulons comprendre comment la mixité sociale s’organise, en hauts lieux, par des décisions politiques et pas toujours démocratiques ; nous voulons parler de notre inquiétude de voir le quartier vidé de ses institutions « de la chose publique ». Nous voulons rapprocher les parents d’élèves qui d’habitude ne se sentent pas autorisés à l’école, nous voulons montrer que nous pouvons porter cette démarche, et que nous ne sommes pas seuls. De fait, notre intention reçoit de nombreux soutiens, prometteurs de rencontre et d’enrichissement, même après la pause estivale.
Rentrée sur un lieu unique
La fin de cette semaine éprouvante est scandée par une annonce importante vendredi 16 juin. J.-P. Barbier, avec les services et partenaires, a décidé d’accéder à la demande des personnels et parents. Le collège Lucie-Aubrac fera sa rentrée sur un lieu unique en septembre prochain. Plusieurs scenarii sont déroulés :
• La première, techniquement opérationnelle et donc rapide et facile à mettre en œuvre, est de déplacer le collège sur un collège de la commune voisine, Saint-Martin-d’Hères. Cette solution comporte beaucoup d’inconvénients. À Lucie-Aubrac, près de 75 % des élèves sont boursiers, et habitaient à deux minutes à pied du collège. C’est aussi la solution la moins coûteuse, mais le président Barbier assure que ce n’est pas du tout une question d’argent.
• La deuxième, c’est celle qui permet le plus le maintien de l’existant et donc de la continuité pédagogique, de la continuité des partenariats, du maintien des résidences d’artiste. Il s’agirait de réinvestir l’ancien collège des Saules, que ses élèves ont quitté pour le nouveau en décembre dernier. On imagine que quelques travaux permettraient à ce grand collège d’accueillir nos 350 élèves. Il faut alors laissé le temps aux techniciens d’évaluer la situation, la faisabilité ; et aux politiques le temps d’arranger les aspects juridiques : le collège, situé sur deux communes, avait été cédé par le département à la commune d’Eybens, via un établissement public, propriétaire ; la métropole et la ville ayant également une belle part dans ce dossier, ainsi que les services de l’État, via la rénovation urbaine (Anru). Sur cet aspect, l’ensemble des acteurs semblent travailler de concert.
• La troisième solution, reprend la précédente, avec l’installation de préfabriqués dans la cour, plutôt que la réouverture du bâtiment.
• La quatrième repose quant à elle toujours sur l’installation de préfabriqués, mais cette fois dans la cour de l’Espe. L’avantage pédagogique de cette solution, c’est l’installation au cœur de la formation des enseignants un collège : gagnant-gagnant ? À 5 minutes de tram du quartier.
Jeudi dernier, 15 juin, les experts sont passés visiter le collège Lucie-Aubrac. Alors que il avait été vite déclaré non réhabilitable, de l’avis de ceux qui étaient rentrés, et avaient vu les dégâts, la rumeur laisse entendre aujourd’hui que la situation n’est pas aussi désespérée. Résistante cette charpente. Espoirs.
Quelle reconstruction ?
Voilà où nous en sommes le 26 juin. Jeudi 29, une réunion est organisée par le département pour faire un point sur la gestion de crise et de l’urgent. Tous les acteurs y seront représentés. Nous espérons des annonces rassurantes, à deux semaines des congés. Nous avons tous besoin de partir en congé l’esprit autant qu’il se peut tranquille : professionnels, parents de collégiens, parents d’élève de CM2 : obtenir des engagements, des garanties, un calendrier, pour pouvoir accompagner nos enfants. Nous savons que la rentrée sera mouvementée, éprouvante. Les délais sont courts pour construire une solution sur deux à trois ans, durée minimum des travaux de reconstruction de l’existant, durée pendant laquelle nous espérons pouvoir reprendre ce qui a existé et l’améliorer.
Pour conclure, je veux reprendre un exemple. Il était discuté en 2015 je crois un projet d’ouverture de classe internationale « anglais » sur l’agglomération. La municipalité proposait alors son ouverture à Lucie-Aubrac. Refus au rectorat ? Le projet aurait été enterré. Pourtant ne serait-ce pas une partie de la solution, que de déplacer le collège international du nord de l’agglomération dans les quartiers sud ? À moindre frais pour la dépense publique, désengorger les collèges du nord de la ville, et retrouver, à défaut d’une mixité sociale réelle dans nos collèges, des outils pour l’entretenir (à Grenoble, il y a de la place dans les collèges du sud, et ceux du nord, du « centre-ville », sont saturés). Nombre des « bons » élèves de nos quartiers, leurs parents surtout, « contourneurs » de la carte scolaire, seraient peut-être intéressés par ces classes ambitieuses ? D’une pierre deux coups ?
Des contributions pour alimenter le débat, au sein de la gauche ou plus largement, et pour donner de l’écho à des mobilisations. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.
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