Crise de la presse : Une colère partagée

Le patron de la Maison de la Presse de Bourg-en-Bresse est contraint de mettre la clé sous la porte. Il nous adresse une lettre qui pose la question de la fonction démocratique de la presse.

Denis Sieffert  • 28 juin 2017
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Crise de la presse : Une colère partagée
© photo : JACQUES DEMARTHON/AFP

Une Maison de la Presse qui ferme, quoi de plus banal ! Mille points de vente disparaissent chaque année en France depuis cinq ans. Mais Thierry Moiroux, patron de la Maison de la Presse de Bourg-en-Bresse (Ain), qui annonce son intention de mettre la clé sous la porte le 2 septembre, a décidé de ne pas partir en silence. Il a adressé une lettre à tous les acteurs de la longue chaîne des professions impliquées dans la fabrication et la vente d’un journal. Politis a naturellement été destinataire de ce courrier, qui nous inspire quelques réflexions. Le combat de Thierry Moiroux est à certains égards le nôtre. Son cri de colère témoigne du désarroi de toute une profession qui connaît une crise historique, dont nous autres, éditeurs de presse, subissons les effets, mais dont certains d’entre nous sont aussi responsables. Certes, il y a dans son constat une part d’inexorable, ce qu’on pourrait appeler la fatalité du progrès. Mais une autre part, qui aurait pu être évitée, résulte d’une politique de soumission à des groupes financiers qui font peu de cas de la fonction démocratique de la presse.

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L’inexorable, c’est évidemment la révolution numérique. Ce sont les nouveaux supports et les nouveaux comportements de lecture. C’est l’accès à l’information « à l’article », avec le risque de dislocation du journal en tant que tel. On peut regretter la vitesse de la mutation et l’impréparation collective de nos métiers. Mais il serait aussi stupide que vain de brocarder la presse numérique. En revanche, le tout gratuit n’est pas inexorable. Thierry Moiroux a raison de dire que la gratuité donne « l’image d’un produit de basse consommation ». Il n’y avait pas de fatalité non plus à ce que des opérateurs de téléphonie « offrent » des bouquets de journaux comme de vulgaires cadeaux promotionnels. Il n’y avait pas de fatalité à ce que Google pille les contenus et les brade en accès libre pour en tirer de gigantesques ressources publicitaires.

Au nom du libéralisme ambiant, et de la « libre » concurrence, non seulement les politiques publiques n’ont pas résisté mais elles ont été complices. La presse elle-même s’est parfois avilie en pratiquant un dumping sans limite. Et ne parlons même pas des « gratuits » qui occupent massivement les usagers des transports publics. Nous aussi, comme notre marchand de journaux, nous subissons ces concurrences déloyales. Thierry Moiroux évoque une autre forme de concurrence, une mesure libérale bien dans l’air du temps : la dispersion des points de vente qui enrichissent désormais les rayons des « supérettes » et des « hypermarchés ». Contre tout cela, il y avait évidemment quelque chose à faire. Thierry Moiroux a également la dent dure pour les messageries, notamment la première et la plus importante, Presstalis. Il conteste ses dispositifs commerciaux qui offrent des réductions pouvant aller jusqu’à 50 %. Voilà le fléau ! La braderie. Pour ramener le lecteur à son kiosque, on divise parfois les prix par deux.

Reste la question de l’abonnement. Pour parler vrai, ici, on ne peut suivre Thierry Moiroux qu’à mi-chemin. Car, pour les raisons mêmes qu’il évoque, la vente au numéro est aujourd’hui pour nous un poste gravement déficitaire. Politis n’existe que grâce aux abonnements. Et aucun titre, surtout pas le nôtre, totalement indépendant et dépourvu de publicité, ne peut se lancer dans une croisade pour sauver seul les marchands de journaux. On ne les sauverait pas en sacrifiant nos abonnements et on périrait avec eux. Un seul chiffre suffit à comprendre le problème : nous touchons en moyenne un euro par exemplaire vendu en kiosque, et presque deux euros dans le cadre d’un abonnement.

Dans ces conditions, que pouvons-nous faire ? Déjà ce que fait Politis : ne pas se retirer des kiosques en dépit des pertes enregistrées dans la vente au numéro. Et refuser le « tout gratuit » numérique. Si l’info brute peut et doit être donnée, il faut tenir bon sur la monétisation d’une information à valeur ajoutée. Encore faut-il la produire. Ce qui nous renvoie à une certaine conception du journalisme. L’indépendance en est la condition absolue. Exiger en échange de nos journaux et de nos articles un « juste prix », quel que soit le support, c’est convaincre le lecteur qu’il en aura « pour son argent ». Nous abordons là la question du contenu. C’est cela que nous avons fondamentalement en commun avec des marchands de journaux comme Thierry Moiroux : la conviction que la presse n’est pas une marchandise comme une autre. Et qu’une partie des problèmes économiques de la « filière » résulte de l’affadissement d’une presse trop souvent grégaire. Dans l’immédiat, nous ne pouvons hélas qu’exprimer notre solidarité à Thierry Moiroux, et partager sa colère.

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