Démos, une tentative de démocratisation de la musique classique
Huit ans après son lancement, le dispositif de la Philharmonie de Paris continue de favoriser l’accès à la musique par la pratique.
Son maillot de foot Cavani détonne avec le sérieux classique de la salle Pierre Boulez, mais qu’importe. Mia, concentrée, joue du violon. Elle s’applique, tire la langue, fronce les sourcils et les premières notes de La Grande porte de Kiev de Moussorgski se font entendre. La petite fille fait partie des 3 000 enfants qui participent au programme Démos (Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale). Lancé en 2010, ce projet a permis la création de 30 orchestres d’enfants âgés de 8 à 14 ans, issus de quartiers défavorisés. Le jour de la Fête de la musique, ceux-ci font leur répétition générale sur la scène de la grande salle parisienne.
Une initiative intéressante et surtout nécessaire alors que l’immense majorité du public de la musique classique fait parti des milieux les plus aisés. « Si l’on prend le diplôme, qui est un élément du milieu social, les trois quarts du public ont au moins une licence. 15 % ont un doctorat ou sont diplômés de grandes écoles », analyse le sociologue Stéphane Dorin, dont le livre Déchiffrer les publics de la musique classique (édition des Archives Contemporaines) va paraître cet automne. « À l’inverse, les personnes issus de milieux populaires sont très minoritaires, voir statistiquement difficiles à repérer. »
Des obstacles de taille
L’année dernière, des parents sont venus me voir pour me dire que leur fils ne serait pas là au prochain cours car ils allaient faire les soldes. Dans certaines familles, ça paraîtrait inconcevable.
Il faut dire que la musique classique est un des domaines culturels les plus clivants. « En entretien, j’ai souvent entendu la phrase « Ce n’est pas une musique pour nous », idem pour mes collègue anglo-saxons, explique le sociologue. Pour les classes populaires, ce domaine ne fait pas partie de leur univers culturel : il leur semble trop éloigné en terme de connaissances et de savoirs pour qu’ils l’apprécient. » Ces obstacles culturels, Nathalie, professeure de musique à Saint Denis qui fait partie du programme Démos, l’a bien perçu.
Les obstacles sont aussi d’ordre financiers, comme le coût d’un instrument ou le prix des billets pour les concerts. « Mais pas seulement, remarque Zahia Ziouani, la cheffe d’orchestre de Mia. Les inégalités économiques et sociales se reflètent dans l’accès à la musique classique. Par exemple le problème des transports dans les zones périphériques : les salles étant principalement construites en centre-villes, certains quartiers mal desservis se retrouvent exclus. » La cheffe d’orchestre, née à Pantin, a fait de la démocratisation de la musique son cheval de bataille. Elle a notamment fondée l’orchestre Divertimento, dont la vocation est de toucher le plus large public possible. « Lorsque l’on joue dans de grandes institutions, nous sommes payés par le ministère de la Culture, mais lorsque l’on joue à Sevran, par exemple, là c’est l’argent des politiques publiques de la ville. Pourtant ce sont les mêmes musiciens qui jouent les mêmes morceaux. Pourquoi cette distinction ? », s’indigne la jeune femme.
Des modalités d’exclusion
Stéphane Dorin souligne le coût important de ce genre de projet : un orchestre Démos coûte 260 000 euros par an lorsque l’on compte, entre autre, les instruments qui sont gratuits pour les enfants et les salaires des professeurs. Soit 7,8 millions d’euros, dont l’État paye un tiers, pour 3 000 enfants. « Face à ces chiffres, il est difficile d’imaginer la généralisation de ce genre de programme. Si l’on parle d’une mesure temporaire qui concerne un nombre limité d’enfants, peut-on parler de démocratisation ? », s’interroge le sociologue. Il note toutefois les bienfaits du projet qui « réduit la modalité d’exclusion qui génère cette musique ». Une bonne chose lorsque l’on sait que certaines compagnies, comme la SNCF sur la ligne J du Transilien, ont expérimenté le fait de diffuser de la musique classique pour dissuader les regroupements de jeunes dans les lieux tels que les centres commerciaux ou les gares. Pourtant, il n’est pas censé y avoir quoi que ce soit de répulsif dans le matériel musical, la preuve ces mêmes musiques composent parfois les bandes originales des films du box-office. « C’est dire la connotation sociale de l’exclusion qui entoure le classique », analyse Stéphane Dorin.
« Lutter contre l’autocensure »
Aziz, accompagnateur du petit groupe de Saint-Denis remarque que Démos permet aussi aux enfants de sortir de leur environnement : « Ça leur montre autre chose que leurs quartiers, avec ses terrains de foot et sa médiathèque », sourit le travailleur social. « Le but d’un programme comme Démos, c’est de permettre aux enfants d’identifier les lieux culturels et surtout de ne rien s’interdire, de lutter contre l’autocensure de la culture », explique Zahia Zouani. Même si ceux-ci, à ce moment précis, n’ont pas l’air de prendre conscience de leur chance de jouer sur la scène de la Philharmonie, remarquent les professeurs. « Quelle différence ?, demande Mia. Je joue les mêmes notes qu’à la médiathèque de Saint-Denis. » Si certains continuent au conservatoire, et qu’ils sont nombreux à arrêter au bout de quelques temps, Démos est aussi un moyen pour ces jeunes de se familiariser avec la musique.
Pour l’instant, Mia ne sait pas encore si elle continuera au conservatoire. La petite fille ne voit pas si loin, il y a plus urgent : dimanche 25 juin, elle jouera avec ses copains devant le public à la Philharmonie.
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