Le déni de la crise

Macron veut faire oublier la nature systémique de la crise du capitalisme.

Jean-Marie Harribey  • 14 juin 2017 abonné·es
Le déni de la crise
© photo : Martin Bertrand / Hans Lucas / AFP

Tous les commentaires dithyrambiques sur Macron et sa victoire électorale sont fondés sur la magie du dépassement de l’opposition politique gauche/droite. Avec déjà une première entourloupe intellectuelle : identifier la gauche au Parti socialiste et celui-ci au socialisme. Mais il faut voir ce prétendu dépassement comme une nouvelle figure du dépassement du clivage socio-économique entre travail et capital, lui-même issu de la rhétorique de la disparition des classes sociales et des idéologies. Et, finalement, le capitalisme n’existe plus. Dans ces conditions, le chômage n’est qu’un problème de lourdeur du code du travail et de dépenses publiques trop élevées, et la croissance n’attend qu’une libération encore plus grande des forces naturelles du marché.

« Couvrez donc ce capitalisme que nous ne saurions voir », pourrions-nous pasticher. Tous les Tartuffe du capital occultent la cause principale du marasme. Elle se nomme crise de rentabilité du capital, non pas en soi, mais au regard des exigences de ses détenteurs, surtout les actionnaires des grandes firmes et des banques engagées dans le processus de mondialisation. C’est la trame de fond depuis quarante ans, qui n’a eu d’autre palliatif que la dévalorisation de la force de travail et la fuite en avant financière. Sous le néolibéralisme, la restauration des taux de profit s’est faite surtout par la hausse absolue de la plus-value. Avec, au bout, la surproduction et donc la suraccumulation de capital par rapport aux capacités de produire de la valeur. Ah, la valeur, cette valeur chérie qui grossit le capital, quels que soient ses dégâts sociaux ou écologiques !

Las ! La difficulté de produire de la valeur et de vendre les marchandises qui la contiennent naît d’une double contradiction : la contradiction sociale plus on s’approche de la limite de l’exploitation du travail, et la contradiction écologique dès lors que se raréfie ou se dégrade la base matérielle de la production. Les deux obstacles sont à la racine de la diminution de la hausse de la productivité du travail, que le progrès technique ne réussit pas à enrayer [1]. Les incantations au retour de la croissance forte et durable n’y changeront rien.

La mystification macronienne est plus policée que celle de Trump. Mais elles renvoient toutes les deux au souci majeur des classes dominantes : faire oublier la nature systémique de la crise du capitalisme. Là-bas, il s’agit d’imposer l’idée que l’Amérique peut repartir de l’avant en niant le changement climatique. Ici, après une campagne où le mot « écologie » fut absent du vocabulaire du candidat désormais président, celui-ci s’offre Hulot comme gage de sa soudaine conversion. Mais c’est pour mieux repartir à l’assaut du droit du travail et des retraites, tout en allégeant la fiscalité sur les entreprises et les revenus du capital.

Patronat, forces politiques de droite et de droite, économistes et éditorialistes de cour répètent à l’envi que l’économie française souffre d’un manque de compétitivité à cause du coût du travail. Nul ne souffle mot du « talon de fer » (Jack London) de la finance. Nul n’imagine autre chose que d’émanciper le capital de toute contrainte.

[1]Voir Par ici la sortie. Cette crise qui n’en finit pas, Attac, LLL, 2017.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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