Lyon-Turin : Les conflits d’intérêt au bout du tunnel
Le projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin poursuit sa lente construction, bien qu’il concentre toutes les critiques.
dans l’hebdo N° 1460 Acheter ce numéro
Dans les cartons depuis vingt-cinq ans, le projet contesté de ligne ferroviaire Lyon-Turin est passé au stade de chantier il y a trois ans. Un premier tunnel de reconnaissance, long de neuf kilomètres, est en cours de construction, mais les difficultés pour creuser la roche de la montagne s’accumulent et le budget initial ne semble plus réaliste : il serait passé de 12 milliards d’euros en 2002, à plus du double en 2012. Dans un rapport rendu public le 31 mai dernier, la Cour des comptes pointe « la montée en puissance » d’un projet _« très coûteux pour les finances publiques, dont la pertinence n’est toujours pas établie __»_, et n’ayant _« toujours pas fait l’objet d’une contre-expertise »_. Un signal d’alarme au gouvernement français déjà tiré en 2012 et en 2009 par cette même cour, et depuis 1998 par le conseil général des Ponts et Chaussées. _« Mais les promoteurs et les politiques ont masqué ces rapports en commandant des expertises privées. Le projet Lyon-Turin est aujourd’hui le fer de lance de la privatisation de tout le réseau ferroviaire français au détriment des contribuables »_, souligne Daniel Ibañez, économiste et fervent opposant au projet.
Cette année, de nouvelles étapes ont été franchies. La loi du 1er février autorise l’approbation de l’accord entre les gouvernements français et italiens pour l’engagement des travaux définitifs et le 21 juin dernier, Telt (Tunnel Euralpin Lyon-Turin), le maître d’ouvrage, a dévoilé 81 appels d’offres pour un montant de 5,5 milliards d’euros aux entreprises, qui seront octroyés d’ici à 2019. « Ce dossier est emblématique de tous les dysfonctionnements de la société : l’ampleur des travaux en fait le projet le plus cher d’Europe, dévastateur pour l’environnement, avec des conflits d’intérêts bien identifiés sur le plan économique et social… Et tous les services de l’Etat, de la haute administration, les syndicats et le monde agricole sont unanimes pour dire qu’il ne faut pas poursuivre ce chantier», résume Daniel Ibañez.
Les opposants ne se découragent pas et continuent de mener la fronde, d’abord par l’information, face aux éléments de communication diffusés par les groupes de pression. « L’enjeu de cette lutte est de démontrer la manipulation des décisions publiques par des lobbys qui n’hésitent pas à utiliser les voies institutionnelles pour légitimer leurs propos », conclut Daniel Ibañez. Ainsi, l’association Anticor a déposé une plainte pour prise illégale d’intérêts auprès du parquet financier de Paris en décembre 2016. Elle vise notamment Hubert du Mesnil, président de l’établissement public Réseaux ferrés de France (RFF), de 2007 à 2012, nommé président de la société Lyon-Turin Ferroviaire, en avril 2013, puis de Tunnel Euralpin Lyon Turin (TELT), en mars 2015. Sans oublier son rôle clé à l’Institut de la gestion déléguée, chargé de promouvoir les partenariats public/privé. Le parquet a classé l’enquête sans suite, mais Anticor a décidé de se constituer partie civile, pour ne pas abandonner la lutte sur le terrain judiciaire.