Mélenchon sur les ruines de la gauche
La France insoumise voit sa stratégie confortée et se retrouve première opposition à gauche. Mais les mélenchonistes risquent d’être bien seuls en leur royaume.
dans l’hebdo N° 1458 Acheter ce numéro
Dimanche, la social-démocratie à la française est morte. Temporairement, du moins. Les frondeurs socialistes : laminés. Les écolos : laminés. Les communistes : réduits à la portion congrue. Même la gauche radicale de La France insoumise a quasiment divisé son score par deux par rapport à la présidentielle, dégringolant à 11 % des voix au plan national. L’effet (entre autres) d’une faible mobilisation des classes populaires.
Mélenchon, pourtant, était aux anges : « La France insoumise, sans tambouille, ni combine, ni arrangement, a mis en première ligne toute une série de candidatures totalement nouvelles », se félicitait-il, en duplex de la cité phocéenne, où il venait d’apprendre qu’il était au second tour dans la 4e circonscription. Au même moment, dans un saisissant contraste, Pierre Laurent, leader du PCF, publiait un communiqué lugubre, estimant que « la division des forces de gauche se paye très cher ».
Mélenchon qui rit, Laurent qui pleure. Dimanche, deux gauches aux antipodes se faisaient face après le premier tour des législatives. Avec un avantage certain de la gauche « dégagiste » sur la gauche « rassembleuse ». La division entre les deux anciens alliés du Front de gauche s’est ainsi révélée infiniment moins néfaste pour la formation de Mélenchon que pour le parti de Pierre Laurent. Le PCF, qui dans beaucoup de circonscriptions n’atteint pas les 5 % nécessaires au remboursement de ses frais électoraux, n’enregistre que 6 candidats sous la seule étiquette « communiste » au second tour. Il fait bien pâle figure, surtout à côté des 74 labélisés « France insoumise ».
En outre, partout où la France insoumise (FI) a soutenu un candidat PCF – exception faite de la députée sortante Isabelle Attard (Calvados) –, c’est un carton plein : Stéphane Peu (Seine-Saint-Denis), Sébastien Jumel (Somme) ou Marie-George Buffet (Seine-Saint-Denis), pour n’en citer que quelques-uns, accèdent ainsi au second tour. Un camouflet pour la Place du Colonel-Fabien, qui a toujours refusé mordicus de se ranger sous la bannière de la France insoumise…
Pis : dans certains endroits, la division semble avoir eu pour effet de galvaniser les troupes mélenchoniennes. Là où communistes et insoumis s’opposaient dans des circonscriptions gagnables, ce sont, à chaque fois, les candidats de la FI qui ont remporté haut la main le match. Il en est ainsi à Montreuil-Bagnolet, où Alexis Corbière fait dix points de plus que le communiste local Gaylord Le Chequer, ou encore à Saint-Ouen-Épinay, où Éric Coquerel, l’autre médiatique lieutenant de Mélenchon, lui aussi parachuté en Seine-Saint-Denis, devance de 12 points le communiste Frédéric Durand.
Sur la 6e circonscription de l’Essonne, l’insoumise Charlotte Girard devance le maire communiste de Grigny de cinq points, et sur la 1re, où s’opposent Manuel Valls et Farida Amrani, la candidate insoumise distance son concurrent PCF de dix points. À Paris, Danièle Obono relègue l’adjoint communiste d’Anne Hidalgo, Ian Brossat, à la troisième place. Dernier exemple, et non le moindre, l’influent Pascal Savoldelli, responsable des élections au PCF, se fait doubler dans le fief communiste d’Ivry (94) par une insoumise de 28 ans, Mathilde Panot.
Jean-Luc Mélenchon a donc réussi son pari. Ce n’est certes pas celui qu’il énonçait il y a quelques jours encore, même s’il le savait probablement impossible : imposer une cohabitation « insoumise » à Emmanuel Macron et devenir Premier ministre. Jean-Luc Mélenchon a réussi le pari de « l’après » : faire place nette à gauche pour pouvoir y régner sans partage. Involontairement aidé de « l’aspirateur » Macron, qui a siphonné tant qu’il pouvait l’électorat du PS, Mélenchon, lui, s’est chargé du PCF. Le voilà désormais débarrassé de ceux qu’il considère comme les ersatz du « vieux monde ». Ceux qui, pense-t-il, entravaient depuis trop longtemps la recomposition de la gauche française encalminée dans l’impasse sociale-démocrate.
Les législatives n’ont fait qu’accélérer un processus semble-t-il inexorable. Exit les Verts (aucun député à prévoir au second tour). Exit le PCF, qui pourrait ne conserver que deux ou trois sièges (contre 7 en 2012). Exit, enfin, et surtout, les « solfériniens » honnis par Mélenchon. Lequel peut s’enorgueillir d’en avoir « dégagé » un (Patrick Mennucci) à Marseille. Et il n’est pas le seul : l’insoumise Sarah Legrain fait perdre le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, à Paris, et Manuel Bompard, directeur de campagne de Mélenchon, l’emporte au premier tour contre le « monsieur élections » du PS, Christophe Borgel, en Haute-Garonne.
Quant aux frondeurs, eux aussi accusés par Mélenchon de n’être là que pour lui barrer la route (même si la FI les soutiendra le 18 juin), seuls quatre d’entre eux accèdent au second tour (lire ici), et il est possible qu’aucun ne retourne sur les bancs de l’Assemblée. De quoi donner raison, au moins provisoirement, à l’insoumis en chef, qui affirme, depuis des mois, qu’entre le social-libéral Macron et lui, aucun espace politique n’est possible…
Même avec un score national décevant, la FI a donc de fortes chances d’être sacrée, dimanche, première formation à gauche : « C’est autour des députés FI que va se constituer l’opposition écologique et sociale [à l’Assemblée nationale] », s’est réjoui Mélenchon, qui devrait être élu sans trop de mal, à Marseille, le 18 juin. Mieux : l’hécatombe sociale-démocrate lui assure quasiment de n’avoir pas de concurrents sérieux dans les années à venir. Sortis dès le premier tour, Benoît Hamon et Cécile Duflot pourraient ainsi avoir toutes les peines du monde à incarner le renouveau à gauche, comme ils le projettent. Sans porte-voix au Palais-Bourbon, il leur faudra redoubler d’ingéniosité pour se faire entendre pendant le quinquennat.
Pour l’heure, la constitution d’un groupe autonome de la FI semble à portée de main. Il faudrait pour cela que le mouvement fasse élire au moins 15 députés. Ce serait ni trop ni pas assez pour Jean-Luc Mélenchon, qui préfère sans nul doute un groupe soudé, en mode « combat », et majoritairement issu de sa garde rapprochée qu’un grand groupe ingérable, et où pourraient naître des contre-pouvoirs internes.
« Jean-Luc Mélenchon sur un nuage », titrait le site Internet du Monde dimanche soir. Manière de suggérer un candidat bien seul dans son triomphe. Mais, aussi, de sous-entendre, peut-être, un homme politique en apesanteur, ne voyant pas que sa stratégie victorieuse cache une forêt de défaites. Par exemple en Isère ou dans la circonscription de Florange, où la division FI-PCF laisse place à des duels entre la droite et le FN. Ou encore dans la 18e circonscription de Paris, où la mésentente entre la hamoniste Caroline De Haas et l’insoumis Paul Vannier a laissé un boulevard à Myriam El Khomri contre le candidat Les Républicains. Tout un symbole.