Ralph Lavital : Que la fête commence !

Le guitariste Ralph Lavital publie Carnaval, un premier album aux harmonies subtiles et aux dialogues denses, joyeux et dansants.

Ingrid Merckx  • 14 juin 2017 abonné·es
Ralph Lavital : Que la fête commence !
© photo : Arthur Wollenweber

Laurent Coq lui a dit qu’il fallait tout faire « avec le plus d’amour possible, surtout quand on joue. Pour que, le jour où on se retourne, on soit content de tout ce qu’on a fait ». Ralph Lavital éprouve une admiration et une affection touchantes pour le pianiste qui fut son professeur de composition à l’Edim, école de musiques actuelles (Cachan), et qui est devenu son « mentor ». Il prononce le mot sans hésitation, avec élan même, en cette veille de présentation au Sunset de son premier album sous son nom : Carnaval.

« Laurent Coq m’a beaucoup appris, professionnellement et dans la vie. C’est important dans ce métier d’avoir des gens pour nous guider. » Une histoire de compagnonnage, comme on le dit dans l’artisanat. « Un grand frère, poursuit l’élève, qui a continué à jouer avec son professeur au sortir de l’école, il y a six ou sept ans. Il m’a transmis la méthode, la rigueur et une certaine façon d’aborder la mélodie, d’écrire les thèmes en s’ancrant sur les intervalles, mais de manière toujours chantante. On s’est tout de suite entendus musicalement. On a joué en duo, puis en trio sur son disque Dialogues. Il dit se reconnaître dans ce que j’écris. »

Pour son premier album, où Laurent Coq est directeur artistique et pianiste, Ralph Lavital s’est donc attaché à faire correspondre chaque étape à ce qu’il souhaitait vraiment. La composition, d’abord, qu’il a pensée comme une confluence joyeuse de toutes les musiques qui l’habitent : antillaise de par ses origines, classique étudiée au conservatoire du XIIIe à Paris et en musicologie à la Sorbonne, avec un penchant avéré pour les romantiques français : « Ravel, Debussy, Fauré, toute l’harmonie vient de là. » Et le jazz, bien sûr, dans lequel il est tombé au conservatoire d’Ivry avant de rejoindre l’Edim, avec une préférence marquée pour le new-yorkais. Musiques africaines et brésiliennes aussi.

Le guitariste s’est entouré de comparses : Nicolas Pelage au chant et aux percussions, Zacharie Abraham à la contrebasse et Tilo Berthelo à la batterie. Et il a enregistré au printemps 2016 au studio de Meudon : « Ce que je pouvais m’offrir de mieux. » Le mixage et le mastering ont été réalisés à New York, avec Dave Darlington, ingé son reconnu de la scène chanson et des musiques dansantes, chez qui Ralph Lavital goûte « un son avec une vraie chaleur dans les basses, qui donne un rendu légèrement compressé, assez produit ». Sur la pochette, il ne voulait pas se contenter de poser avec sa guitare et cherchait un visuel « un peu artistique ». Il apparaît le menton levé, sous une pluie de confettis, inspiré et comblé par ce qui pétille autour de lui.

Le jazz est une fête sur ce Carnaval bien agencé, où la rythmique ne se départ jamais d’une intention de danse. Le disque démarre par « Grand nous », morceau qui salue famille génétique et famille musicale en ouvrant sur une conversation avec son père. Disquaire à Paris, spécialisé dans la musique des Antilles, chanteur et guitariste lui-même, celui-ci explique à son fils comment amener la basse dans une sorte de « compromis entre bossa et zouk : “Touh, Touh… Et là, tu fais la batterie à côté pour inviter les gens à danser. Touh, touh”… » Arrivent le piano, la guitare, puis le chant, dans un petit ballet estival et frais, où piano et six-cordes se dandinent face à face. Sur le morceau « Carnaval », solo marquant de Laurent Lalsingué au steelpan, « un des derniers instruments créés sur la planète, que j’ai voulu utiliser pour son timbre totalement caribéen mais aussi comme instrument classique ». Mariage d’harmonies subtiles, d’échos métalliques et percutants. Introduction de contrebasse à l’archet sur le romanesque « Les étés ». Ralph Lavital chante sur « Présent », la première fois qu’il ose. Sans doute pas la dernière…

Souriant, charmant, pas prétentieux, le guitariste vient de fêter ses 30 ans. Et, s’il dit se sentir « déjà vieux » face aux musiciens de 20 ans qui arrivent sur scène avec un niveau technique très élevé, il exhale la joie de celui qui a trouvé comment résoudre un certain nombre de conflits et de difficultés : se faire entendre, concilier toutes les cultures qui font son histoire, mais aussi feinter l’assignation identitaire orchestrée par le groupe social dominant quand on est un jeune Antillais de classe moyenne, métropolitain qui en a « marre d’être divisé et de diviser ».

Il a bien conscience que la jeune scène jazz se modifie socialement : les écoles privées sont chères, les conservatoires encore prisés par une certaine élite qui s’est emparée des cursus jazz d’apparition relativement récente et pas toujours ultra-connectés avec les racines blues et swing de cette musique. Mais lui est passé par l’Edim, « une école assez éclectique » dans ses recrutements. Il joue de la musique antillaise dans les bars depuis ses 12 ans, ce qui lui a permis de vivre en tant que musicien, expliquait-il à Politis en 2011 [1]. Il conserve son statut d’intermittent en partie grâce à sa collaboration avec Tal, jeune chanteuse pop, « bonne musicienne » qui laisse à son groupe une grande liberté d’improvisation sur scène : « On peut tenter des choses sur des grilles compliquées alors même qu’on joue devant des 10-15 ans. Nous, on s’éclate, et eux, ça leur permet d’entendre d’autres harmonies, d’autres styles. » Il était en résidence au Baiser Salé, un club plus électrique et world que d’autres endroits parisiens, « plus middle class aussi ». À TSF, où il est attendu pour une émission en direct, il a prévu de jouer « Présent » et « Big In », morceau enjoué, solaire.

[1] « Musiciens : comment se faire entendre ? », Politis, n° 1157, 16 juin 2011.

Carnaval, Ralph Lavital, avec Nicolas Pelage, Laurent Coq, Zacharie Abraham, Tilo Berthelo, Laurent Lalsingué et Ricardo Izquierdo, Jazz Family.

Musique
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