Toujours plus d’enfants dans les centres de rétention
Le quinquennat de François Hollande a vu l’explosion du nombre de rétentions d’enfants et de familles, malgré la promesse du candidat socialiste en 2012.
Un « changement de cap ». C’est la demande peu inédite mais fondamentale que font six associations à Emmanuel Macron à propos du placement en rétention des personnes étrangères en situation irrégulière. Dans leur rapport annuel, La Cimade, l’Assfam, Forum-Réfugiés-Cosi, France Terre d’asile, l’Ordre de Malte et Solidarité Mayotte alertent sur un usage _« toujours massif » et « trop souvent abusif » de ces pratiques. En 2016, près de 46 000 personnes ont été privées de liberté dans les centres de rétention administrative (CRA). Un peu moins qu’en 2015, mais sur les cinq dernières années (2012-2016), ce sont plus de 232 000 personnes qui sont concernées.
Outre les multiples démantèlement de camps (Calais, Paris, Metz), et les pratiques abusives de certaines préfectures (Doubs, Moselle, Haute-Garonne…), les associations ont constaté une forte augmentation du nombre d’enfants enfermés. « Je prends un engagement : celui de refuser la rétention des enfants », écrivait François Hollande en février 2012, dans une lettre adressée aux représentants du Réseau éducation sans frontières (RESF). La promesse emblématique du candidat à la présidentielle est bien loin, et enterrée sous des chiffres toujours plus lourds. En 2016, 4 507 enfants ont été enfermés sur l’ensemble du territoire et en métropole, le nombre de familles avec enfants enfermées a triplé entre 2013 et 2016.
Mathias Venet, responsable de la mission rétention à l’Ordre de Malte, explique :
Ces pratiques pourraient être évitées car les familles sont souvent interpellées chez elles, parfois avec violence, pour être conduite en CRA, et expulsée la plupart du temps dès le lendemain. L’administration considère donc que cette courte durée d’enfermement est tolérable, or nous constatons les traumatismes subis par les enfants.
La France dans le viseur de la CEDH
En juillet 2016, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France cinq fois pour le placement d’enfants dans des CRA et avoir violé l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme selon lequel « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Si le rapport salue le CRA de Lille-Lesquin qui n’a placé aucune famille en rétention pour la cinquième année consécutive, il pointe aussi les mauvais élèves : Metz-Queuleu (107 enfants), Mesnil-Amelot (30 enfants), et Toulouse (10 enfants). Ce dernier centre était pourtant concerné par quatre des cinq condamnations de la CEDH mais les mêmes pratiques ont perduré. « L’administration française n’a pas l’intention de changer ses pratiques, quitte à être une nouvelle fois condamnée », glisse le responsable de l’Ordre de Malte.
En octobre 2016, la préfecture des Pyrénées-Orientales a placé en CRA une famille albanaise avec quatre enfants âgés de 1 à 12 ans. Les associations rapportent que des violences sur les parents, devant leurs enfants, ont été constatées au moment de l’interpellation, et que leurs affaires personnelles ont été conservées dans des sacs-poubelles. La famille a été libérée 24 heures plus tard, sans solution d’hébergement, mais avec l’obligation de retourner à Perpignan le plus rapidement possible car elle était assignée à résidence. Précision : le maire d’une petite ville soutenait cette famille et leur avait proposé un emploi et un logement.
Le rapport souligne également la spécialité de la préfecture de Haute-Garonne : séparer les familles. Ainsi, un père a été expulsé en Tunisie, sans être prévenu, alors qu’il visitait ses deux enfants pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE), et un autre a été placé en CRA, alors que sa femme était atteinte d’une maladie orpheline et qu’il devait s’occuper de leurs trois enfants dont un nouveau-né.
Les interpellations sont quasiment toutes effectuées en mer, lorsqu’ils se trouvent à bord des kwassa. Pour le placement en CRA d’un mineur, il faut un représentant légal, donc l’administration rattache les enfants à un adulte de façon arbitraire. Or selon les témoignages que nous avons recueillis, nous pouvons affirmer qu’ils ne voyagent jamais avec leurs parents mais avec des adultes qu’ils connaissent plus ou moins, des frères un peu plus âgés qu’eux ou des passeurs.
Mayotte, l’île aux enfants enfermés
L’association Solidarité Mayotte a participé pour la première fois à l’élaboration de ce rapport. Une expertise précieuse car ses bénévoles sont présents au quotidien depuis l’ouverture du nouveau CRA, en septembre 2015. Si les conditions de vie sont un peu plus dignes, les personnes en rétention ne peuvent toujours pas joindre l’extérieur. Et les pratiques restent préoccupantes, notamment l’enfermement des familles et des enfants. En 2016, 4 285 enfants ont été placés en rétention dans ce département. Méline Moroni, juriste de l’association Solidarité Mayotte, raconte :
Le Conseil d’État a censuré ces rattachements illégaux en 2015 et a rappelé que « l’autorité administrative doit s’attacher à vérifier, dans la mesure du possible, l’identité d’un mineur placé en rétention et faisant l’objet d’une mesure d’éloignement forcé, par voie de conséquence de celle ordonnée à l’encontre de la personne qu’il accompagne, la nature exacte des liens qu’il entretient avec cette dernière ainsi que sa prise en charge dans le lieu de destination. » Les associations veulent profiter du renouvellement politique pour espérer un changement de politique, et La Cimade s’est engagée à remettre à Emmanuel Macron sa pétition « Plus jamais d’enfants en rétention » qui a déjà récolté plus de 38 000 signatures.
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