Traité de désarmement nucléaire : Un puissant bout de papier
Même sans la participation des États possédant l’arme nucléaire, le traité d’interdiction aurait un impact réel.
dans l’hebdo N° 1458 Acheter ce numéro
À quoi peut bien servir de décréter le bannissement des armes nucléaires sans l’aval de ceux qui les possèdent ? C’est le premier argument opposé au traité d’interdiction en cours d’élaboration. Il est certes plus solide que la ligne de repli du club de la bombe, qui fustige une démarche « fragilisant » le Traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP), le cadre actuel des efforts de désarmement… dont il organise l’immobilisme au point que le diplomate canadien Douglas Roche le décrivait en 2012 comme « abruti et sclérosé », en voie de décomposition complète.
Le 27 octobre 2016, quand la résolution L.41 emporte l’adhésion majoritaire, la France se dit « consternée par le fait que le débat […] ait pris une telle direction » : l’interdiction entraverait le désarmement effectif et menacerait la sécurité du monde. En réponse, les porteurs du traité ont pris soin de le présenter comme un outil non pas dissident du TNP, mais visant au contraire à renforcer le processus de désarmement engagé.
Ils ne s’attendent pas à ce que les huit pays nucléarisés (neuf si l’on inclut la Corée du Nord) signent le texte le 7 juillet. Mais celui-ci n’en sera pas pour autant un simple bout de papier. Son but premier consiste à établir une « norme » internationale estampillée par les Nations unies, reconnue par d’autres institutions, et qui pèsera sur les opinions et les décideurs. « L’efficacité d’une telle stratégie s’est révélée avec les traités bannissant les armes à sous-munitions ou encore les essais nucléaires, dont des pays clés comme les États-Unis ne sont pas membres », rappelle Patrick Bouveret, directeur de l’Observatoire des armements.
Le document préparatoire au traité en justifie l’ambition en raison « des conséquences humanitaires catastrophiques qui résulteraient de toute utilisation et de la nécessité de faire tous les efforts pour s’assurer que les armes nucléaires ne soient jamais utilisées en aucune circonstance ». S’il est adopté, les pays du club de la bombe, qui se veulent garants d’un équilibre pacifique, selon le vieux dogme, pourront être stigmatisés comme détenteurs minoritaires d’une arme de destruction massive. Un outil précieux pour les ONG qui démarchent les parlementaires depuis des années. « Il sera plus difficile à la représentation nationale de justifier un arsenal frappé d’une illégalité reconnue par une majorité de pays, explique Jean-Marie Collin. La France se retrouverait, d’une certaine manière, dans le même sac que la Chine, la Russie ou la Corée du Nord. »
Outre l’interdiction de « développer, produire, fabriquer, acquérir, posséder ou stocker » des armes nucléaires, le texte devrait interdire l’assistance aux entreprises mêlées à ces activités. « On a vu l’impact d’une telle clause dans d’autres traités, commente Jean-Marie Collin, d’Initiatives pour le désarmement nucléaire (IDN) et de la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires (Ican). Elle définit une ligne rouge que les investisseurs, sous le regard de l’opinion, ont tendance à respecter. » L’ex-ministre de la Défense Paul Quilès fustige à ce titre l’indifférence des autorités françaises, qui n’ont même pas anticipé l’effet qu’aurait un tel traité sur l’industrie nationale.
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Un autre article devrait asseoir un « droit d’assistance » pour les populations malades ou victimes d’essais. Même si cela reste formel en raison de la non-adhésion du club de la bombe, l’Algérie pourrait alors officiellement demander réparation à la France pour les essais nucléaires menés dans les années 1960 sur son territoire. Idem pour le Kazakhstan, susceptible de se retourner contre la Russie. La « menace d’usage » serait également épinglée, ce qui frapperait d’illégalité toute stratégie de dissuasion. L’Otan même pourrait se trouver fragilisée : les Pays-Bas, membre dont le territoire abrite des armes nucléaires de l’Organisation de coopération militaire, sont favorables au traité d’interdiction, et la Belgique hésite.
« Le travail, à terme, consistera à faire entrer petit à petit dans notre logique les neuf pays possédant la bombe, décrit Patrice Bouveret. Le nouveau traité pourrait donner un cadre multilatéral propice à ce que des pays dotés bougent sans attendre les autres – l’excuse sempiternelle pour ne rien faire. » La France, qui a joué un rôle international de premier plan dans le contrôle du commerce des armes ou l’interdiction des bombes à sous-munitions, pourrait être ce larron, rêvent les ONG, louchant du côté du Président aux idées « modernes »…