Une France bancale
Seule la France insoumise tire son épingle du jeu. Mais le plus souvent aux dépens de ceux, communistes et socialistes de gauche, qui auraient dû, qui auraient pu, être ses partenaires.
dans l’hebdo N° 1458 Acheter ce numéro
La Ve République ressemble parfois au coffre miracle du magicien. Vous y faites entrer à peine plus de 15 % des inscrits, et vous en sortez 70 % des sièges à l’Assemblée nationale. C’est ainsi, c’est régulier, et c’est incontestable. Et une fois encore, le « miraculé » s’appelle Emmanuel Macron. Après une élection présidentielle qui devait déjà plus au rejet de son adversaire qu’à l’adhésion à son projet, voilà qu’il hérite d’une Assemblée introuvable, légale, assurément, mais d’une bien faible légitimité, surtout pour mettre en œuvre la politique qu’il nous annonce. Car le fait marquant de ce premier tour des législatives, c’est évidemment l’abstention. Jamais depuis la naissance de la République gaullienne, en 1958, les abstentionnistes n’avaient été plus nombreux que les votants.
La France sortie des urnes dimanche n’est plus que la moitié d’une démocratie. Un pays bancal qui a perdu en cours de route une partie de ses jeunes et de ses classes populaires. La principale raison de cette abstention réside dans une sorte de fatalisme institutionnel mêlé de lassitude. Plus que jamais, les législatives sont apparues comme une confirmation assez formelle de la présidentielle. Il y faut ajouter la division de la gauche, qui a incité nombre d’électeurs à ne pas se déplacer pour des batailles qui leur paraissaient perdues d’avance. De ce côté-là, il est vrai, la débâcle est totale. Seule la France insoumise (FI) tire son épingle du jeu. Mais le plus souvent aux dépens de ceux, communistes et socialistes de gauche, qui auraient dû, qui auraient pu, être ses partenaires.
Le mouvement de Jean-Luc Mélenchon, dont c’était l’objectif à peine caché, a affaibli le PC et éliminé la gauche du PS. Et – last but not least – il sort de cette séquence avec un trésor de guerre non négligeable. Ce qui ne fait pas les affaires de la gauche par rapport aux combats politiques immédiats, mais qui place la FI en position dominante pour le « coup d’après ». Tout étant relatif dans une guerre de lilliputiens. Quant au Parti socialiste, c’était un peu comme le cholestérol. Il y avait le bon et le mauvais. Dimanche, on a détruit le bon et on a gardé le mauvais. Car, contrairement à ce qui se dit, les députés socialistes ne se sont pas tous volatilisés. Les sociaux-libéraux – qui n’avaient d’ailleurs de « sociaux » que le nom – sont toujours là ; ils n’ont pas « dégagé », ils ont juste changé de casquette. Et ils triomphent.
Les autres, ceux qui avaient dit non à la loi El Khomri et au 49-3, et qui s’apprêtaient à dire non aux ordonnances, ont été balayés. Peu de frondeurs ont surnagé dans la vague macroniste. Pas même Benoît Hamon. Les opposants à la ligne Hollande sont, paradoxalement, ceux qui ont payé le prix fort du quinquennat. C’est sans doute aussi leur faute. Ils n’ont pas su se libérer assez tôt du label infâmant. Ils ont cru pouvoir faire dans la nuance et trouver quand même quelques vertus cachées à ces années maudites, mais les électeurs, eux, n’ont pas fait le détail. À la fin, c’est donc la « ligne Valls » qui l’emporte. Souvenons-nous qu’en 2011 – et en 2008 déjà ! – le candidat à la primaire de la gauche (« Monsieur 5 % ») avait souhaité la disparition du Parti socialiste. « Socialisme » était devenu dans sa bouche un gros mot. Aujourd’hui, c’est presque chose faite.
Divine mais tardive surprise, Jean-Luc Mélenchon appelle à voter au second tour pour les députés PS « qui ont signé la motion de censure » contre le gouvernement Valls et la loi travail. Ce que nous appelions de nos vœux depuis le début de cette longue séquence. Il est vrai qu’ils ne sont plus que quatre rescapés, et tous dans une situation quasi désespérée. De même, Benoît Hamon a appelé à voter pour Farida Amrani, la candidate de France insoumise opposée à Manuel Valls dans l’Essonne. C’est la moindre des choses. Profitons-en pour redire ici qu’il faut aller voter dimanche. Plusieurs candidats du PCF ou de la France insoumise ont leurs chances, notamment à Sevran, à Montreuil, à Saint-Ouen, au Blanc-Mesnil, dans le XIXe arrondissement de Paris, à Amiens et, bien sûr, à Marseille. J’en oublie sûrement (paranoïaques, s’abstenir !).
Le poète de la semaine devrait être l’illustre Antoine Houdar de La Motte (1672-1731), auteur méconnu d’une phrase célèbre : « De l’uniformité naquit l’ennui. » Mais, en politique, il y a pire que l’ennui. De l’uniformité de cette assemblée naît quelque chose qui nous éloigne dangereusement de la démocratie. Avec une majorité pléthorique, le tandem Macron-Philippe se croira tout permis. À preuve : nous avions déjà la promesse d’un gouvernement par ordonnances, nous avons maintenant la perspective d’une loi liberticide [1]. Un avant-projet qui prévoit tout simplement d’intégrer l’état d’urgence dans la loi commune. En l’aggravant de surcroît de lourdes menaces sur la liberté de manifester. Dans un rapport de force politique aussi déséquilibré, on sent que le mouvement social va avoir de quoi s’occuper.
[1] Voir la tribune de Laurence Blisson (p. 13), et l’analyse de François Gèze sur son blog de Mediapart.
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