Une poudre de perlimpinpin électoraliste

Les grandes lignes du « projet de loi rétablissant la confiance dans l’action publique », premier chantier du quinquennat, vont dans le bon sens… mais des zones d’ombre et d’évidentes lacunes demeurent.

Michel Soudais  et  Maïa Courtois  • 7 juin 2017 abonnés
Une poudre de perlimpinpin électoraliste
© photo : STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Candidat, Emmanuel Macron s’était engagé à faire adopter une loi de moralisation de la vie politique. Le futur chef de l’État ne s’y était toutefois résolu que sous la pression de François Bayrou. Le président du MoDem, méfiant à l’endroit de celui qu’il avait qualifié de « candidat des forces de l’argent », l’avait exigé en échange de son soutien. S’engager à laver plus blanc dans une campagne polluée par les affaires Fillon et Le Pen était assurément une promesse populaire. Et M. Macron a vite compris l’intérêt qu’il pouvait en tirer, d’où sa décision de l’adopter en conseil des ministres avant le premier tour des législatives. Ce qui évitait une focalisation excessive sur ses projets de réformes économiques et sociales impopulaires.

Las ! Le timing était trop serré pour être tenu. Le texte ne pourra passer en conseil des ministres que le 14 juin, entre les deux tours, et non le 7 juin, comme prévu initialement. Car tout projet de loi doit d’abord être soumis à l’avis du Conseil d’État. Et ce n’est pas une loi mais trois qui seront nécessaires : si certaines dispositions relèvent d’une loi ordinaire, d’autres nécessitent une loi organique, et d’autres encore une loi constitutionnelle.

Qu’à cela ne tienne : le calendrier politique ne pouvait attendre. M. Bayrou, fraîchement ministre de la Justice et garde des Sceaux, a donc présenté dans une conférence de presse très médiatisée, jeudi 1er juin, son « ambitieux » projet de loi « rétablissant la confiance dans l’action publique ». Disparue, la « moralisation » ! « La morale est une question personnelle », feint d’estimer désormais le président du MoDem. Le Premier ministre ne voulait pas de ce mot, craignant qu’il revienne comme un boomerang sur son gouvernement : deux de ses ministres, Marielle de Sarnez et Richard Ferrand, font déjà l’objet d’enquêtes préliminaires. Et c’est finalement Emmanuel Macron qui a opté pour cet intitulé prétendant rétablir la confiance dans la vie publique par la loi, quand, à l’instar de tous les libéraux, il professait jusqu’ici que la confiance ne se décrète pas…

Dans ses grandes lignes, le projet présenté par François Bayrou apparaît plutôt positif. Au nombre des mesures bienvenues, on compte la suppression de la réserve parlementaire, remplacée par un fonds pour les territoires encore peu défini. Mais aussi l’interdiction d’exercer plus de trois mandats identiques et consécutifs. Autre réforme nécessaire : la suppression de la Cour de justice, juridiction d’exception grâce à laquelle Christine Lagarde avait été dispensée de peine ; les membres du gouvernement seraient désormais soumis à la justice ordinaire des magistrats de la cour d’appel de Paris. À noter encore, un rétropédalage salutaire sur l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM). Emmanuel Macron souhaitait la fiscaliser, ce qui aurait transformé cette indemnité en salaire, avec pour conséquence de rendre plus opaque encore l’utilisation de l’argent, puisqu’il n’existe pas de droit de regard sur la façon dont une personne dépense son salaire. Dans le projet de loi, les parlementaires devront justifier de leurs frais sur factures pour obtenir leur remboursement.

Les associations comme Transparency International et Anticor, qui avaient rencontré le ministre pour lui faire part de leurs propositions, se disent globalement satisfaites : un grand nombre ont été reprises. Cependant, des zones de flou demeurent, placées sous leur vigilance. M. Macron leur avait notamment promis l’obligation, pour être élu, d’avoir un casier judiciaire vierge de toute condamnation pour corruption. Or, le projet de loi ne propose que l’instauration d’une peine d’inéligibilité de dix ans maximum en cas de condamnation pendant le mandat. L’interdiction de rémunérer conjoints, ascendants ou descendants est au programme, mais curieusement pas de mention des frères et sœurs.

En ce qui concerne les activités de conseil, c’est un semi-pas en avant : il serait interdit d’en commencer une au cours du mandat, ou dans l’année précédant l’élection, mais loisible de poursuivre celles exercées auparavant… Enfin, les associations avaient demandé d’annuler la réduction du délai de prescription à douze ans pour les délits financiers, votée en février en pleine affaire Fillon. « Ça ne concerne pas la vie publique », a sèchement tranché François Bayrou.

Et puis il y a les lacunes évidentes. Le Président avait promis « un encadrement strict des pratiques de lobbying en imposant un horaire et un lieu précis pour les réunions qui relèvent de ces pratiques au Parlement ». Le texte n’en porte pas trace. « Il va falloir se pencher dessus et rouvrir le dossier, parce qu’Emmanuel Macron s’y était engagé », annonce Elsa Foucraut, responsable du plaidoyer pour Transparency International France, qui compte bien profiter de la consultation publique promise par le garde des Sceaux. « Le vrai enjeu, c’est bien la traçabilité : connaître qui sont les lobbyistes, par qui ils sont mandatés », renchérit Éric Alt, vice-président d’Anticor.

Les organisations dénoncent également les faiblesses institutionnelles qui empêchent un contrôle efficace. L’arbitrage des conflits d’intérêts, qualifiés par François Bayrou de « plaie de nos démocraties », sera à la charge des commissions de déontologie de chaque assemblée, sur la base de déclarations. Mais pour Daniel Lebègue, président de Transparency International France, il faudrait d’abord « régler la mission et les moyens du déontologue, car on a franchi les limites du ridicule avec l’affaire Fillon : tout le monde en parlait sauf une personne, le déontologue de l’Assemblée, qui a avoué qu’il n’avait aucun moyen d’action, aucun avis, et qu’il était tenu par le devoir de réserve ».

Il y a aussi le fameux « verrou de Bercy », qui a le monopole des poursuites en matière de fraude fiscale. Ou encore les conditions de nomination des procureurs, dépendant du ministre de la Justice. Pour Éric Alt, ces liens sont néfastes, et « le débat doit aussi porter sur l’indépendance de la justice, sinon ces réformes n’iront pas jusqu’au bout ». François Bayrou avait annoncé une réforme du Conseil supérieur de la magistrature, mais, pour le moment, tout le monde l’attend.

La transparence n’est donc pas pour tout de suite. Un manque de volonté qui fait grincer des dents à gauche. Benoît Hamon regrette que ne soit pas « rendue publique l’identité des donateurs importants des campagnes électorales ». Dans la même veine, EELV souhaitait la « transparence obligatoire des donateurs pour les campagnes électorales, et au-delà de 2 000 euros pour les partis politiques ». Ce qu’Emmanuel Macron a toujours refusé. La France insoumise, quant à elle, déplore l’absence des propositions clés de son programme : « Rendre inéligible à vie une personne condamnée pour corruption », donner au « peuple le droit de révoquer lui-même les élus », ou encore « interdire l’entrée des lobbyistes dans l’enceinte du Parlement ».

Si le garde des Sceaux reste flou sur les modalités d’examen de ce projet de loi, le résultat des législatives influera inévitablement sur son contenu final. D’autant que certains points impliquent des changements constitutionnels contre lesquels beaucoup rechignent. C’est le cas de la suppression de la Cour de justice. François Hollande l’avait promise avant de devoir y renoncer. Après l’illusion de la « République irréprochable » de Nicolas Sarkozy, celle de la « République exemplaire et transparente » de M. Hollande, la République de la « confiance rétablie » d’Emmanuel Macron risque d’apporter, elle aussi, son lot de désillusions.

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