Benoît Hamon : « J’appelle à des états généraux de la gauche »

Après une difficile campagne mais libéré du PS, Benoît Hamon revient pour Politis sur les raisons de sa décision de quitter le parti, ses projets et sa vision d’avenir pour la gauche.

Michel Soudais  et  Pauline Graulle  et  Nadia Sweeny  • 5 juillet 2017 abonné·es
Benoît Hamon : « J’appelle à des états généraux de la gauche »
© photo : Michel Soudais

C’est dans un café parisien que nous retrouvons Benoît Hamon, fatigué mais toujours enthousiaste, après une séquence politique éreintante. Celui qui vient d’annoncer son départ d’un Parti socialiste qu’il a intégré il y a trente ans emploie encore un « on » englobant. Si la rupture avec le parti semble être consommée, il n’en a pas fini avec la politique, ni avec le socialisme. Au détour d’un « selfie » avec le serveur, Benoît Hamon fait preuve de ce lien naturel qu’il entretient avec les gens, facilité par la simplicité qu’il cultive. Arrivé en métro, le désormais ex-PS repart quasiment à zéro au sein de son nouveau mouvement dit « du 1er juillet ».

Vous avez annoncé votre départ du Parti socialiste samedi, lors du lancement de votre nouveau « mouvement du 1er juillet ». Pourquoi cette décision ?

Benoît Hamon : C’était une décision logique. Mon départ est la dernière marche d’un processus qui, avant même les primaires et la présidentielle, m’a conduit à faire deux constats : d’une part, un épuisement de la forme et du fond qu’incarne la social-démocratie française à travers le PS, et cela depuis de nombreuses années ; d’autre part, la nécessité de régénérer la gauche par des voix et des pratiques nouvelles. Pendant des années, j’ai représenté une fraction de l’aile gauche du PS. Je n’avais pas envie de devenir la « mouche du coche » ! C’est sympathique mais ça ne sert à rien. Aujourd’hui, l’inventivité et l’imagination sont nécessaires pour refaire la gauche. Cette décision, je ne l’ai pas vécue comme une séparation brutale même si c’est toujours un moment fort que de quitter un parti auquel on a appartenu longtemps. En même temps, je sais où je vais.

Pourquoi ne l’avoir pas fait plus tôt ?

Ce qui s’est passé à la présidentielle et aux législatives n’est pas une nouvelle manifestation d’un effet d’alternance, de balancier. Selon moi, le cycle politique qui s’ouvre est plus proche de 1969-1971 que de 1993. Il a fallu tout d’abord l’action opiniâtre de François Mitterrand pour créer le parti d’Épinay. Après la lourde défaite de 1993, Michel Rocard avait enclenché un processus qui visait à refondre le PS et à lui offrir une nouvelle séquence : il ne s’était pas trompé car nous avons de nouveau eu des victoires, en 1997. Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans la même configuration car le PS a été remplacé dans l’espace politique social-démocrate qu’il occupait. Il y a eu des signes avant-coureurs : lors des dernières élections municipales, ou régionales, les électeurs se sont détournés de nous ; lors de la présidentielle, des citoyens qui se définissaient comme sympathisants socialistes ont franchi une nouvelle étape en votant Mélenchon ou Macron. Il faut donc reconnaître que, vote utile ou pas, nous avons été remplacés. Ce comportement n’emporte pas les mêmes conséquences.

Pourquoi n’avez-vous pas tenté une stratégie à la Corbyn : une reconquête de l’intérieur du PS ?

Le Parti travailliste n’a pas la même histoire que le Parti socialiste. Les Travaillistes ont conservé longtemps – même s’ils sont en crise – une base sociale, ouvrière, en lien avec les syndicats présents à l’intérieur. Au PS, cette base n’a jamais vraiment existé et aujourd’hui, elle a totalement disparu. Par ailleurs, le PS est devenu un lieu où coexistent des projets qui ne se rencontrent jamais tant ils sont devenus radicalement différents. Même si les débats entre Rocard et Mitterrand étaient âpres lors du congrès de Metz [en 1979, NDLR], il y avait, à l’époque, des synthèses politiques qui pouvaient s’opérer. Aujourd’hui, pour faire une synthèse, encore faudrait-il que l’on sache sur quoi.

De nombreux socialistes étaient présents au lancement de votre mouvement… Votre mouvement va-t-il garder « un pied dedans, un pied dehors » ?

L’idée n’est pas de faire partir un « courant », une « sensibilité » du PS. Mon choix est un choix personnel, né de l’écho de la présidentielle, de l’espoir que des hommes et des femmes placent en vous et qui vous oblige. J’ai estimé qu’il fallait rassembler au-delà des frontières du parti socialiste. C’est le sens du mouvement du 1er juillet et la sincérité de ma démarche allait se juger aussi sur ma capacité à sortir du confort qui aurait pu se résumer à « je ne suis pas d’accord avec le PS mais j’y reste ». Je dois dire également que plusieurs intellectuels qui m’ont accompagné pendant la campagne m’ont invité à cette clarification. Beaucoup ont vécu la faillite morale d’une partie significative des dirigeants socialistes lors de ma campagne présidentielle comme le spasme ultime d’un parti sans projet ni éthique. Pour autant, je tiens à préciser que le PS n’est pas devenu un adversaire.

Quelles sont vos orientations programmatiques ?

Nous travaillons sur deux plans : ce que j’appelle le « foncier », qui nous permettra d’être présents sur des territoires prioritaires : les Hauts-de-France, le Grand-Est et la région Paca, dans les territoires périurbains ou ruraux où il faut reconquérir sociologiquement une base électorale abstentionniste ou qui ne vote qu’occasionnellement, notamment parmi les classes populaires et une partie des classes moyennes. Pour cela, notre méthode est classique : nous serons présents physiquement. Il y aura trois manières de s’impliquer : agir localement au plus près des aspirations citoyennes, solidaires et écologiques des territoires ; travailler sur des thèmes concernant les préoccupations majeures de nos concitoyens et faire émerger la parole de tous ; enfin, contribuer à la logistique, en fonction des compétences de chacun. Le mouvement proposera donc plusieurs types d’implications fondées sur des actes d’engagement : don, fundraising, organisation d’un comité local, création et animation de débats, accompagnement sur le web…

Et le second plan ?

Il est national. J’appelle à des états généraux de la gauche, ouverts à tous les citoyens de gauche organisés ou pas, aux formations et aux partis politiques, aux associations locales. Je prendrai des initiatives pour que ce processus s’enclenche dès la rentrée.

Comment vous faire entendre puisque vous n’êtes pas représentés à l’Assemblée nationale ?

C’est un problème en effet… Mais on verra bien ce que devient le groupe socialiste ! J’espère qu’il ne restera pas dans cette posture mi-chèvre mi-chou éternellement, sinon il risque d’être inaudible et donc inutile. Ensuite, sur la forme que nous allons choisir pour nous assurer la visibilité de notre opposition, et qui sera en effet déterminante, nous avons déjà quelques perspectives précises, que nous dévoilerons cet automne.

Comment allez-vous vous démarquer de ce qu’ont déjà fait la France insoumise et La République en marche ?

Mon objectif n’est pas de me démarquer mais d’offrir une alternative. Si certaines de leurs méthodes sont intéressantes, le défi est de créer des organisations horizontales vraiment démocratiques, qui ne sont pas pilotées de haut en bas.

La France insoumise est un mouvement très horizontal, certes, mais il est incarné par Jean-Luc Mélenchon. Tout comme La République en marche, derrière la figure d’Emmanuel Macron. Certes, l’horizontalité alimente un projet politique, mais comment invente-t-on « l’homme collectif » ? Je ne veux pas d’un mouvement estampillé « Benoît Hamon ». Les formes de démocratie qu’on souhaite sont préfigurées par la manière dont on s’organise. Concrètement, si vous prenez les habits de la Cinquième, il sera compliqué de changer la Cinquième.

La question démocratique est donc centrale dans votre projet…

C’est un des trois axes majeurs. La gauche est mise au défi de conjuguer mondialisation, révolution numérique et démocratie.

Comment donner aux citoyens européens les mêmes pouvoirs démocratiques qu’au niveau national et local ? Comment réguler le pouvoir colossal des grandes compagnies privées qui, par la propriété de nos données personnelles, guident désormais nos existences bien davantage que les États ? Comment ouvrir l’ordre économique, et pour commencer l’entreprise, à la délibération collective et à la démocratie ? Il faut repenser la question démocratique. L’envisager dans l’ordre économique : grâce au développement des formes d’entrepreneuriat solidaire et social. Il faut renouveler cette idée jaurésienne que la démocratie ne s’arrête pas à la porte de l’atelier, penser l’évolution de modèles entrepreneuriaux en allant au-delà du rapport de force capital-travail qui se noue dans les instances représentatives…

Quel est le second axe de votre projet ?

Il prolonge le premier : la synthèse entre l’écologie et le socialisme : il nous faut penser un nouveau modèle de développement, en prenant en compte les conséquences sur les modes de production dans l’industrie et en agriculture, ainsi que l’évolution des modes de consommation. Comment penser ces fameux indicateurs de développement qui ne soient pas juste indexés sur la croissance du PIB ? Une croissance vertueuse pour l’environnement ? En d’autres termes, il s’agit de mettre le socialisme et la gauche au défi de la modernité de la transition écologique qui interroge notre modèle de développement, le productivisme, cette foi aveugle dans la croissance qui a longtemps structuré la gauche, en particulier socialiste.

Allez-vous aussi conserver la thématique du revenu universel, qui vous a quand même un peu compliqué la tâche durant la présidentielle ?

Notre troisième chapitre, ce sont les transformations du travail. Le capitalisme a opéré cette mutation beaucoup plus vite qu’on ne l’imaginait et c’est au détriment du travail humain. Le travail se raréfie. Cela offre à l’humanité l’opportunité incroyable d’avoir moins à travailler pour produire ce dont elle a besoin : c’est une vraie révolution copernicienne pour tous ceux qui voyaient dans le travail la forme principale d’épanouissement. Je veux donc qu’on envisage la réduction du temps de travail sous toutes ses formes. Comment maîtriser la raréfaction du travail et financer la protection sociale ? Comment engager la transition vers une société qui valorise les communs et garantit un revenu universel ? Bref, il y a tout à repenser : le financement de nos systèmes sociaux, nos sociétés dans les temps de la vie, le projet éducatif et culturel… Enfin, pour répondre à votre question : oui, le revenu universel est une des pistes de réflexion. Il faut poursuivre et intensifier la bataille idéologique et culturelle sur cette question.

C’est un projet de long terme… À quelle échéance comptez-vous reconstruire ?

La question n’est pas la prochaine petite élection mais le prochain grand projet pour la gauche du XXIe siècle, la reconquête idéologique face à la déferlante ultralibérale et sa jumelle nationaliste et populiste. À mes yeux, l’année 2019 peut être le moment de réunir les énergies, les propositions pour bâtir une nouvelle maison commune. D’ici là, nous nous retrouverons à l’automne, pour franchir une nouvelle étape nationale dans notre structuration.

Comment comptez-vous vous y prendre financièrement ?

C’est un réel problème. Mais nous sommes très heureux du succès de l’appel aux dons pour l’organisation du 1er juillet : les frais engagés, et même au-delà, ont été couverts. Nous allons donc relancer des campagnes de dons, nous adosser à des cotisations d’élus mais aussi et principalement financer nos projets locaux par crowdfunding.

De quelle base politique votre mouvement est-il composé ?

D’abord, des 6,5 % des gens qui ont voté pour moi au premier tour. Cette base est solide car ils n’avaient aucune raison « utile » de voter pour moi, mis à part mon projet. Je veux faire grandir ce socle politique et le faire contribuer à alimenter la régénération de la gauche qui s’opère depuis des années et qui va se poursuivre. Cette dynamique n’est pas née le 1er juillet dernier.

Les Verts vous rejoignent-ils ? Et les communistes ?

Notre mouvement se fera avec tous ceux qui veulent refaire la gauche. Il y a des discussions qui progressent bien avec les uns et les autres. Avec Cécile Duflot, Yannick Jadot, ou Pascal Durand [proche de Nicolas Hulot, NDLR], nous avons tenu plusieurs réunions de préparation. On a posé un cadre. J’y suis investi totalement. Après, je ne cherche à soumettre personne. Ce projet va être très vite beaucoup plus puissant que ses initiateurs. Notre priorité est de faire déborder le mouvement, au-delà des zones d’influence des personnalités qui nous rejoindront.

Vous êtes « coincé » entre Macron et Mélenchon, avec un espace de conquête du pouvoir réduit. Comment comptez-vous prendre des électeurs à Mélenchon et à Macron ?

Je ne me sens pas du tout coincé. Être accompagné de 10 000 personnes présentes pour le lancement du mouvement, un samedi pluvieux à Paris, voilà un bel espace prometteur. Je ne prétends pas à l’hégémonie intellectuelle et culturelle sur la gauche. Du côté de Macron, la réalité des politiques néolibérales et leur impact social et écologique, démocratique aussi, isoleront très vite le nouveau pouvoir autour d’une base sociale riche et favorisée mais étroite.

Quelles sont vos relations avec Jean-Luc Mélenchon ?

Nous avons des désaccords politiques. La droite dit, peu ou prou, stoppons l’immigration en fermant les frontières. Jean-Luc Mélenchon veut accélérer le développement des pays pauvres pour éviter que les gens partent. Dans les deux cas, ces politiques visent à freiner l’immigration vers la France. Les migrations sont inéluctables, dictées par les réalités économiques, écologiques, géopolitiques ou simplement humaines. J’ajoute que les migrations sont des phénomènes souhaitables, qu’il faut bien sûr organiser. Je crois que nos sociétés s’enrichissent d’apports extérieurs, et que cela nous sera même nécessaire pour financer la pérennité de nos systèmes sociaux. Ma proposition politique est celle d’une société ouverte.

Plus fondamentalement, je ne partage pas le choix assumé de Mélenchon d’abandonner le clivage gauche-droite, capital/travail au profit de la scission haut/bas, peuple/élites, même si je sais que cela a un intérêt stratégique, celui d’ouvrir un spectre plus large de dialogue avec les classes populaires. Le risque, c’est qu’à vouloir les disputer à l’extrême droite, dominatrice dans ces classes sociales, on crée sur la question européenne, le rapport à l’étranger ou aux migrations, des ponts intellectuels, des passerelles sémantiques qui nous éloignent radicalement du projet démocratique, internationaliste et universaliste de la gauche.

Que répondez-vous à Jean-Luc Mélenchon lorsqu’il vous accuse d’avoir fait capoter sa campagne ?

Qu’il devrait arrêter de perdre son temps dans ce genre d’analyse : ceux qui ont voté pour moi au premier tour de la présidentielle n’auraient jamais voté pour lui.

La conquête du pouvoir vous obligera sans doute à une convergence avec lui…

Oui. J’assume que nos désaccords doivent inviter au dialogue plutôt qu’à la guerre. Tout est discutable, mais il faut clarifier ensemble et se retrouver à des endroits où ces clarifications s’opèrent : c’est pour cela que je veux des états généraux de toute la gauche où les insoumis, entre autres, seront bien sûr attendus.

D’après vous, il a fait une erreur stratégique ?

Je pense que ce n’était pas sa stratégie : il ne veut pas faire vivre un groupe de gauche, il veut remplacer tout ce qui existe entre lui et Macron. De son point de vue, il a peut-être réussi, mais est-ce dans l’intérêt du peuple et de ceux qui vont souffrir pendant cinq ans, d’avoir 17 députés insoumis, trente socialistes et 11 communistes dispersés, là où il y aurait pu et dû y avoir un groupe homogène qui aurait appris à travailler ensemble ?

Vous avez appelé à des listes transnationales aux élections européennes… Comptez-vous travailler sur l’espace de la gauche européenne ?

Oui, c’est le travail qu’on doit faire d’ici à deux ans. On travaille avec Yanis Varoufakis et son mouvement, et nous sommes en contact avec l’essentiel des forces de gauche et écologistes qui comptent à nos yeux. J’échange avec Jeremy Corbyn, pas dans l’optique des élections européennes, puisque la Grande-Bretagne quitte l’Europe, mais c’est un des partis qui aujourd’hui apparaît comme une référence.

Vous voulez régénérer la social-démocratie ?

Elle a été glorieuse à l’époque où elle avait une base sociale. Le problème, c’est qu’elle n’en a plus… Mon objectif est que le plus tôt possible la majorité sociale redevienne la majorité politique sur un projet écologiste, solidaire, démocratique et internationaliste.

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