Force ouvrière : « Nous avons l’occasion d’essayer d’infléchir les choses »
Force ouvrière ne veut pas s’alarmer des grandes lignes de la future réforme du code du travail, pires qu’annoncées en bien des points, et fera jusqu’au bout le pari de la discussion.
dans l’hebdo N° 1461 Acheter ce numéro
La troisième centrale syndicale française semble presque enthousiasmée par l’avancement des discussions avec le gouvernement. Alors même que la loi d’habilitation à gouverner par ordonnance, qui autorisera le gouvernement à mener sa gigantesque réforme du Code du travail durant l’été, apparaît pour le moins pimentée. Le syndicat, qui figurait aux côtés de la CGT en première ligne du combat contre la loi travail première version, a-t-il changé de ligne ?
Comment FO aborde-t-elle les prochaines semaines, qui s’annoncent denses en matière de négociation ?
Michel Beaugas : C’est un mélange un peu troublant. Nous allons avoir un débat public parlementaire sur la loi d’habilitation, alors que nous sommes en train de négocier le contenu des ordonnances, qui sera par essence différent. Le recours aux ordonnances ne nous pose pas de problème en tant que véhicule législatif. Elles ont été utilisées pour la cinquième semaine de congés payés en 1982 ou pour la Sécurité sociale en 1945. Ceux qui sont privés de débat, ce sont les parlementaires. Nous [les syndicats], par le biais de la consultation, nous avons l’occasion de donner notre avis et d’essayer d’infléchir les choses. Nous avons encore du champ !
Sauf que le travail législatif au Parlement est un temps politique, qui permet une mobilisation dans la rue, comme pour la loi El Khomri au printemps 2016…
Il ne faut pas confondre la période actuelle avec ce qui s’est passé pour la loi travail, où il n’y avait pas eu de concertation au préalable. Toutes les propositions que nous avions faites à l’époque s’étaient retrouvées à la poubelle. Dans ce cas de figure, lorsque nous n’avons pas d’autres moyens de nous faire entendre, alors nous sommes obligés de descendre dans la rue. Pour l’instant, ce n’est pas le cas ; nous, nous sommes dans la concertation.
La loi d’habilitation comprend effectivement des choses dangereuses. Elle ouvre le champ des possibles pour le gouvernement. C’est à nous de refermer toutes les portes.
Cette position ne risque-t-elle pas d’hypothéquer votre capacité de mobilisation future et la construction d’un rapport de force contre le gouvernement, avec la CGT, comme lors du vote de la loi travail ?
Je ne pense pas. Il faut être réaliste : il est impossible de mobiliser dans la rue pendant l’été, avec les grandes vacances qui ont commencé. Nous aurons le temps de la mobilisation à la rentrée s’il le faut. Nos militants sont l’arme au pied, prêts à y aller si le contenu des ordonnances ne va pas.
À en croire la loi d’habilitation, tout deviendrait négociable à l’échelle de l’entreprise, hormis 12 thèmes réservés aux branches professionnelles. Est-ce un motif de satisfaction ou d’inquiétude ?
C’est nous qui avons obtenu que le rôle central de la branche professionnelle soit conservé dans la négociation. À l’origine – et c’est d’ailleurs inscrit dans la loi d’habilitation –, tout devait être négociable dans l’entreprise. Nous avons réussi à sauvegarder le rôle de la branche par un verrouillage par la loi, sur une douzaine de thèmes. Sachant qu’il n’y en avait que 6 auparavant. Une négociation, ce n’est jamais un verre entièrement plein ou entièrement vide.
Que pensez-vous de la fusion des instances représentatives du personnel (CE, délégués du personnel, Comité d’hygiène et de sécurité), qui aura probablement comme conséquence une baisse du temps syndical dans l’entreprise et du nombre de salariés mandatés ?
Les instances actuelles nous conviennent bien, car elles permettent une représentation du personnel à tous les niveaux. Quant à la future réforme, nous ne voyons pas où le gouvernement veut en venir. À part faire plaisir aux employeurs qui répètent à l’envi qu’il y a trop d’heures de délégation. Nous ne sommes pas opposés par principe à la fusion des instances, si nous conservons les moyens et les prérogatives de chaque instance : que le CE puisse avoir une expertise comptable en cas de besoin, que le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) puisse faire des expertises et saisir la justice s’il y a des problèmes de conditions de travail. Ce que nous craignons, en définitive, c’est que l’économique l’emporte sur ces dernières. Avec un CHSCT distinct, où siègent des délégués différents, nous avons une autre vision.
Que pensez-vous du CDI de projet, piste ébauchée pour étendre le CDD de chantier, propre au bâtiment, à d’autres corps de métier ?
Ce serait la fin du CDI tel que nous le connaissons, avec une cause de fin de contrat prévue dès l’embauche. C’est une précarisation qui n’est même pas compensée par une prime de précarité, comme pour l’intérim ou les CDD. Les entreprises risquent de le plébisciter, car ce contrat sera moins cher que le CDD. La nouvelle génération qui va entrer sur le marché du travail risque de ne plus jamais connaître le CDI tel que nous l’avons connu. Nous ne l’avons pas encore abordé dans les réunions bilatérales, mais cela reste une ligne jaune pour Force ouvrière.
De nombreuses mesures de la future loi visent à faciliter les licenciements, afin de réduire la « peur d’embaucher ». Qu’en pensez-vous ?
L’Insee a publié le 20 juin une étude prouvant que c’est l’incertitude économique et le manque de formations qui freinent les embauches. Ce n’est donc pas à cause du Code du travail. C’est une posture purement idéologique, instillée par le patronat et en particulier des petits patrons, qui ont une phobie des prud’hommes totalement injustifiée, au regard des peines qui y sont habituellement prononcées.
FO a-t-elle changé d’avis à propos de la barémisation des dommages et intérêts aux prud’hommes ?
Non. Nous étions contre et nous sommes toujours contre. Cela étant dit, si nous parlons de plafond et de plancher, nous disons que tout dépend de leur hauteur. Nous avons demandé au gouvernement qu’il y ait un doublement des indemnités légales de licenciement. Pour que le préjudice soit déjà un peu payé par l’entreprise avant les dommages et intérêts.
Michel Beaugas Secrétaire confédéral chargé de l’emploi, il participe aux rencontres bilatérales organisées par le ministère du Travail.