Le français, langue solidaire

Marion, en master 2 à Paris-IV, accompagne Aya et Moumin dans l’étape cruciale de l’apprentissage de la langue. Rencontre.

Maïa Courtois  • 19 juillet 2017 abonné·es
Le français, langue solidaire
© photo : Maïa Courtois

Q u’est-ce que ça veut dire, “se serrer les coudes” ? » Marion suspend son feutre à quelques centimètres du tableau, ancre son regard dans celui des deux jeunes assis aux tables en face d’elle. « C’est une expression très utilisée en français. Ça veut dire s’aider les uns les autres. D’accord ? » Elle ponctue chacune de ses explications par un « oui ? » ou un « d’accord ? », histoire de s’assurer qu’on la suit bien. Elle écrit l’expression au tableau. Moumin hoche la tête. Aya, elle, prend note soigneusement dans son carnet.

Aya et Moumin sont ici tous les soirs de la semaine pour prendre des cours avec l’association InFLÉchir, fondée en janvier 2016 par des étudiants de Paris-IV. Un rendez-vous quotidien dans les locaux neufs et lumineux du Centre Clignancourt, au nord de Paris. Avant de se répartir dans les salles, les bénévoles passent une demi-heure dans le hall pour aider leurs « apprenants » à revoir une leçon mal comprise ou à rédiger un CV. Sur une table traîne une feuille d’inscription pour la rentrée 2018.

Ce soir, Aya et Moumin ont un cours particulier avec Marion, étudiante en master 2 de langue française appliquée, embauchée comme professeure en octobre dernier. Demain matin, ils passent le TCF, test de connaissance du français. Une série d’épreuves pour évaluer leur niveau, de A1 à C2. En France, pour entrer en licence, même en première année, une personne étrangère doit présenter le niveau B2 (celui d’un « utilisateur indépendant », capable de s’exprimer clairement). Pour reprendre en master, le niveau C1 (« utilisateur expérimenté », capable de communiquer autour de sujets complexes) est requis. Le TCF, à défaut d’avoir le statut de diplôme, est une sorte de garantie indispensable pour qu’un dossier ait une chance d’être accepté.

« Ça fait une semaine que je suis stressé », avoue Moumin. Au Soudan, le jeune homme de 23 ans a suivi des études en génie civil. Mais, ici, c’est le parcours du combattant. L’université de Cergy lui a répondu que la formation dispensée par l’établissement ne « correspondait pas » à son parcours. « C’est juste parce que mon diplôme n’est pas traduit en français », explique Moumin de sa voix calme. « J’ai demandé à mon cousin de se rendre à l’université de Khartoum pour demander une traduction. Faire ça en France coûte trop cher. »

Le silence règne dans la salle. Une fenêtre ouverte laisse filtrer le bruit lointain du boulevard périphérique. Marion passe des extraits audio, Aya et Moumin répondent à un QCM. « Bouche à oreille », « pris d’assaut »… Lors de la préparation à l’épreuve de compréhension orale, les expressions pièges et les mots à double sens se succèdent, comme lors d’un extrait où il est question d’une « course de deux-chevaux ».

Il y a aussi un journal radio autour d’une histoire de fossile découvert par des paléontologues, ponctué par des mots comme « nodules » ou « roches calcaires ». « Je n’arrive pas à me concentrer », se désole Aya. D’habitude, la jeune femme est très assidue. Mais, cette semaine, elle était « malade, très fatiguée », et n’a pas pu venir s’entraîner. Cadeau final : une piste audio au son brouillé, avec des interlocuteurs… québécois.

Aya fait ses calculs, laisse échapper un rire nerveux, plonge la tête entre ses mains pour se cacher derrière ses longs cheveux. Marion rassure les deux apprenants comme elle peut : « C’est toujours bon signe d’avoir des mauvais résultats la veille, ne vous inquiétez pas ! » Et puis Aya a déjà passé le TCF en janvier et obtenu le niveau B2. La jeune Syrienne de 20 ans rêve de devenir avocate : elle a réussi à s’inscrire en première année de droit à la Sorbonne. Si elle le repasse demain, c’est plutôt comme un défi personnel. Pour avoir la garantie C1 sous la main, qui lui servira pour son master.

« Marion, c’est la meilleure professeure de français que j’ai jamais eue », déclare Moumin sans hésiter. Lui est arrivé en France en août 2016 sans parler un mot de français. Il a commencé au foyer où il a atterri, avec une association. Deux mois après, il rencontre les membres d’InFLÉchir et participe depuis à tous leurs cours de français, ainsi qu’aux sorties culturelles. Aujourd’hui, il s’exprime sans difficulté et comprend tout ce qui se dit autour de lui. Même s’il n’obtient pas le bon niveau demain, il persévérera : « Il y a trois mois, j’ai passé l’examen pour la formation “approfondissement en langue et civilisation françaises” à Paris-X… et je l’ai eu ! Je commence en septembre », sourit le jeune homme. « Comme ça, je pourrai perfectionner mon français en attendant de reprendre un jour en génie civil. »

Société
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