Le mal-être des agents de la SNCF atteint la cote d’alerte
Syndicats et psychologues pointent la souffrance au travail des cheminots alors que le début de l’année 2017 a été marqué par « un nombre exceptionnel de drames ».
Il y a d’abord eu un nom, celui d’Édouard. Dans la nuit du 10 au 11 mars, cet agent SNCF, en conflit avec sa direction, s’est jeté sous un train de la gare Saint-Lazare à Paris. Les syndicats ont violemment tapé sur la table : « Depuis le début de l’année 2017, nous avons comptabilisé une vingtaine de suicides, explique Éric Meyer de Sud-Rail. Six cas rien quedurant le mois de mars. » Ces chiffres sont difficilement vérifiables car l’entreprise publique ne communique pas ces données, arguant qu’elle ne veut pas contribuer à un effet de propagation. Mais la carte des suicides au travail, mise en place par Sud, donne tout de même une idée, certes partielle, de l’étendue du problème.
Une souffrance généralisée
Les quatre syndicats représentatifs (CGT, Unsa, Sud et CFDT) se sont unis pour demander la tenue d’une table ronde spécifique, mais c’est finalement lors du Comité national d’hygiène, de la sécurité et des conditions de travail, le 1er juin, que le sujet a été abordé. La direction s’est engagée à créer une commission pour suivre les risques psychosociaux. Terme spécifique : il n’est pas question de souffrance au travail. C’est pourtant cette souffrance au travail que dénonce la psychologue Françoise François après des entretiens avec une trentaine d’agents de la SNCF dans son cabinet. Elle raconte ce qu’elle a vu dans un billet publié sur Street Press. Le constat est clair : la psychologue observe une « souffrance généralisée ».
Des gens perdus, désorientés, qui ne savent pas ce qu’ils vont devenir, qui ont peur du lendemain et ont la sensation d’avoir perdu la SNCF d’avant. Beaucoup résistent au changement, sans doute parce qu’il est mis en place trop rapidement et parce qu’il n’est pas suffisamment accompagné.
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Réorganisation du travail
La cause de ce malaise ? La restructuration du travail suite à l’ouverture de la SNCF à la privatisation, datée de la loi ferroviaire du 5 août 2014. Françoise François pointe du doigt la réforme des « petits collectifs », mise en place en septembre 2016. Cette réforme renforce le travail en petites équipes de dix travailleurs et la présence des managers sur le terrain. Pêle-mêle, la psychologue raconte les cas d’employés qui voient leurs salaires diminuer de 500 euros net car ils doivent changer de missions. « Cette polyvalence est une nouvelle demande de l’entreprise », note le sociologue Julien Kubiak, sociologue spécialiste de la souffrance au travail au laboratoire Printemps. Il y voit le basculement d’une logique de métier vers un management des compétences. « On demande aux agents de s’adapter très rapidement à cette nouvelle organisation. Par conséquence, les cheminots, face à cette pression de vitesse et de polyvalence, perdent les repères identitaires qui créaient leur socialisation. Ils perdent le sens de leur travail. »
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Similitudes avec l’affaire France Télécom
Les syndicats dénoncent ouvertement des méthodes de management agressives. Alors que 32 000 postes de cheminots ont disparus entre 2002 et 2014, l’entreprise a annoncé la suppression de 1 200 à 1 800 emplois dans le budget de l’année 2017. Si le mal-être des agents SNCF est ancien, ce que montre la hausse de 8 % des arrêts maladie entre 2008 et 2015, il est amplifié avec la nouvelle organisation du travail mise en place par la direction. « La productivité individuelle des cheminots a augmenté de 10 % en trois ans, affirme Éric Meyer. Pourtant, chacun d’entre eux a un voire deux plans de restructuration qui planent sur sa tête. » La SNCF se targue néanmoins d’avoir « un dispositif de prévention des risques psychosociaux conséquent, sans doute le plus abouti en France ». Insuffisant, jugent les syndicats : l’entreprise n’a pas accepté leur demande qu’une enquête interne soit ouverte de manière systématique après le suicide d’un salarié.
« Ça me donne le frisson, parce que ça me rappelle l’affaire France Télécom, la privatisation, les 22 000 salariés de trop et les méthodes radicales », conclut Françoise François dans son billet.