Le théâtre public face au mépris
Face aux responsables de centres dramatiques nationaux, la directrice générale de la création artistique a le même phrasé onctueux que Manuel Valls.
dans l’hebdo N° 1463 Acheter ce numéro
Les responsables des centres dramatiques nationaux (CDN) sont là, devant elle, en marge du Festival d’Avignon. Elle, c’est Régine Hatchondo, la directrice générale de la création artistique. Le chant des cigales ne semble pas alléger l’atmosphère de leur réunion annuelle. « Quand vous me parlez d’argent, vous ne me faites pas rêver… », lâche la représentante du ministère de la Culture, avant d’ajouter, diplomate : « Heureusement que j’ai autre chose que vous dans ma vie. » Régine Hatchondo a le même phrasé onctueux que Manuel Valls, son mentor politique. Pourquoi mettre les formes quand on peut témoigner de tout son mépris en quelques saillies contondantes ?
Les directrices et directeurs des CDN n’en croient pas leurs oreilles. Décidément en verve, elle leur assène que « [leur] modèle économique est à bout de souffle » . Or, certains d’entre eux ont pu mettre la main sur un rapport commandé par le gouvernement précédent mais non encore publié, qui prônerait le prélèvement d’un euro sur chaque billet de spectacle dans le secteur public pour le reverser au fonds géré par l’Association pour le soutien du théâtre privé (source : sceneweb.fr). N’y aurait-il pas là matière à courroux ? D’autant que l’annonce d’une coupe budgétaire de 50 millions d’euros d’ici à la fin de l’année suscite des inquiétudes. Cette somme, dit-on, sera prélevée sur le fonctionnement du ministère – en termes magiques, cela signifie « ponction indolore ». Mais que n’avait promis le candidat Emmanuel Macron ? « Nous ne retirerons pas un euro au budget du ministère de la Culture. » Vraiment ?
On ne sait pas encore ce que la ministre de la rue de Valois, Françoise Nyssen, pense des propos de Régine Hatchondo, mais il est sûr que le président de la République nourrit une prédilection pour les créateurs d’entreprise florissante. N’a-t-il pas pour ami l’écrivain Erik Orsenna, qui se vante d’obtenir des à-valoir d’au moins 100 000 euros, tandis que sa société de conseil auprès de grands patrons fait de lui un opulent businessman ? Cet été, dans la matinale de France Inter, il raconte, sur un ton laborieusement enjoué, la vie de Jean de La Fontaine. Quand il en sera à la fable de la cigale (d’Avignon ou d’ailleurs) et la fourmi, devinez pour lequel de ces deux insectes son cœur désintéressé d’homme de lettres penchera…
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